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L’éveil citoyen : pour l’amour d’une… île

24 août 2020

Rigg, Sophie et Vince.

La rumeur enfle. Les voix se rejoignent, la nourrissent, lui donnent un souffle nouveau. Elle fait trembler l’asphalte, en anticipation des mouvements de protestation prévus (le premier de masse se tiendra le samedi 29 août). Et possiblement le gouvernement qui ne peut pas ne pas entendre. Il y a dans ce bruit de fond entêtant, la voix de Vinod Ramdonee qui a confié dans une vidéo sur Facebook avoir été victime d’intimidation pour avoir affiché une pancarte où il était inscrit : «I love my country. I’m ashamed of my government.» On y trouve la colère de la femme qui s’est élevée contre les partisans du MSM devant la cour de Mahébourg, là où les ministres Maudoo et Ramano étaient présents pour répondre à une Private Prosecution déposée par Bruneau Laurette. Elle leur rappelait que le combat, qui avait du sens, n’était pas celui qu’ils menaient.

 

On y perçoit le désir de changement de ceux qui se sont mobilisés pendant deux jours consécutifs devant le Parlement pour dénoncer l’incompétence du gouvernement. On peut y entendre le tonitruant Bruneau Laurette. Le puissant amour de tous pour le pays, démontré si ardemment lors de la mobilisation de ces dernières semaines. Mais également les réflexions de ceux et celles qui s’épanchent sur les réseaux sociaux – en posts et en vidéo – et qui attendent une occasion pour faire résonner le coaltar. On y devine le murmure de ceux et celles qui observent en silence et se préparent à agir ou hésitent encore. Des bribes qui se mêlent pour participer à ce que certains observateurs décrivent comme un éveil citoyen. Un «sursaut» dit Padma Utchanah, président du Ralliement Citoyen pour la Patrie, qui est à la «hauteur du drame écologique» (voir l’intégralité de son entretien ci-contre).

 

Elle est persuadée que le/la Mauricien/ne descendra dans les rues. Quittera son apathie confortable pour dénoncer. Car avec le naufrage du Wakashio, la marée noire qui a défiguré la côte sud-est et les révélations de Bruneau Laurette, il/elle ne peut rester insensible. On a touché à son essence, au rythme auquel bat son cœur. Les scandales, les nominations semblaient loin, difficilement palpables. Mais dans la vague, dans le sable, dans l’océan, il y a ce qu’il/elle est. Face à ce que de nombreuses personnes qualifient d’inaction du gouvernement suite au naufrage du vraquier, c’est lepep qui s’est rué sur les plages du Sud-est, et ailleurs, pour apporter son soutien, pour confectionner des booms artisanaux, pour se couper les cheveux.

 

Pour aider. Pour freiner le cauchemar. Et dans cette mobilisation humaine, le/la Mauricien/ne a pu découvrir une chose. Une leçon forte. Cette épreuve a montré la force du collectif, une autre façon de gouverner. Ashok Subron parle d’énergie créatrice : «Lenerzi enn pep se seki nou bizin plis valorize. Enn pep ki konekte avek la ter ek la mer…» Un retour vers l’essentiel s’impose : «Une remise en question, une prise de conscience écologique. Nous avons des leçons à tirer.» L’heure n’est donc plus à la sympathique indifférence. Et des jeunes comme Sophie Rachel Malherbes ont décidé d’apporter leur grain de sable pour faire souffler l’air du changement.

