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Jeu des alliances : ce qu’en pensent les observateurs politiques

28 avril 2014

Shafick Osman, Malen Oodiah et Jocelyn Chan Low passent en revue la situation politique.

Un jour, ils se font des yeux doux, se lancent des fleurs… Et le lendemain, ils se regardent en chiens de faïence. C’est le scénario typique d’un feuilleton politique plein de rebondissements, comme on en connaît ici, à Maurice. Depuis cette semaine, de nouvelles effervescences animent l’échiquier politique. 

 

Du coup, les pions se repositionnent. Suite aux derniers remous, aucune alliance des partis n’est vraiment en vue. Et ce sont plutôt, semble-t-il (du moins à ce jour), les prémices d’une lutte à trois, entre le PTr, le MMM et le MSM, qui se dessinent petit à petit pour les législatives prévues en 2015. 

 

Alors que, depuis plusieurs jours, tout indiquait qu’une éventuelle alliance se planifiait entre le PTr et le MMM, le Premier ministre (PM), Navin Ramgoolam, et le leader de l’opposition, Paul Bérenger, ont annoncé, jeudi dernier, la fin des négociations entre les deux partis. Si le PM parle de «désaccords fondamentaux» entre le PTr et le MMM sur un aspect de la réforme électorale et sur la question de deuxième République, Paul Bérenger évoquait, lui, la fin des séances de «koz koze» entre lui et le leader du PTr, pour ensuite confirmer «la fin du Remake». 

 

Lors de sa conférence de presse hebdomadaire hier, samedi 26 avril, Paul Bérenger n’y est pas allé de main morte avec les qualificatifs pour décrire Navin Ramgoolam. «Girouette (…) Pas sérieux», a-t-il martelé avant d’ajouter : «Ce n’est pas moi qui a été mené en bateau, c’est le pays (…) L’histoire va juger Ramgoolam.» (Voir hors-texte).

 

Pravind Jugnauth, le leader du MSM, a, de son côté, fait part de son regret par rapport aux récents événements. C’était lors du point de presse de son parti, hier. «Nou ti pou balye karo», a-t-il affirmé en parlant du Remake qui, dit-il, prenait de l’ampleur et qui aurait pu rassembler une grosse foule lors du meeting conjoint prévu pour la Fête du travail.  «Navin Ramgoolam a atteint son but : casser le Remake et annuler les meetings du 1er Mai», s’est exclamé Pravind Jugnauth. 

 

«Pure comédie»

 

Mais dans le jeu des alliances, rien n’est tout à fait décidé jusqu’à la dernière minute, le paysage politique du pays ayant connu de semblables rebondissements dans le passé. «C’est de la pure comédie politique et, malheureusement pour le peuple, c’est loin d’être la fin !» s’insurge Shafick Osman, docteur en géopolitique. Selon lui, Navin Ramgoolam a essayé «un coup de poker» en mettant Paul Bérenger dans sa poche : «Les célébrations de Varusha Pirappu ont été déterminantes à ce sujet, avec le projet de réforme électorale, la carotte, le leader des Mauves qui a failli tout accepter avec des concessions sur la formule des wasted votes et même sur le seuil de 10 %. Mais c’était sans compter sur les militants qui ont été très remontés par la façon de faire de leur leader et la colère grandissante des membres et sympathisants du MMM. Le tout ayant été énormément relayé sur Facebook, sur les radios privées et sur les sites de journaux. Bérenger n’avait ainsi pas d’autre choix que de ressaisir sa troupe, la motiver à bloc à nouveau en dénonçant la façon de faire de Ramgoolam lors de la réunion de jeudi dernier. Il y a aussi eu l’effet Collendavelloo qui a attiré bon nombre de sympathies. Bérenger a enfin compris, je pense, que sa base était en déphasage avec ses actions et intentions, et un leader sans base et relais ne pèse pas bien lourd.»

 

Pour Shafick Osman, Navin Ramgoolam a aussi dû sentir venir les divergences au sein du PTr : «Je pense que le leader des Rouges a compris que Bérenger risquait, à terme, de devenir une coquille vidée de sa base. Il a aussi senti les débuts des secousses et des remous à l’intérieur de son parti, surtout avec les têtes travaillistes que Bérenger allait, semble-t-il, réclamer. C’est pour cela que Navin Ramgoolam a dit, à deux reprises au moins, jeudi soir, qu’il s’en remettrait à l’exécutif de son parti pour la suite des événements.»

