• Football - Matchs internationaux : chalo India*
  • Kelly Douce, 41 ans, tabassé à mort à cause d’une dette impayée - sa mère Antoinette : «Li pa ti merit enn lamor koumsa»
  • Concert au Casela - Mario Ramsamy : «Venez pour un moment de partage et de communion»
  • 160 ans après la mort du bienheureux Père Laval : pour un pèlerinage tout en prière
  • Art of Living : Gurudev Sri Sri Ravi Shankar en visite à Maurice
  • «Concert spirituel» de Jocelyn Grégoire : passion et division
  • Le gouvernement en mode opération-séduction : entre applaudissements, craintes et interrogations
  • Le fils du tiktokeur Feroz Karamuth, Zaffar (24 ans), décède d’un œdème cérébral aigu - Ses parents : «Toultan nou ti gard lespwar ki li sorti dan kitsoz ki pa bizin»
  • Deux toxicomanes en réinsertion meurent tragiquement : les centres de désintoxication «marrons» au coeur de la polémique
  • Sohil Choytooa, 21 ans, fait une sortie de route mortelle à Isidore-Rose - Son père Ajay : «Ti pou kapav sap lavi mo garson si lapolis ti less nou koste ek so loto sa swar-la»

Hausse de la dette des ménages : des familles au cœur d’une spirale infernale

Face à toutes les responsabilités financières à honorer, la vie est de plus en plus difficile pour de nombreux Mauriciens.

L‘endettement des ménages a atteint des sommets comme jamais auparavant. Aujourd’hui, nombreuses sont les familles qui se retrouvent au bord du gouffre, incapables d’honorer leurs engagements financiers à cause de la cherté de la vie. 

Des familles entières sous pression. Aujourd’hui, c’est la dure réalité de nombreux Mauriciens. À chaque coin de rue, le discours est le même. Les Mauriciens se plaignent de ne pas pouvoir avoir un train de vie confortable avec ce qu’ils gagnent et d’être obligés de s’engouffrer dans des dettes pour pouvoir avancer. Et les chiffres sont là pour le prouver. Les dernières statistiques de la Banque de Maurice montrent une hausse significative de la dette des ménages qui a atteint, en une année, 168,19 milliards de roupies, soit une augmentation de 11,4 %. Alors que les taux d’intérêt élevés et l’inflation alimentent l’endettement des ménages, une grande partie de celui-ci, soit Rs 117,5 milliards, est attribuée exclusivement aux prêts immobiliers. En effet, s’il est considéré que le recours à l’endettement joue un rôle essentiel dans le développement, pour les familles qui se retrouvent pris au piège dans cette spirale, c’est une tout autre histoire.

Aujourd’hui, à moins d’avoir des millions sur son compte en banque – et encore ! –, il est difficile, voire impossible d’acheter un terrain ou de construire une maison sans un home loan. Compliqué aussi d’acheter une voiture sans passer par le leasing. Il y a également ceux qui préfèrent acheter un nouveau smartphone, un électroménager ou un meuble à crédit parce que cette facilité leur permet de profiter de leur acquisition tout de suite, même si au bout du compte, ils doivent payer au prix fort les intérêts. Car, il faut dire que même si le salaire minimum a augmenté et que le gouvernement offre désormais plus d’allocations, la cherté de la vie cloue les Mauriciens au sol et cela toutes couches sociales confondues.

 

La flambée des prix des produits de consommation courante accentue la pression et ne laisse aucun répit aux ménages déjà financièrement éprouvés. Comme ils se retrouvent alors dans l’obligation de dépenser davantage pour répondre à leurs besoins fondamentaux, cela réduit leur marge de manœuvre pour le remboursement de leurs dettes existantes. Entre ceux qui se trouvent au bas de l’échelle et qui peinent à joindre les deux bouts et une classe moyenne saignée à blanc et en voie de disparition, tout le monde en a aujourd’hui ras-le-bol.

