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Par Yvonne Stephen
26 juillet 2021 15:24
Il fait partie de ces infatigables. Un brin illuminé, selon certains. Mais tenace, surtout. Le Dr Rajah Madhewoo est l’homme de nombreuses batailles, partisan de la polémique quand elle permet «de garantir nos libertés», précise-t-il. Cette semaine, après des années d’un combat un peu passé sous silence après les premiers mois de braises contestataires, il a remporté sa plus belle victoire. «C’est comme si j’avais obtenu le prix Nobel», ose-t-il. Il aura finalement eu la peau – ou presque ! – de cette carte d’identité biométrique dont il ne voulait pas depuis le premier jour (c’est en 2013 qu’elle est introduite). Cette semaine, le Comité des droits humains des Nations unies a émis un jugement en sa faveur. Il avait saisi cette instance internationale afin de contester la «collection and retention of biometric data on Identity Cards».
Si ses compagnons d’armes des débuts ont migré vers d’autres combats, face à l’intransigeance des autorités, il a tenu bon. Lui seul connaît la somme de ses sacrifices. Ils lui ont coûté du temps, de l’argent (d’ailleurs, il demande un remboursement de ses frais au gouvernement). Mais aussi la paix d’esprit : «J’ai subi beaucoup de pression.» Quand on se lance dans une telle bataille, on y met tout, estime-t-il. La Cour suprême, le Privy Council, il a tout essayé. Et il en a connu des revers. Des jours sombres, des nouvelles qui avaient le parfum de la déception. Quelques éclaircies aussi : comme la destruction de la banque de données de la carte biométrique en 2017 (suite à une action légale de Pravind Jugnauth).
L’homme engagé n’a rien abandonné : «Après l’humiliation à la Cour suprême et le rejet de ma plainte au Privy Council, il y avait alors peu d’espoir mais c’était suffisant pour continuer d’avancer. Je savais que l’État atteignait gravement aux droits des Mauriciens.» Et cela l’a mené au Comité des droits humains des Nations unies avec ses counsels, Pete Weatherby, Erickson Mooneapillay et Sanjeev Teeluckdharry. Ce dernier, en conférence de presse en fin de semaine, a qualifié le jugement du Comité des droits humains de «victoire historique» et «sans précédent». Et ce jugement connaît une portée internationale, estime le Dr Rajah Madhewoo : «Notre petit pays, avek kolaborasion tou mo bann kamarad, a réussi à faire quelque chose de très rare : interpeller l’administration de 173 pays qui sont concernés par la sauvegarde des données biométriques et, donc, par le jugement du Comité des Nations unies.»
L’instance internationale estime que la prise et le stockage des empreintes digitales sur la carte d’identité biométrique piétinent le droit à la vie privée, surtout que le citoyen mauricien est dans l’obligation d’avoir toujours en sa possession ce document d’identité (mais attention, elle ne remet pas en cause les procédures mises en place pour la fabrication du document d’identité). Et qu’il n’y a pas de garantie contre une fraude. Alors, pour l’activiste, c’est un jour «historique». Une validation de ses plus grandes convictions : «J’ai goûté à la démocratie, la vraie. À la méritocratie et à la liberté aussi.» Celui qui a vécu de nombreuses années en Angleterre estimait que la carte d’identité biométrique était «dangereuse» : «Maintenant, c’est clair, personne n’avait le droit de sauvegarder les empreintes des gens sans leur consentement. C’était inacceptable. Totalement illégal.»
En 2014, il espérait, avec le changement de gouvernement, que l’un des plus ardents contestataires de ce document (alors qu’il était dans l’opposition), Pravind Jugnauth, allait walk the talk. Cela n’a pas été le cas : «Cette carte intéresserait n’importe quel dictateur. Elle servirait parfaitement un État policier, un État qui veut se donner des allures de Big Brother.» Désormais, le gouvernement mauricien a 180 jours afin d’expliciter les mesures correctives qu’il compte prendre pour éviter toute violation du respect de la vie privée. Que fera-t-il ? Pour l’instant, les autorités n’ont pas communiqué sur le sujet. Sanjeev Teeluckdharry estime que si celles-ci ne se conforment pas au jugement, elles pourront faire face à des sanctions internationales. Les pays membres ont les moyens de mettre la pression sur le gouvernement, a expliqué l’homme de loi : «Je fais un appel au gouvernement de respecter les droits humains, la Constitution et les Mauriciens.»
D’ailleurs, du discours budgétaire 2021-2022, il a été question de financer une nouvelle carte d’identité pour la population. Il ne s’agit pas d’une coïncidence, estime le Dr Rajah Madhewoo : «Le gouvernement savait très bien qu’il ne respectait pas les droits de ses citoyens.» Et il espère que le gouvernement répondra à cet engagement qui lui est imposé et ne bafouera pas une nouvelle fois les droits des Mauriciens. De toute façon, lui, l’infatigable, sera là, assure-t-il. Et il ne sera pas seul : le Comité des droits humains des Nations unies est désormais son allié dans sa bataille.
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