 

Selon le géopoliticien, rien n’est toutefois définitif : «Il est possible aussi que Bérenger et Ramgoolam prennent du temps pour communiquer et convaincre leurs troupes avant de revenir à la charge, dans quelques semaines ou mois, mais ce n’est qu’une possibilité à ce stade.»

 

Pour lui, plusieurs cas de figure risquent de se définir dans les prochains jours : «Soit le MMM se remet avec le MSM, mais, cette fois, en tant que Majority Partner. Cela aura l’avantage de mobiliser les militants à bloc et surtout de galvaniser la ‘‘grande famille militante’’ et ceux qui étaient en doute, incertains, etc. Il paraît que le MSM examine cette possibilité ces jours-ci.» Il se peut aussi, précise-t-il, que le MSM, en tant que joker finalement, et cela malgré lui, se remette avec le PTr avec l’aide de lobbyistes – comme en 2010 –, mais rien ne dit que Navin Ramgoolam acceptera cela car il devra faire de la place. 

 

Dans son analyse, Shafick Osman entrevoit aussi que le Premier ministre pourrait trouver, dit-il, une autre formule, dans les temps donnés, fort de son chemistry avec Bérenger, pour séduire à nouveau le leader mauve, et leçon apprise, qui fera aussi plaisir aux militants, sauf à Ivan Collendavelloo et les autres «militants authentiques», probablement : «Il faudra aussi attendre de voir ce que fera sir Anerood Jugnauth. Il est fort possible qu’il se retire de la scène politique et qu’il demande à son fils de jouer la partie seul. Comme je l’ai dit dans la presse, cette semaine, si j’étais le conseiller de Pravind Jugnauth, je lui aurai conseillé de step down le temps de son procès, et de laisser, par exemple, Nando Bodha prendre le leadership. Mais le meeting du 30 avril du MSM à Rivière-du-Rempart sera très important à suivre, surtout l’allocution de SAJ qui est resté silencieux depuis le début du film.»

 

«Intérêts»

 

Dans l’analyse de ce film politique, l’observateur Malenn Oodiah estime, pour sa part, que la politique à Maurice n’est devenue qu’un jeu de pouvoir : «Ce qu’il faut retenir des derniers événements sur l’échiquier politique, c’est d’abord un jeu pour conquérir le pouvoir. Il y a que des intérêts et pas de sentiments en politique. Mais ce n’est pas que ça. La politique, c’est aussi gérer un pays et trouver des solutions à des problèmes. Malheureusement, à Maurice, il y a un déséquilibre total en ce qui concerne la politique. Ce n’est devenu qu’un jeu de pouvoir. Il n’y a aucun principe ni programme clair pour le pays.» 

 

Tout comme Shafick Osman, il estime que les jours à venir donneront lieu à d’autres rebondissements : «Pour l’instant, je ne vois pas de grands changements. On a des législatives qui arrivent normalement dans un an. Depuis 30 ans, tous les jeux politiques se résument à des combinaisons entre les grands et les petits partis. Bérenger a pu casser le gouvernement PTr-MSM, puis il y a eu le Remake et la grosse campagne pour déstabiliser le gouvernement Ramgoolam. La priorité de Navin Ramgoolam, de son côté, était de casser le Remake et il est arrivé à ses fins et n’a fait aucune concession par rapport à la réforme électorale et la question de la deuxième République. Ce qui fait qu’on est reparti pour un nouveau jeu politique.»

 

Les alliances qui se font et se défont sont, pour l’historien Jocelyn Chan Low, une réalité de la scène politique à Maurice : «Ce qui se passe actuellement, c’est du déjà-vu. C’est notre système électoral qui génère cela. Nous avons, à Maurice, un système de multipartisme et le système électoral de first-past-the-post favorise l’affrontement entre deux blocs. Inévitablement, la politique tourne autour du jeu des alliances avec, comme résultat, les adversaires d’hier deviennent les alliés d’aujourd’hui. Le first-past-the-post a tendance à amplifier le nombre de sièges au Parlement chez le vainqueur, le deuxième ne récolte que des miettes et le troisème parti est pratiquement absent. Dans le système électoral actuel, une troisième force est ainsi condamnée à échouer. Pour assainir la situation, il faut donc changer notre système électoral car, avec ce jeu des alliances, les partis n’ont aucune identité.» 

 

Et, pour lui, les séances de «koz koze» reprendront bientôt de plus belle : «En politique, tout est possible. Les alliances vont se faire et se défaire. C’est le cadre institutionnel qu’il faut revoir.» Toutes les configurations sont donc encore possibles. Mais il reste à savoir quelle sera l’issue du match !