 

La colère, l’amertume et le désespoir font partie du quotidien de Nabeela Sheik Hossen. Mère de quatre enfants âgés entre 14 et 8 ans, elle ne sait plus à quel saint se vouer pour s’en sortir. Aujourd’hui la famille ne dépend que du revenu minimum du père de famille et ne touche aucune aide sociale, une situation difficile à laquelle ils ne trouvent aucun recours. «Mon époux est serveur et touche le strict minimum. Dedans, nous devons sortir l’argent du loyer, payer les factures, trouver l’argent pour la nourriture pour le mois, payer un réfrigérateur que nous avons acheté à crédit et assurer toutes les autres dépenses pour les enfants, comme les leçons. Autant vous dire que c’est mission impossible. Zis mo tousel kone kouma mo fer sa. Si vous n’avez pas de la famille pour vous aider, vous allez dormir sans manger.»

 

Détresse

 

Faire les courses pour une famille de six avec un budget aussi serré est, confie-t-elle, un casse-tête effroyable. «Avant, avec Rs 5 000, on arrivait à acheter de quoi tenir le mois. Maintenant, avec Rs 10 000, vous vous retrouvez à manquer de nourriture avant la fin du mois. Rien n’est abordable. On ne sort pas. On n’a pas de quoi se faire un petit plaisir.» Malgré tout, ses enfants restent sa priorité et Nabeela fait tout pour que ces derniers ne manquent de rien. «Mo kase-ranze. Avec quatre enfants à l’école, ce n’est pas facile et je préfère aller les déposer et les chercher dans le bus pour économiser l’argent du van.» Par ailleurs, leurs efforts pour bénéficier d’un logement social, poursuit la mère de famille, sont tous tombés à l’eau. «On nous refuse cette aide parce que mon mari a une base fixe. On nous demande de ne pas avoir de dette et de fournir Rs 120 000. J’aimerais bien savoir comment on fait ça ?» Prise dans un engrenage, Nabeela dit avoir perdu l’espoir de trouver un jour la lumière au bout du tunnel. «Je me dis souvent que je suis pauvre et que je vais finir pauvre. Plus ça va, plus la vie devient difficile. Je n’ai plus aucun espoir.»

 

Patrick et Michèle (*nom fictif car ils souhaitent garder l’anonymat) sont un couple de fonctionnaires avec trois enfants à charge et gagnent relativement bien leur vie. Ils font partie de cette classe moyenne décrite comme touchant des salaires trop élevés pour avoir droit aux allocations sociales, salaire taxable qui n’est pour autant pas toujours suffisant pour vivre aisément et sereinement. Entre les dettes à honorer et les dépenses courantes, difficile de ne pas se laisser submerger et de faire des économies. «Nous venons de construire une maison pour notre famille et avons dû, pour cela, contracter un gros prêt immobilier. Le remboursement de ce loan absorbe une grosse partie de notre budget. Avec le taux directeur qui a augmenté la dernière fois, on a vu notre mensualité augmenter d’un coup d’une grosse somme que nous n’avions absolument pas prévue. Ça a été un gros coup dur pour nous», confie la mère de famille.

Sous pression

 

À chaque fin de mois, préparer le budget familial leur donne le tournis. Il faut non seulement compter le remboursement du loan, ajoute Patrick, mais aussi le leasing pour les deux voitures qu’ils possèdent, le repaiement d’un crédit pour un électroménager et d’une carte de crédit, les assurances, l’essence, les vans scolaires, les courses alimentaires pour le mois, les factures pour le téléphone, l’Internet, l’électricité et l’eau. «Autant dire qu’à la fin du jour, il ne reste pas grand-chose et qu’il nous est difficile de mettre de l’argent de côté. Nous avons complètement réduit nos dépenses et évitons de sortir souvent. Bien sûr, quelques fois, vous avez besoin de sortir pour décompresser et faire plaisir aux enfants, mais ce n’est plus possible, par exemple, d’aller souvent au restaurant. Pour une famille de cinq, la facture est trop salée.»

