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Employés de secteur en difficulté, self-employed, «traser» : l’angoissante attente

23 mars 2020

Rovin Moonesawmy, Irna Sameeraz Jafferbeg, Sheila Rivet et Fatiama Diani sont des petits entrepreneurs.

Jeune, les cheveux colorés, il porte des lunettes de soleil. Mais pas de masque. Il kass sa poz, jean trop grand et délavé, t-shirt rapiécé, auprès du camion de son «bourzwa», à côté d’une des rares quincailleries ouvertes sur la route menant à l’Ouest en ce premier jour de lockdown. Il attend d’embarquer, dit-il, des matériaux prévus pour une livraison. Adish est lanfle kamion et a retenu l’essentiel des informations. Mais l’urgence pour lui, en ce vendredi 20 mars, c’est de s’assurer d’avoir de l’argent «pou mett enn zafer lor latab», pour sa femme et sa fille. Il n’a pas de salaire fixe, doit tras-trase au quotidien : «Kot mo gagne mo ale. Netoy lakour. Fer manev.» La dangerosité de la propagation du Covid-19, il ne la saisit pas complètement. L’essentiel, pour lui, c’est de trouver enn ti kas pour manger…

 

Le Premier ministre Pravind Jugnauth a affirmé que les employés du secteur formel seront assurés d’un salaire. Mais ceux du secteur informel n’ont pas obtenu cette assurance. D’ailleurs, dans la soirée, les artistes d’hôtel seront nombreux à rallier les établissements qui comptent encore des touristes : «Ça fait un peu peur. Mais nous ne sommes pas employés, nous n’avons pas de salaire fixe, il faut bien tenter de gagner un peu d’argent», confie Gilbert qui joue dans un hôtel de l’Est. Parce que si la vie s’est arrêtée sur l’île, les engagements financiers des pères et des mères de famille dans la précarité et les besoins du quotidien ne sont pas en mode pause. C’est pour cela que le premier matin de la mise en confinement total, Marie n’a pas hésité à dire oui à sa patronne.

 

Oui, pour venir travailler. Oui, pour prendre un risque. Elle est une employée de maison et elle devra se rendre au boulot, jusqu’à nouvel ordre : «Tan ki li pou bizin mwa, mo pou bizin ale.» Sur Facebook, le syndicaliste Ivor Tan Yan a partagé son numéro de téléphone avec le message suivant : «Si ena dimounn ki zot patron inn met zot deor depi travay akoz lockdown pran kontak ar mwa mersi : 5706 0508.» Marie, elle, préfère se sacrifier pour s’assurer de conserver son emploi. Pour Leena, la situation est tout aussi compliquée, même si elle pourra rester chez elle. Néanmoins, elle ne sait pas quand elle obtiendra un autre mois de salaire. Elle travaille depuis huit mois dans une boîte qui s’occupe des paris en ligne et elle est au chômage technique sans paie depuis mercredi : «Les courses en France, en Malaisie et en Grande-Bretagne ont été annulées à cause du coronavirus. Nous n’avons plus de boulot. Ceux qui ont des Local Leaves vont les prendre. Mais les employés comme moi, qui n’ont pas un an de service, n’auront pas de salaire.»

 

Pour le mois de mars, elle sera payée. C’est pour l’avenir qu’elle angoisse. Avec ses trois enfants, son emprunt à rembourser, sa seule lueur d’espoir réside dans l’ouverture de la saison hippique à Maurice : «Mo pa kone ki pou fer, ki laport pou tape. Mo atann pou linstan.» Amanda, elle aussi, ne peut qu’attendre ; l’hôtel pour lequel elle travaille a toujours des clients et s'attend à ce que ses employés se présentent sur leur lieu de travail. Mais elle a préféré rester chez elle pour des raisons qu’elle explique : «Quand j’ai entendu qu’il y avait un lockdown, on m’a appelée pour venir travailler.