 

Elle sort d’une torpeur désintéressée… en apparence : «Je n’ai jamais été une adepte de la politique. On me dira que je suis jeune, c’est normal. Mais je ne pense pas que ce soit la raison. Depuis mon enfance, j’ai vu les mêmes têtes au gouvernement et à la longue, j’ai réalisé que c’était une dynastie.» Avec la marée noire d’indignation, elle a compris qu’elle pouvait contribuer à un changement en se faisant entendre. En participant, en s’impliquant. Face aux catastrophes, la majorité silencieuse se doit de faire du bruit. Sophie a décidé d’en faire. Que la frustration s’exprime. Il est fini le temps de la politesse qui bride : «Comment avoir confiance en quelqu’un qui n’est pas apte à prendre des décisions rapides et sûres pour protéger notre pays ? La fermeture des frontières, la réouverture qui est toujours en cours, l’inaction concernant le naufrage du Wakashio... Oui, monsieur le Premier ministre, vous devez des excuses à la nation, à ceux qui ont voté pour vous, à ceux qui vous ont toléré, aux jeunes qui ont placé ne serait-ce qu’un brin d’espoir en vous et en votre clique de petits copains, à la nature, à la terre où vous êtes né !»

 

Demander des comptes, des excuses. Rendre nos dirigeants accountable. Les mettre face à leurs responsabilités. L’impunité ne doit plus être un terme à la mode. Vince Pillay y croit ! C’est pour cela qu’il était devant le Parlement le vendredi 21 août (suite à une première initiative de Reuben Pillay, le jeudi 20 août) et qu’il invite les Mauriciens à occuper l’espace tous les jours : «À moins de 11, on peut se tenir debout devant le Parlement et dire notre mécontentement. Ça s’inscrit dans une démarche citoyenne : nous sommes en colère et nous avons le droit de le dire, nous avons le droit de manifester.»

 

Partout dans l’île, il prévoit ces mouvements «devant les collectivités locales». «Pas tout le monde a les moyens de se déplacer sur la capitale mais on peut tous partager notre message», confie le jeune homme de 28 ans, citoyen engagé. Le but est de continuer à mettre la pression, à dire aux autorités : nous sommes là, on vous regarde, on sait ce que vous faites. Et être nombreux à le faire pour que ça ait un impact est un must pour forcer les dirigeants à regarder.

 

Pour Vince, il faut bien commencer quelque part. Et c’est ici et maintenant. Ce tournant dans l’Histoire de l’île, il a lieu aujourd’hui, demain, dans quelques heures : «Je suis écœuré par ce qui s’est passé avec le Wakashio : le manque de transparence, l’opacité du gouvernement. C’est un ras-le-bol concernant la classe politique. On ne se reconnaît pas non plus dans l’opposition. On veut de l’accountability, que l’environnement soit au centre de l’économie, que les valeurs humaines et environnementales soient respectées.» Il est temps, estime Rigg Needroo, fondateur de la page Enn sel solution, revolution, qui cristallise les efforts de mobilisation et accueille messages, partages, débats et coups de gueule de citoyens pas contents au quotidien : «Tout a commencé avec la dénonciation du Covid-Act puis il y a eu l’affaire Saint-Louis, la question des squatters et maintenant, la gestion du dossier Wakashio : nous sommes là pour dénoncer et informer.»

 

Aujourd’hui, après quelques mois d’activité sur la Toile, il est persuadé que les membres du groupe sont prêts à quitter la sphère virtuelle pour s’engager dans un mouvement de masse mais de façon pacifique : «Lepep morisien inn pare. Le mot révolution n’implique pas un mouvement de violence, nous croyons dans le pouvoir d’une marche pacifique. Nous serons présents le 29 août pour soutenir Bruneau Laurette et pour dénoncer l’injustice.» Si le jeune homme admet avoir une couleur politique, un penchant pour un parti et ses valeurs, il estime que son travail sur le groupe n’a rien à voir : «Mo ena enn kouler politik, wi. Me pa so letan-la. Si ce parti vient au pouvoir, je serai toujours là pour dénoncer», précise-t-il en ajoutant que les administrateurs de la page viennent de tout bord politique (sauf du MSM).

 

Il entend la rumeur qui enfle. Et, pour lui, c’est celle du changement. Pour l’amour d’une île.