 

Cette détresse financière, Padmini, mère célibataire de deux enfants, un adolescent et un en bas-âge, la ressent aussi. Après avoir travaillé plusieurs années dans un hôtel avant de perdre son emploi avec la pandémie, elle a fini par trouver un job dans une association où elle ne touche pas le salaire minimum. «Comme c’est une ONG, ils n’ont pas beaucoup de moyens, mais pour moi, c’est un revenu qui m’aide malgré tout. Je ne touche pas d’aides sociales et pas de pension alimentaire. C’est maintenant que je vais inscrire mon enfant pour le School Allowance. Heureusement que je peux compter sur ma famille.»

 

Padmini doit aussi rembourser un prêt immobilier qui vient se greffer aux dépenses courantes de son ménage. «Lorsque j’ai perdu mon emploi, je n’ai pas pu assurer le paiement du loan pendant six mois. Heureusement que j’ai pu trouver un arrangement et que je n’ai pas été poursuivie.» Pour arrondir les fins de mois, elle s’est lancée dans la confection de gâteaux qu’elle met ensuite en vente. «Je n’ai pas le choix si je veux subvenir aux besoins de mes enfants. Aujourd’hui, rien n’est bon marché.»

 

Malgré les coups durs, Padmini ne veut pas baisser les bras et nourrit encore de l’espoir pour l’avenir, surtout celui de ses enfants. «Je n’arrête pas de chercher un meilleur travail et d’envoyer ma candidature partout. Je n’ai pas fait d’études, mais j’ai de l’expérience et de la volonté. Un jour, on arrivera, j’en suis sûre, à vivre mieux.»

 

En attendant, comme beaucoup, elle se débrouille comme elle peut…

 


 

L’économiste Manisha Dookhony : «On espère que les taux d’intérêts vont baisser»

 

Dans son dernier rapport, la Banque de Maurice a révélé une augmentation significative de la dette des ménages. Qu’est-ce qui explique cette hausse selon vous ?

 

La cherté de la vie.  Tout a augmenté. On sait aussi que la majeure partie de cette dette est pour l’immobilier. Tous les coûts impliqués dans la construction d’une maison ont augmenté de façon vertigineuse au cours des derniers quatre ans. En outre, le prix de l’immobilier déjà construit a aussi augmenté pendant cette période. Ainsi, ce n’est pas surprenant que la dette des ménages soit en hausse. Un autre facteur est que le coût des emprunts a augmenté avec le Key Rate.  Tout cela contribue à rendre plus difficile le remboursement des emprunts.

 

Justement, pourquoi le remboursement des dettes semble-t-il plus difficile aujourd’hui ?

 

Aujourd’hui, comme nous subissons toujours l’inflation, les prix des produits sont devenus chers.  Même si l’inflation, c’est-à-dire le taux de l’augmentation des prix, est en baisse, les prix eux-mêmes continuent de monter même s’ils ne montent pas aussi vite ! De ce fait, le panier des dépenses quotidiennes augmente et il devient difficile pour les personnes ayant des prêts de joindre les deux bouts et d'honorer leurs dettes, comme auparavant. Il est important de faire ressortir que selon le FMI, un endettement plus élevé des ménages est associé à une plus grande probabilité d’une crise bancaire, en particulier lorsque l’endettement est déjà élevé, et à un plus grand risque de baisse des cours des actions bancaires. Parce que les banques se retrouvent plus exposées à des risques de non-repaiement des prêts.

 

Le gouvernement a offert, dans son dernier Budget, plusieurs allocations aux Mauriciens. Pensez-vous que cela aide vraiment les familles à garder la tête hors de l’eau ?

 

On espère que les taux d’intérêts vont commencer à baisser. Il est aussi important pour les banques d’offrir des solutions, par exemple le rééchelonnement des dettes et les réajustements pour les familles de toutes les classes économiques qui en ont besoin et qui arrivent, avec beaucoup de difficultés, à s’en sortir.