 


 

Aurore Perraud : «Seul le PMSD a à cœur l’intérêt du pays»

 

Un lancement où elle n’y est pas allée de main morte. La députée bleue Aurore Perraud, n’a pas manqué de commenter l’actualité politique hier, lors du lancement de l’aile jeune du PMSD. «Seul le PMSD a à cœur l’intérêt du pays», a-t-elle déclaré tout en dénonçant des «jeux d’alliance» et en disant que la réforme électorale ne doit «pas être taillée sur mesure uniquement pour certains». 

 


Jane Ragoo : «Le livre blanc du PM est un gros bluff»

 

Il l’a dit haut et fort : les prochaines législatives se feront d’après l’ancien système électoral en vigueur à Maurice. Le hic, c’est qu’avec son livre blanc, Navin Ramgoolam avait fait entrevoir une lueur d’espoir à ceux qui voulaient respirer une vraie bouffée d’air frais en matière de politique dans l’île. Surtout en ce qui concerne la représentation féminine au Parlement. 

 

Ainsi, avec sa gender neutral formula, proposée dans le livre blanc, le Premier ministre (PM) stipulait qu’au moins un tiers du nombre total de candidats alignés par chaque parti dans chaque circonscription électorale, devait être représenté par l’un des deux sexes ; que chaque parti politique assure une représentation moyenne de 33 % des deux sexes sur leurs listes ; qu’ils alignent au moins une personne de sexe différent sur une liste de trois candidats (soit un homme et deux femmes ou une femme et deux hommes), entre autres. Mais tout porte à croire que cette formule n’entrera pas en vigueur avant les législatives de 2020. 

 

Ce qui laisse un goût très amer chez ceux qui militent pour une parité homme/femme en politique. À l’exemple de Jane Ragoo, syndicaliste : «Il nous a donné jusqu’au 5 mai pour envoyer nos propositions. Il nous a fait croire qu’il allait y avoir du changement. Il nous a tenu en effervescence, mais, au final, ce n’était que du bluff. Pour le PM, c’est business as usual. La représentation féminine au Parlement ne verra pas de hausse, idem pour les modalités de financement des partis politiques. Ils feront ce qu’ils veulent.»

 

Laura Samoisy

 


Rezistans ek Alternativ  

 

Ashok Subron : «Voilà un PM qui joue avec le peuple»

 

Ils ne comptent pas en rester là. Suite à la décision de Navin Ramgoolam de repousser la réforme électoral à après les prochaines élections générales, les membres de Rezistans ek Alternativ ont déjà entamé les procédures pour condamner cet acte. Pour Ashok Subron, Navin Ramgoolam est celui qui a rendu son propre White Paper complètement caduc. «Voilà un Premier ministre qui demande à la nation de soumettre ses propositions, qui ajourne l’Assemblée nationale et qui annule son meeting du 1er Mai pour mieux se concentrer sur la réforme, qui annonce même la préparation d’un Bill et qui nous dit subitement qu’il n’y aura pas de réforme. Voilà un PM qui joue avec le peuple», avance Ashok Subron. 

 

Selon ce dernier, le chef du gouvernement est tout simplement en train de confondre la réforme électorale avec un manifeste électoral. Jugeant cette volte-face de Navin Ramgoolam «extrêmement dangereuse», puisqu’il va à l’encontre de l’engagement pris avec le Comité des Nations unies, Rezistans ek Alternativ ne compte pas, dit-il, «le laisser faire». «Puisqu’il veut dire que les propositions de Rezistans ek Alternativ ne seront pas prises en considération, tout comme tous ceux qui ne sont pas d’accord avec la déclaration ethnique obligatoire des Mauriciens candidats, nous avons déjà prévu d’envoyer une communication officielle aux Nations unies», annonce-t-il. Et de souligner que le mouvement attend le Main Constitutional Case, qui sera appelé en Cour suprême le 8 mai, avec impatience et qu’il persistera à faire pression pour un Early Trial

 

Ainsi,  Ashok Subron lance un appel à la mobilisation à tous ceux qui sont, dit-il, «dégoûtés» par ce qui se passe actuellement : «Je demande à tous les Mauriciens et aux jeunes de nous rejoindre le 1er Mai au stade Nelson Mandela, pour dénoncer la recomposition politique, le non-engagement du Premier ministre sur la réforme électorale et, ensemble, nous allons faire une différence dans l’Histoire.»

 

Amy Kamanah

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