Publicité
Par Yvonne Stephen
22 août 2023 00:31
Des cris, des slogans. Des voix qui haranguent, qui invectivent, qui mobilisent. D’autres qui s’élèvent, qui reprennent, qui applaudissent. Des fanions, des drapeaux. Des looks de la bonne couleur (pour dire son appartenance). Une certaine ferveur. Un peu d’électricité dans l’air. Ambiance de campagne électorale…alors que les législatives ne sont pas derier laport. L’alliance PTr-MMM-PMSD a décidé d’organiser une série de congrès pour se lancer après une naissance ardue. Le Reform Party aussi. Pravind Jugnauth a rencontré les jeunes. Et chaque formation politique parle de foul mons, de mobilisation sans précédent. De tsunami, de raz-de-marée. La grosseur de la foule parlerait, donc, de la popularité de chacun et, par extension, de la capacité à gagner les prochaines élections. La foule qu’on arrive à faire se déplacer est un message puissant que l’on transmet en politique. Shafick Osman, docteur en géopolitique, et associé de recherche à l’Université internationale de Floride, et Ashvin Gudday, activiste et observateur de la vie politique, nous en disent plus sur la question et mettent en perspective ce qui s’active sur le plan politique. Ce dernier parle de «tug of war». Et Shafick Osman estime que «l’alliance PTr-MMM-PMSD veut accrocher, rassurer et démontrer, et l’alliance gouvernementale donnera la réplique systématiquement ; c’est de bonne guerre.»
«La mayonnaise a commencé à monter». Shafick Osman revient sur les éléments qui ont mené à cette pétillance sur la scène politique : «Cela a commencé avec la première réunion publique ou “congrès” de la nouvelle alliance PTr-MMM-PMSD à Mare-d’Albert qui, selon les organisatrices et organisateurs, a connu un succès au-delà de leurs espérances ! À partir de là, la mayonnaise a commencé à monter, et le MSM a organisé avec succès son congrès des jeunes. Depuis Mare-d’Albert, on voit une ébullition politique, pour ne pas dire électorale.» Néanmoins, il s’interroge sur le timing : «C’est une chose assez normale quand une alliance de cette nature (rouge-mauve-bleu) prend forme officiellement, mais assez anormale quant au calendrier électoral, car les prochaines législatives auront lieu dans 16 mois ou plus.»
Celle qui a la plus grosse gagne ! Pas forcément, estime Shafick Osman. Les temps ont changé, la psychologie des foules également : «Il y a toujours un effet psychologique quand on a une grosse foule, mais les “foules” de nos jours ne sont plus indicatrices de la popularité d’une formation ou d’une alliance. Cela pouvait être le cas avant Internet et les radios privées, mais plus maintenant, car un bon nombre de gens suivent la politique et les développements politiques en ligne et/ou à travers les radios privées.» Il estime, néanmoins, qu’il y a une exception : «Les aînées/aînés dans les régions rurales qui suivent toujours très régulièrement les journaux télévisés de la télévision nationale.» Et que c’est encore possible d’avoir «une bonne foule». Mais compte-t-elle vraiment ? «Encore faut-il que ces foules soient représentatives de l’électorat, ce qui est rarement le cas, sauf dans les très grands rassemblements politiques à quelques semaines, voire à quelques jours, des élections.»
Une question de timing et de com’. Une foule peut porter un message. Elle peut parler d’adhésion, de victoire… Mais pas vraiment à plusieurs mois des élections. Les deux observateurs sont bien de cet avis : «Avoir des “foules”, c’est plus pour l’effet psychologique et la communication quand les élections sont encore loin», explique Shafick Osman. Une façon de faire accepter une alliance qui ne fait pas que sourire les membres des différents partis. Un moyen d’afficher l’adhésion, même si elle n’est que visuelle. De se donner de la puissance et de la légitimité : «L’alliance rouge-mauve-bleu a démarré en trombe, paraît-il, et elle fera tout – et c’est normal – pour capitaliser dessus et faire croire, comme Arvin Boolell l’a dit sur Radio Plus, que “c’est le vœu de l’électorat”. C’est de la pure communication, mais électoralement, c’est une autre histoire», poursuit le politologue qui se demande quelle est la stratégie des leaders de la nouvelle alliance. «De deux choses l’une. Soit l’alliance des partis veut forcer les choses, motivée par son succès, et surfer sur la vague. Soit, elle entre dans une très longue marche électorale jusqu’à fin 2024 tout au moins, un peu comme Harish Boodhoo en 1979», poursuit-il.
