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Par Elodie Dalloo
12 mai 2024 16:27
Le quartier de Camp-Yoloff a été le théâtre d’une violente confrontation entre deux gangs armés le vendredi 3 mai. Plus d’une semaine s’est écoulée, mais cette rixe sanglante continue de faire couler beaucoup d’encre. Pour cause, non seulement les arrestations continuent de pleuvoir mais un mort est également à déplorer. La victime est Goolam Khodabux, un habitant de Le Hochet, Terre-Rouge, âgé de 67 ans. Hospitalisé dans un état critique après avoir été agressé à coups de sabres par plusieurs individus lors de la bagarre, il a succombé à ses blessures au département Neuro ICU de l’hôpital Jeetoo après six jours. L’autopsie pratiquée par le Dr Prem Chamane, Principal Police Medical Officer a attribué son décès à une hémorragie intracrânienne. À ce stade, cette enquête, menée par la Criminal Investigation Division (CID) de Port-Louis Nord et la Major Crime Investigation Team (MCIT), a conduit à l’arrestation de huit suspects. Leur domicile respectif a été perquisitionné pour les besoins de l’enquête.
Durant la semaine écoulée, les images de ces violents affrontements, capturées par les caméras Safe City, n’ont cessé de faire le tour des réseaux sociaux. Les premiers suspects à avoir été arrêtés dans cette affaire sont Amaanullah Issa Noordinally Bacsoo, 31 ans, Kenwell Julien Marie, 28 ans, Sheik Mohammad Sharaad Usamah Kurmally, 23 ans, Muhammad Nadhir Khan Chetty, 31 ans et Meraj Mohamad Bageerutty, 32 ans. Originaires de Camp-Yoloff et de Terre-Rouge, ils se sont livrés à la police de Port-Louis Nord accompagnés de leurs avocats le samedi 4 mai. Deux autres suspects ont été appréhendés en début de semaine : il s’agit de Nawfal Khodabaccus, 28 ans, et Nasif Hossenboccus, 25 ans. Au départ, une accusation provisoire de tentative de meurtre avait été logée contre eux. Cependant, suite au décès de Goolam Khodabux, celle-ci a été rayée et ils ont été inculpés pour meurtre.
Les interrogatoires se sont succédé après ces violents affrontements. D’après les suspects, la bagarre aurait pour toile de fond une histoire de vol de téléphone portable. Aux enquêteurs, les meurtriers présumés de Goolam Khodabux ont déclaré que l’un de leurs amis se serait rendu à Karo Kalyptus pour des raisons qu’ils ignorent. Lorsque celui-ci a sorti son cellulaire, il aurait été pris à partie par un groupe d’individus se trouvant sur place parce que ces derniers l’auraient pris pour un informateur de la police et auraient craint qu’il les prenne en photo. Ils lui auraient alors pris son cellulaire de force. Mais au lieu de rapporter le vol, le jeune homme se serait rendu chez Issa Bacsoo, qui est à la tête d’une équipe de gros bras, pour qu’il l’aide à récupérer l’objet. Les amis d’Issa Bacsoo auraient alors donné rendez-vous à la bande menée par un dénommé Danté au rond-point de Camp-Yoloff pour tirer cette affaire au clair. Néanmoins, cette rencontre s’est rapidement transformée en bain de sang.
Sur les images des caméras Safe City, on peut voir trois membres de l’équipe d’Issa Bacsoo arriver sur deux motos près du rond-point d’ABC Motors. Juste après, une voiture noire conduite par un dénommé Danté s’est arrêtée devant eux avec trois autres personnes à bord. Ses passagers sont Goolam Khodabux, son fils Nadhir Khodabux, 38 ans, et son gendre Ikhlass Dilmamode, 28 ans. Il semble que les membres des deux clans n’avaient jamais eu l’intention de discuter, étant tous armés de sabres.
Comme le démontrent ces images, Goolam Khodabux semble être l’instigateur de cette bagarre qui a dégénéré. Après qu’il a giflé l’un des motocyclistes de l’autre clan et fait intentionnellement tomber leurs motos, les esprits se sont vite échauffés et les coups de sabres et de matraques se sont enchaînés. Pas en mesure de se défendre, le dénommé Danté a quitté les lieux seul à bord de la voiture. Goolam Khodabux s’est ainsi retrouvé seul face à ses agresseurs, qui n’ont pas tardé à le mettre à terre. Son fils et son gendre avaient, quant à eux, déjà pris leurs jambes à leur cou. Alors que le sexagénaire était au sol, déjà très affaibli, Issa Bacsoo et d’autres membres de son équipe ont débarqué sur place à bord d’une voiture blanche et se sont acharnés sur lui à coups de pieds et de sabres.