 


 

Padma Utchanah : «Un ras-le-bol à l’encontre du gouvernement»

 

 

La présidente de Ralliement Citoyen pour la Patrie (RCP), très active sur les réseaux sociaux, partage son point de vue sur ce probable éveil…

 

Sur les réseaux, nous assistons à une sorte d’éveil citoyen. Qu’en est-il ?

 

Depuis quelques mois, notre pays navigue en eaux troubles avec de nombreux scandales qui se suivent à la chaîne : l’affaire St Louis, celle d’Hyperpharm avec l’achat de fournitures médicales pendant le confinement, les licenciements abusifs, la fermeture abrupte (mais pas pour tous, semble-t-il) des frontières... La liste est interminable. Le Wakashio, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ce sursaut résulte d’un ras-le-bol des citoyens à l’encontre de ce gouvernement et de toutes ses turpitudes. L’éveil citoyen est à la hauteur du drame écologique : il était grand temps…

 

Quels sont les principaux griefs de cette mouvance en ligne ?

 

Le gouvernement a fait preuve d’immobilisme face au danger qu’encourait notre mère-patrie. Le Premier ministre est en train de payer cher son inaction. Les griefs du peuple sont tout à fait légitimes. Il est bon de faire une petite piqûre de rappel ; Pravind Jugnauth est également ministre de la Défense et ministre de l’Intérieur. Il a donc failli lamentablement à sa tâche, celle de protéger les citoyens. Cette marée noire est le résultat de la passivité notoire de nos dirigeants. Le gouvernement et son chef Pravind Jugnauth ont fauté ou, plus exactement, commis des actes d’imprudence et de négligence. Par ailleurs, le gouvernement a porté atteinte à la liberté d’expression. La presse a été muselée et à cela s’ajoutent la corruption et l’information mensongère. Les révélations de Bruneau Laurette sur les données satellitaires du Wakashio donnent le coup de grâce. Il a mis en péril ce que nous avons de plus cher au monde, nou ti zil moris. La sécurité maritime est inexistante. Le Wakashio a pu entrer dans notre territoire et s’approcher des côtes sans que le service de surveillance réagisse. Il aurait été d’une aisance déconcertante pour lui d’attaquer et d’envahir l’île Maurice. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans une zone géopolitique hautement convoitée.

 

Pensez-vous que cette mobilisation, qui a été virtuelle mais aussi qui a eu lieu sur la côte sud-est, peut se transformer en mouvement citoyen, avec des Mauriciens qui descendent lor koltar en masse ?

 

Cette marée noire, malgré sa noirceur et sa toxicité, a apporté en quelque sorte de la lumière, celle de la conscience politique. Nous avons assisté également à un élan de solidarité. Nos héros, ces anonymes, ces associations de défense de l’environnement, ont porté l’âme du pays avant la leur. Enn sel lepep enn sel nasion est désormais une réalité. Les citoyens ont supplanté magistralement l’ensemble du gouvernement. Cela a éveillé en eux la prise de conscience qu’ils pouvaient accomplir de grandes choses. Ce mouvement citoyen quitte la sphère virtuelle et passe à l’offensive avec une descente sur le coaltar. Il ont déjà deux samedis prévus dans son planning. Un très bon début et il ne sera pas seul. D’autres associations citoyennes et écologiques, des partis politiques, se joignent à cette mobilisation. Le Ralliement Citoyen pour la Patrie sera bien présent dans les deux manifestations. Nous apportons tout notre soutien au peuple mauricien. La peur doit changer de camp !

 


 

Vinod Ramdonee : l’environnement à coeur

 

 

Sa vidéo, en pleine marée noire, vous a certainement ému. Ses mots ont peut-être fait vibrer une corde sensible en vous. Aujourd’hui, il plaide pour un retour à l’essentiel.

 

Comment vous sentez-vous après avoir inspiré autant de monde ?

 

Pour être honnête, je me sens inutile.

 

Pourquoi ?

