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13 avril 2020 15:17
Quand tout a basculé : «Je travaille comme responsable des ventes sur des bateaux de croisières. Je voyage donc de bateau en bateau, de compagnie en compagnie. Tout était comme dans un conte de fées jusqu’au 15 mars 2020, quand la compagnie pour laquelle je travaille a décidé d’enclencher 30 jours de quarantaine suite au coronavirus. Ce matin-là, à Miami, nous avons débarqué tous les passagers du navire car c’était la fin de leur croisière. Ce jour-là, des membres d’équipage qui pouvaient rentrer chez eux ont aussi débarqué ; la compagnie ayant toujours fait tout son possible pour suivre ses membres d’équipage de près. Sur une équipe de 23 personnes, il n’y a que 12 membres qui sont toujours sur le paquebot, moi y compris.»
Comment cela se passe depuis : «Le stress et la tension se sentent dans chaque couloir du bateau. Les membres restants de l’équipage s’inquiètent pour leur famille et leurs amis. La compagnie nous a bien fait comprendre qu’elle fera de son mieux pour envoyer ceux qu’ils peuvent chez eux au plus vite. Il y a quelques jours, la compagnie avait loué un avion d’une compagnie aérienne pour envoyer une centaine de Philippins chez eux. Quand je rentre chaque soir dans ma cabine après le boulot, je remercie le ciel pour la chance que j’ai d’être sur un des bateaux de la compagnie où je me sens en sécurité et où il y a aussi beaucoup d’activités. Imaginez si j’étais clouée dans un de nos bureaux à Miami !»
Le retour : «Rentrer à Maurice est pour moi synonyme de stress et c’est pour l’instant un mystère dans ma tête. Quand je pense au vol, au fait de rester dans un avion pendant 16 heures avec une centaine de passagers qui peuvent eux-mêmes porter le virus sans le savoir, cela m’inquiète. Puis, une fois rentrée, il y a le fait de devoir rester en quarantaine pendant 14 jours, cela me stresse, sans oublier l’ombre du virus qui plane. Conclusion : même si c’est dur de ne pas être avec ceux que j’aime dans ces moments difficiles, je me dis que, par amour pour eux, il vaut mieux que je reste sur le bateau et loin d’eux car au lieu de leur apporter un sentiment de soulagement, il y a des risques qu’il y ait plus d’inquiétude.»
En confinement sur un bateau : «Certes, la vie n’est pas facile sur un bateau sans des passagers. Certaines compagnies ont cessé de payer leurs travailleurs et les ont mis sur un Guest Status où ils sont considérés comme étant en vacances sur le bateau. Les employés sont toutefois logés, nourris, blanchis et la compagnie prend aussi en charge tous les soutiens médicaux gratuitement. On fait des tests de température, deux à trois fois par jour. Tout est enregistré et on est suivis par les médecins à bord. Il y a aussi d’autres compagnies où les membres de l’équipage ont été mis en quarantaine et même si cela peut paraître dur, c’est pour leur propre sécurité. La compagnie où je travaille a déplacé chaque membre de l’équipage dans une cabine simple pour renforcer le social distancing. Toutes les précautions ont été prises pour la sécurité de chacun. À chaque parent qui a un enfant sur un bateau de croisière, je sais que c’est difficile mais dites-vous bien que votre enfant est bien là où il/elle est. Pour tous les couples qui sont séparés parce qu’ils sont sur deux différents bateaux, je leur souhaite aussi beaucoup de courage.»
Le jour où tout a basculé : «On était au Brésil pendant trois mois. On avait entendu parler du coronavirus mais on ne se prenait pas trop la tête avec. C’est lorsque l’un des navires de la compagnie où je travaille et qui se trouvait en Asie a été touché par un cas de Covid-19 que nous avons aussi commencé à prendre des mesures sanitaires à bord du paquebot où je me trouve. On était alors à notre dernière traversée de Buenos Aires à Gênes. Il y avait plus de 3 000 passagers à bord, tous de différents pays. Sur le trajet - Maceio, Brésil, Tenerife et les îles Canaries -, qui devait durer cinq jours, tout allait bien jusqu’au troisième jour quand nous avons reçu un message. Vu la situation qui s’aggravait en Europe, nous avons reçu l’ordre de débarquer tous les passagers sans exception.»
Un long périple : «Les jours passèrent et nous recevions différents messages chaque jour. Nous étions tous, passagers et membres de l’équipage, inquiets. Après cinq jours en mer, nous sommes arrivés enfin sur la côte des îles Canaries où les passagers devaient débarquer mais les autorités espagnoles ne nous ont pas laissés accoster. Du coup, nous avons continué la navigation vers Marseille. Quelques jours plus tard, nous arrivions à Marseille où nous avons passé une nuit et un jour. Là-bas, les autorités françaises nous ont donné l’ordre de débarquer seulement les passagers avec la nationalité française. C’est le lendemain que nous sommes arrivés à Gênes, en Italie, où nous avons débarqué la moitié de nos passagers, bien sûr avec beaucoup de mal… C’est à Rome que nous avons débarqué le reste des passagers.»
Entre doute et peur : «Pendant la traversée, nous étions tous perdus, fatigués et remplis de questions… Nous avions surtout peur. Il y avait des passagers qui pleuraient et qui nous posaient sans cesse des questions que nous ne pouvions répondre. Nous, membres de l’équipage, devions rassurer les passagers alors que nous étions aussi inquiets. L’accès à WhatsApp était gratuit pour que nous puissions contacter nos familles.»
En confinement sur un bateau : «Je suis passé en isolement depuis quelques jours et tout va bien. Il n’y a pas de cas positifs à bord. Je suis sain et sauf, et je suis le seul Mauricien à bord. Je me pose des questions car si je rentre, je dois forcément passer par l’Italie. Mais j’essaie de rester positif et confiant que je vais rentrer chez moi en bonne santé. Nous faisons des check-up tous les jours. Certains d’entre nous – comme moi dans la restauration – continuent à travailler... Je tiens à remercier la compagnie où je travaille, qui prend soin de nous presque comme si on était des clients. Quand allons-nous rentrer chez nous ? Nous n’en savons rien...»
C’est un sujet qui intéresse de nombreuses familles mauriciennes qui ont un proche qui se trouve actuellement bloqué sur un bateau de croisière. Comme sur le plan international où la situation à bord des paquebots a retenu l’attention, notamment avec les «dix morts à bord du Ruby Princess», l’actualité des bateaux de croisières avec la menace du coronavirus est au cœur des préoccupations. Et dans une conférence de presse cette semaine, Nando Bodha, le ministre des Affaires étrangères, a dit suivre ce dossier et la situation des Mauriciens qui se trouvent sur un de ces bateaux. «Nou tou kone ki problem ena lor bato krwazier ek lekipaz bann bato krwazier», a-t-il déclaré, tout en ajoutant que les compagnies de ces bateaux de croisières détiennent un return ticket pour les personnes qui travaillent sur les navires. «Nou ena lasurans ki konpani krwazier okip so lekipaz letan ki nou kapav rapatriye.»
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