 

Rester sur place trois nuits

 

Mais à une condition : je devais rester sur place pour trois nuits ! Ce n’est pas possible.» Son salaire, elle ne sait pas à quoi il ressemblera : «On ne sait pas. On attend. Surtout que beaucoup d’entre nous ont des dettes (emprunts, achats à CIM) mais aussi des projets de mariage. On se fait beaucoup de soucis.» Il faudra bien, dit-elle, qu’elle reprenne le travail ce lundi : «On nous force à prendre nos Local Leaves. Ou alors des Leave without pay si on a fait moins d’un an sans garantie qu’on va nous rappeler. Ce qui n’est pas correct. On n’a même pas droit aux overtimes.»

 

Et l’absence de protection n’est pas facile à gérer : «On nous refuse les gants ou le  masque. À l’hôtel, on précise qu’il faut que la situation soit critique pour que cela soit le cas ! Ça ne l’est pas déjà ?» Fatima Ezzahraa Diani, de Made by Fatima qui propose des délices marocains, a compris la gravité du moment : «Après la décision de lockdown, j’ai décidé de mettre tout en pause jusqu’à nouvel ordre. Ayant suivi de près ce qui se passe au Maroc actuellement, je pense qu'il vaut mieux prendre ses précautions.» Désormais, «demain est incertain» : «Il faut faire avec. Les répercussions sont plus ou moins importantes pour moi, surtout que j’avais un agenda très rempli pour les deux prochains mois.» Du coup, sa petite entreprise ne tourne plus. Un drame pour elle mais aussi pour la personne qui l’aide pour la gestion des commandes et la préparation des ingrédients.

 

Néanmoins, la jeune femme a dû prendre les décisions qui s’imposent : «J’ai versé un mois d’avance à ma collaboratrice. Aujourd’hui, je dois agir en tant que Fatima, et pas en tant que Made By Fatima. On doit coopérer. Après tout, aujourd’hui et demain, on cherchera à survivre et à en sortir indemne.» Puiser dans les économies, tenir le coup pour l’instant, c’est aussi l’objectif de Rovin Moonesawmy, qui offre certaines prestations pour des événements : «C’est le calme total. On ne peut rien faire. Je dois puiser dans mes économies. Le gouvernement n’a rien prévu pour nous. Et prendre un emprunt à la banque en ce moment, ce serait un suicide.» Terrible situation, également, pour Sheila Rivet, décoratrice : «Je travaille seule et même ça c'est très difficile pour les dépenses et les factures. Si on n’a pas de revenu ni de salaire et qu’on n’arrive pas à payer les factures, est-ce qu’on va être privé d’eau et d’électricité ? C’est effrayant.»

 

Pour l’instant, Sophia espère que le gouvernement comprendra qu’il faut laisser les gens souffler. Avec sa petite boutique en ligne, elle n’a plus de revenu : «Les produits ne viennent pas.» Et son mari, qui offre ses services (en maintenance) ne travaille plus avec le lockdown : «Nous n’avons plus de revenu. J’ai du prendre toutes mes économies pour acheter à manger. Je ne sais pas si le gouvernement va faire quelque chose pour les personnes qui ont des petites entreprises.» Le couple a une fille de 2 ans et tente de ne pas stresser, de rester positif : «Nous avons des choses à payer chez CIM. Et heureusement que c’est tout, Je pense qu’il y a des personnes qui sont dans le même cas que moi et qui louent des maisons ou même qui paient encore l'emprunt pour leur maison…» Pour l’instant, le plus important reste le confinement : «Je suis asthmatique. Du coup, on préfère ne pas sortir du tout. On a fait les courses pour un mois. Le pain, je le fais moi-même.»

 

La sécurité, la santé avant tout. C’est aussi le point de vue de Irna Sameeraz Jafferbeg, qui a une compagnie dans l’événementiel : «La priorité, c’est la santé de ma famille, il n’y a pas plus important que ça.» Reste que des jours sombres s’annoncent avec les annulations en masse pour les événements prévus pour les prochains mois : «Je ne sais même pas si le gouvernement a pensé à nous.» Pour le moment, elle tient le coup avec les économies, réussit à payer ses employés à plein-temps. Mais son inquiétude réside dans la durée de l’emprise du Covid-19 sur notre île. Car la crise est encore jeune…
 

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