 

Parce que rien ne change. Parce que c’est devenu une affaire politique. Moi, je me suis exprimé dans un partage centré sur l’environnement, sur le devoir de le protéger. Mais là, il n’est question que de politique.

 

Environnement, politique ; ne peuvent-ils pas créer un élan positif en s’associant ?

 

Oui, ça peut emmener quelque chose de bien. Mais pour moi, c’est sur l’environnement que je me concentre.

 

Serez-vous présent lors de la manifestation du 29 août ?

 

Je serai là. Je vais travailler un slogan que je présenterai ce jour-là. Il sera question que tous les Mauriciens, qu’ils aient deux pattes ou quatre pattes, aient les mêmes droits.

 

Qu’attendez-vous de cette manifestation ?

 

Un changement, peu importe lequel.

 

Opération sabordage : ça coule… malgré la polémique

 

«Parmi toutes les options disponibles, le gouvernement a choisi la pire.» C’est Greenpeace qui le dit concernant la décision des autorités de lancer le sabordage de la proue du Wakashio. Le gouvernement français aurait, lui, conseillé de la remorquer et de la démanteler ailleurs. Pourtant, le gouvernement mauricien n’a pas fait marche arrière et a lancé l’opération pour couler la partie avant du vraquier à 24 km de nos côtes. Concernant la partie arrière, la Salvage Team a jusqu’au 1er novembre pour s’en occuper.

 

PS : En conférence de presse, le vendredi 21 août, Paul Bérenger s’est interrogé sur la précipitation du gouvernement : «Sa inn al vit-vit an kontras ek lanter abitiel de sa gouvernma-la. Ce rush fait que la population a beaucoup de doute.»

 

Kolektif Konversasion Solider : ode au mauricianisme

 

Une demi-journée de réflexion, de discussion. De prise de position. Et le Kolektif Konversasion Solider, qui regroupe de nombreuses organisations et a été l’initiateur de la marche du 11 juillet, est arrivé aux conclusions suivantes : il participera à la manifestation organisée par Bruneau Laurette (qui était présent à cette rencontre à la Unity House, le samedi 22 août), qui se tiendra le samedi 29 août. Et il en organisera une autre, le samedi 12 septembre à Mahébourg (qui est considérée comme l’Acte II). Ashok Subron, un des porte-paroles du Kolektif, souhaite que ces deux mobilisations soient une ode au mauricianisme, qu’elles soient des «espaces de liberté et de colère mais aussi et surtout d’amour». Il invite d’ailleurs les manifestants à inscrire sur les pancartes : «Nou valer, nou lamour.» Ashok Subron a mis en garde Pravind Jugnauth : «Ki personn pa alim dife kominal.» Le programme de revendication de la plateforme pour une meilleure île a, par ailleurs, été adopté. Il y est question de placer l’humain, le respect et l’écologie au cœur de tout afin de réorganiser une nouvelle société.

 

Les partis de l’opposition : pour une commission d’enquête

 

Ils sont sur la même longueur d’onde. Les animateurs de la plateforme regroupant les partis de l’opposition parlementaire, Paul Bérenger, Navin Ramgoolam, Arvin Boolell et Xavier-Luc Duval, ont fait part de leur décision lors d’un point de presse, le samedi 22 août. Pour eux, il y a trop de zones d’ombre dans l’affaire Wakashio, trop d’exemples de la négligence du gouvernement et du capitaine. Pour ces raisons-là, il est nécessaire d’instituer une commission d’enquête full-fledge afin de situer les responsabilités. Ils ont aussi demandé que le projet de Petroleum Hub soit abandonné. Et ont exigé la démission des ministres Maudhoo et Ramano, qui doivent répondre à une Private Prosecution. Concernant l’interpellation des frères Dardenne, qui sont des agents travaillistes selon Navin Ramgoolam, les leaders ont dénoncé ce qu’ils qualifient de tentative d’intimidation.

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