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Par Elodie Dalloo
26 mai 2024 12:18
Il avait des enflures aux poignets qui auraient été causées par des décharges de taser. Il avait la joue gauche gonflée et saignait de la lèvre supérieure parce qu’il aurait été giflé à plusieurs reprises. Il a eu le majeur droit fracturé, nécessitant la pose d’un plâtre. Quant aux hématomes constatées sur la plante de son pied droit, ils seraient dus à de violents coups de matraques. Par ailleurs, un CT Scan effectué à l’hôpital Sir Seewoosasur Ramgoolam, à Pamplemousses, a révélé que Salmaan Sahaduth, 20 ans, a aussi subi une crack fracture dans la partie tympanique de l’os temporal gauche. C’est ce qu’a mentionné le Dr Satish Boolell, ancien médecin légiste de la police, dans son rapport daté du 14 mai après qu’il a examiné le jeune homme. Il a conclu qu’il s’agissait bel et bien d’un cas de wounds and blows ; des coups qui, selon la victime, lui auraient été infligés par plusieurs officiers de la Criminal Investigation Division (CID) de Goodlands. Accompagné de ses parents et de ses hommes de loi, Mes Sanjeev Teeluckdharry et Anoup Goodary, il a porté plainte à l’Independent Police Complaints Commission (IPCC) le 16 mai.
Électricien à temps partiel, Salmaan installait un appareil audio dans l’autobus de l’un de ses amis à Goodlands, le 10 mai, lorsque des officiers l’ont embarqué. «Monn trouv enn loto ti pe fer letour me mo pann kas latet avek sa, monn kontign travay. Il était environ 13h15 lorsque quatre hommes ont débarqué. L’un d’eux a agrippé mon pantalon, puis deux autres m’ont agrippé par le cou. Ils m’ont menotté et conduit dans leur bureau sans que je comprenne pourquoi.» Sur place, ajoute Salmaan : «Monn res demann zot kifer zot inn pran mwa. Zot pann donn mwa oken explikasion, ni donn mwa letan koze, zot inn koumans tap mwa kalot. Zot inn pran enn lans zot inn bat mwa.» Les officiers lui auraient ensuite lancé : «Koze aster, dir nou kot tonn kokin !» Comme il n’avait toujours aucune idée de quoi on l’accusait, les enquêteurs, dit-il, auraient évoqué une déposition consignée par son beau-père Farook, le 29 avril dernier, où celui-ci a rapporté que trois hommes s’étaient introduits dans sa cour en leur absence. «Zot inn dir mwa zot pa pou koz plis ki sa ek inn demann mwa si mo kone kisana sa. Je leur ai répondu qu’en effet, je savais de qui il s’agissait.»
Selon la police, ces individus étaient à la recherche du jeune homme parce qu’ils le soupçonnaient d’avoir volé des appareils audio qu’il avait installés dans leur autobus quelques jours plus tôt. Son interpellation relèverait ainsi du fait que des vols similaires avaient été commis par deux individus dans neuf autobus dans lesquels il aurait fait les installations. La police semblait ignorer que les trois individus cités plus haut avaient déjà présenté leurs excuses aux proches de Salmaan après s'être rendu compte qu'il était innocent. «La police voulait que j’avoue avoir commis ces vols avec la complicité de mon petit frère. Ils m’ont dit qu’ils détenaient des vidéos de caméras de surveillance démontrant notre implication mais ne voulaient pas me les montrer. Je leur ai dit que nous n’étions pas coupables, que nous ne manquions de rien et n’avions aucune raison de commettre de tels délits mais ils ne voulaient rien comprendre», avance Salmaan.
Bien qu’il ait nié les accusations portées contre lui, dit Salmaan, la police aurait insisté sur le fait que son frère Farhaan Jookhun, un collégien de 17 ans, et lui seraient les coupables. Ils l’aurait torturé jusqu’à ce qu’il soit à bout de force, puis lui auraient offert de l’eau et auraient placé une compresse sur ses blessures avant d’aller récupérer le mineur au collège sans même alerter ses parents. «Apre enn ti mama zot inn amenn mo frer andan. Zot inn appel mwa, inn fer mwa rant dan enn twalet ek inn montre mwa enn video kot voler pe rant dan bis. Monn dir zot ki se ni mwa, ni mo frer lor video-la, me zot inn dir mwa ki mem mo pa enn voler mo pou bizin aksepte sa case-la.» Le jeune homme avance que les officiers l’auraient alors torturé avec un taser et à coups de matraques. «Apre zot inn donn mwa kalot, inn riss mwa par mo seve, inn trenn mwa amba. Zot inn tir disan partou ar mwa. Zot inn dir mwa mo bizin aksepte case-la me monn kontign persiste ek monn dir zot mo pa kapav aksepte kitsoz ki mo pann fer.»