Lorsque les forces de l’ordre sont arrivées sur les lieux, tous avaient déjà pris la fuite, abandonnant le blessé à son sort. Les officiers ont ainsi trouvé Goolam Khodabux, allongé sur l’asphalte, saignant abondamment du pied droit. Même s’il était toujours conscient, il était bien trop blessé pour pouvoir communiquer son nom aux policiers ou leur fournir des explications sur ce qui lui était arrivé. La police l’a conduit à l’hôpital Jeetoo, où le sexagénaire a été placé sous respiration artificielle. Ils ont pu établir son identité après avoir rencontré son fils Nadhir au Casualty Ward de l’établissement où il était venu se faire soigner après s’être blessé durant la bagarre. Ce dernier est, d’ailleurs, toujours hospitalisé et a dû subir une intervention chirurgicale. Idem pour Ikhlass Dilmamode, le gendre de la victime, qui est admis après avoir subi des blessures.
Les enquêteurs n’ont pas tardé à procéder à l’arrestation d’un huitième individu impliqué dans cette affaire. Vu qu’il portait un masque lors de ces affrontements, les limiers n’ont pas été en mesure de l’identifier sur les images des caméras de surveillance. Ce sont finalement les meurtriers présumés de Goolam Khodabux qui l’ont dénoncé à la police durant leur interrogatoire. Il s’agit de Nadeem Bheekhun, un travailleur social de 35 ans qui habite la capitale. Lorsque les enquêteurs se sont rendus chez lui ce jeudi 9 mai pour l’arrêter, le suspect n’était pas présent, mais il a fini par se livrer à la police accompagné de son homme de loi, Me Ridhwaan Toorbuth, dans la journée du vendredi 10 mai.
À ce stade, l’avocat indique que son client «nie sa participation directe ou indirecte dans l’agression mortelle de Goolam Khodabux. Il ne le connaissait même pas. Il était simplement au mauvais endroit au mauvais moment et soumettra ses preuves en temps et lieux». Nadeem Bheekhun a déclaré à la police qu’après avoir été informé de la bagarre, il s’est rendu sur place pour tenter de calmer les esprits, en vain. Placé en détention, il a comparu devant la Bail & Remand Court (BRC) ce samedi 11 mai où une accusation provisoire de meurtre a été logée contre lui. Il a ensuite été reconduit en cellule en attendant sa prochaine comparution. L’enquête suit son cours.
Depuis que ces images d’une violence inouïe ont largement circulé sur les réseaux, des rumeurs ne cessent de circuler. Plusieurs personnes estiment que le vol du cellulaire ne serait que le sommet de l’iceberg, convaincues qu’une histoire de drogue serait à l’origine de cette rixe sanglante. Des commentaires déferlent stipulant que les membres des deux clans impliqués auraient les mains sales. Par ailleurs, d’autres laissent entendre que l’équipe d’Issa Bacsoo se permettrait de faire la loi dans la région de Camp-Yoloff à cause de ses connexions politiques. La photo du député Salim Abbas Mamode en compagnie du gang fait même le tour des réseaux sociaux depuis plusieurs jours. Il s’avère que ce même politicien a aussi été souvent aperçu aux côtés de Nadeem Bheekhun, le huitième suspect appréhendé dans cette affaire.
Sollicité, Salim Abbas Mamode explique : «Ce qui s’est produit n’a rien à voir avec la politique ou avec moi. Je déplore que certains politiciens cherchent à en faire une arme politique. Je connais les individus impliqués car ce sont les habitants du quartier où j’ai grandi. Je connais Nadeem Bheekhun depuis qu’il est enfant. Cependant, je n’ai rien à voir avec leurs agissements et leurs actions. J’étais dans une conférence à Flic-en-Flac au moment où est survenue cette bagarre.» Il ajoute : «Ces jeunes ont déjà demandé à se faire prendre en photo avec moi et j’ai accepté, comme je le fais avec tout le monde. Ils n’ont jamais agi comme gros bras pour moi. Et personne d’entre eux n’est mon Constituency Clerk contrairement à ce que disent les rumeurs. De plus, dans le passé, j’ai dénoncé des gangs. Je condamne la violence et je laisse la justice suivre son cours.»
Par ailleurs, une proche de Goolam Khodabux, que nous avons sollicitée, nous a confié que, pour l’heure, les membres de la famille du sexagénaire ne sont pas prêts à faire de témoignage concernant cette tragédie. Marié, le sexagénaire, très populaire dans sa localité, a cinq enfants : quatre filles, dont trois sont à l’étranger, et un fils, Nadhir. Pas encore remis des graves blessures subies durant ces affrontements, ce dernier n’a pas été autorisé à quitter l’hôpital pour assister aux funérailles de son père. Celles-ci ont eu lieu dans la soirée du jeudi 9 mai.
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