Pour Ashvin Gudday, il est bien trop tôt : «La réelle bataille a lieu dans la dernière ligne droite, juste avant le rendez-vous des urnes. L’électorat prend sa décision à ce moment. C’est ça le vrai baromètre.» Il se souvient, dit-il, du shift qui s’est opéré en 2014. Il était palpable, tangible : «Le dernier rassemblement de l’alliance PTr-MMM, avec son projet présidentiel-partage de pouvoir, avait eu une foule décourageante en comparaison avec celle de Vacoas où il y avait SAJ et un soleil retentissant. Ce jour-là, je suivais les deux événements sur les réseaux sociaux et j'ai senti le shift ; la balance penchait clairement en faveur de Lalians Lepep.»
Mais pas toujours. Sous certaines conditions, la foule est parlante sans que sa présence ne s’inscrive dans un timing précis. Mais pas forcément lorsqu’il s’agit de politique de campagne, avance Ashvin Gudday : «Le peuple adhère à des mouvements crédibles quand il le faut.» Il évoque les manifestations de 2020. Celle organisée par le monde syndical concernant les lois liberticides votées dans le sillage de la Covid. Mais aussi celles suivant le naufrage du Wakashio et la marée noire qui a suivi.
Silence, on vote. Ashvin Gudday estime qu’il est essentiel de ne pas oublier la masse silencieuse. Celle qui ne se déplace pas forcément aux grands rendez-vous politique : «Elle profite des 5 minutes dans l'isoloir chaque 5 ans pour sceller le sort des 1,3 million de Mauriciens. J'appellerais ça la révolution tranquille, sans son ni trompette. Mais chaque croix a son poids.» Pour Shafick Osman, il y a une habitude qu’il ne faut pas oublier : «On sait très bien que l’électorat décisif, c’est-à-dire l’électorat majoritaire d’une partie de la circonscription numéro 4 à une partie de la circonscription numéro 14, prend sa décision quelques jours avant les élections.» Néanmoins, il rappelle que la politique, c’est le champ de tous les possibles : «Il se peut aussi qu’il y ait une vague anti-gouvernementale qui monte crescendo comme en 1981-82 et en 1995, mais encore une fois, il est beaucoup trop tôt pour voir cela. Et il ne faut pas oublier les autres oppositions aussi (Linion Pep Morisien-Rassemblement Mauricien, One Moris, Reform Party, etc.) qui ne laisseront pas faire Navin Ramgoolam, Paul Bérenger et Xavier-Luc Duval…»
Pour lui, le MSM est en mode Titanic ki pe koule. Navin Ramgoolam, le Premier ministre annoncé de l’alliance PTr-MMM-PMSD, a longuement taclé le parti au pouvoir lors du congrès qui s’est tenu à Vacoas, le vendredi 18 août. Il a rappelé la nécessaire cohésion «pou kapav sov sa pei la». Et a évoqué les techniques oranges pour rallier les membres de l’opposition. «Un travail de longue haleine», c’est ce qu’a dit, pour sa part, Xavier Luc Duval, qui a ajouté qu’il ne fallait pas sous-estimer l’impact d’une foule. «Le succès amène le succès, la foule amène la foule.» Aujourd’hui, l’objectif est de freiner les ambitions destructrices du MSM. Et pour cela l’alliance travaille «sur un programme précis et détaillé pour redonner de l’espoir». Paul Bérenger a fait, lui, un appel aux patriotes afin de rejoindre la mouvance. Et a annoncé le lieu du prochain congrès : Flacq. Pour lui, il est essentiel de «bar sime MSM, de bann abi ek bann dominer». Les trois leaders ont parlé de tsunami et de raz-de-marée pour qualifier la foule présente.
Publicité