Lorsqu’il a commencé à saigner de la bouche et de l’oreille, poursuit-il, «zot inn pran enn sifon pou souy sa bann disan-la pou mo frer pa trouve». Il raconte que les officiers lui ont enlevé les menottes lorsque son petit frère le leur a demandé, en insistant sur le fait qu’ils n’avaient rien à voir avec ce qu’on leur reprochait. Les policiers auraient ensuite conduit Salmaan dans une autre pièce où les tortures se seraient poursuivies. «Zot inn revini, inn riss mo seve, mo zorey ek inn dir mwa mo pa pou retourn mo lakaz vivan tan ki mo pa pran responsabilite sa case-la. Zot ti dir mwa ki mo fami pou zis gagn mo lekor.» Il dit s’être retrouvé dans l’obligation de signer des documents après avoir reçu des décharges de taser. Ce n’est qu’au bout de 45 minutes d’attente qu’un haut gradé l’aurait appelé dans son bureau pour lui dire que «zot inn fer enn erer». «Zot inn dir mwa pa bizin al fer enn sinema avek sa bann dimal monn gagne-la ek pa dir mo fami nanye.»
Après avoir été informée de l’arrestation de son aîné, Shaminaaz Jookhun, l’a retrouvé au poste de police. «Ce n’est que sur place que j’ai su que mon plus jeune fils avait aussi été interpellé. Ni la police, ni son établissement scolaire ne nous en avait informés», s’insurge-t-elle. Sollicitée, la direction du collège déclare : «La police avait effectivement demandé à voir cet élève, mais nous ne leur avons pas autorisé à le faire vu que l’enfant était sous notre responsabilité. Nous avons insisté sur le fait que ses parents devaient être informés au préalable et ils semblaient avoir compris. Cependant, nous ne savons pas à quel moment ils ont fait fi de nos ordres et ont embarqué le jeune homme pour le conduire au poste.»
Si les officiers de la brigade criminelle de Goodlands reconnaissent avoir bel et bien interpellé le mineur dans son établissement scolaire, ils affirment l’avoir autorisé à rencontrer sa mère une fois au poste ; des faits que celle-ci dément : «Ils l’ont questionné et fait signer des documents sans la présence ou l’accord d’un membre de sa famille. Ce n’est que lorsqu’ils l’ont autorisé à partir que je l’ai rencontré à l’extérieur.» Questionné quant à la procédure dans le cadre de l’interpellation d’un mineur, le Police Press Office (PPO) n’a pas pu nous éclairer. Par ailleurs, c’est aux alentours de 17h35 que Salmaan a été autorisé à quitter les locaux de la brigade criminelle de Goodlands sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre lui le jour fatidique.
Vu qu’il souffrait atrocement, sa mère affirme l’avoir immédiatement conduit à l’hôpital Sir Seewoosagur Ramgolam, où il a obtenu un Police Form 58. Examiné par des médecins, il a été admis pendant trois jours. Il est sorti le 13 mai, puis a consulté le Dr Satish Bolell le lendemain. Deux jours plus tard, il a consigné une plainte en présence de ses hommes de loi à l’IPCC. À ce stade, la CID nie tout acte de brutalités policières. Elle affirme avoir simplement interrogé longuement le jeune homme, qu’elle soupçonnait de vols, mais que «no violence or force had been used against him or his brother». D’autres suspects ont, d’ailleurs, été appréhendés par la suite dans le cadre de ces enquêtes pour vols.
Outrée, sa mère ironise : «Des documents démontrent que nous sommes arrivés à l’hôpital une trentaine de minutes après avoir quitté leurs locaux. Veulent-ils faire croire que ce sont ses parents qui lui ont infligé ces coups ? Qu’aurait-on à y gagner ?» Shaminaaz poursuit : «Zame monn tap mo zanfan enn kalot, me zot zot finn tortir li pou enn zafer ki li pann fer. Je ne sais pas où cette enquête nous mènera, mais si les autorités ne prennent pas les sanctions qui s’imposent contre ces officiers, je sais que je peux croire en la justice divine.» D’autres développements sont à prévoir dans cette affaire qui comporte plusieurs zones d’ombre. Entre-temps, Salmaan est toujours suivi par des médecins et psychologues. Selon ses parents, «avec ses blessures à l’oreille, il risque de porter un appareil auditif toute sa vie». Une lourde conséquence découlant des tortures qu’il aurait subies pour un délit qu’il affirme n’avoir pas commis…
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