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Par Elodie Dalloo
24 février 2021 16:56
Il avait toutes les cartes en main pour réussir sa vie. Issu d’une famille plutôt aisée, Altaaf Fultoo, enfant unique, a été traité comme un petit prince depuis sa plus tendre enfance. Le potentiel de cet élève brillant n’a jamais échappé au regard attentif de ses parents, tous deux enseignants.
Ces derniers lui ont donc donné l’opportunité de réaliser ses rêves en lui permettant de poursuivre ses études en nutrition en Suisse, après qu’il a brillamment réussi à ses examens de dernière année de collège. Mais du jour au lendemain, tout ce qu’ils avaient imaginé pour leur enfant est tombé à l’eau lorsque ce dernier s’est laissé prendre au jeu infernal de la drogue. Cela a été le début d’une véritable descente aux enfers, l’ayant conduit à commettre l’irréparable le samedi 13 février. Ce jour-là, Altaaf Fultoo a tué sa mère de sang froid en l’égorgeant avec un couteau de cuisine.
Deux jours plus tard, en début de soirée, c’est l’air anxieux qu’Altaaf Fultoo, 29 ans, s’est rendu au poste de police de Saint-Pierre pour rapporter la disparition de sa mère Ameena Yadun, enseignante au collège Aleemiah, âgée de 56 ans. Aux enquêteurs, il a expliqué que depuis 18 heures, la veille, cette habitante de Morcellement Frangipanes, dans la localité, n’a plus donné signe de vie. Il leur a semblé crédible, leur apportant même des précisions sur ce qu’elle portait la dernière fois qu’il l’avait aperçue, soit un hijab noir et des lunettes de vue. Sans plus tarder, les recherches ont démarré afin de retrouver la disparue. Un important dispositif policier – les forces régulières, la brigade criminelle et un chien renifleur – a aussitôt débarqué chez la quinquagénaire pour démarrer les recherches. Et sur place, des traces de sang ont été décelées.
Décidés à tirer cette affaire au clair, les enquêteurs de la Criminal Investigation Division (CID) de Saint-Pierre ont convoqué Altaaf Fultoo pour un interrogatoire le mardi 16 février, en début de soirée. Ne pouvant plus supporter le poids de son lourd secret, il a fini par cracher le morceau. Il a expliqué que le samedi 13 février, dans l’après-midi, une violente dispute a éclaté entre sa mère et lui parce qu’elle a refusé de lui remettre la somme de Rs 200 pour qu’il se procure sa dose de drogue synthétique. Dans un accès de colère, il l’a agressée et égorgée avec un couteau de cuisine, puis a placé son cadavre dans sa voiture, avant de s’en débarrasser.
S’il a d’abord conduit les enquêteurs sur une fausse piste en les conduisant au rond-point de Khoyratty, il a fini par leur avouer avoir jeté sa dépouille sur un terrain en friche, à Côte-d’Or. Le corps sans vie d’Ameena Yadun y a été découvert, enveloppé dans un drap et recouvert de lianes. Une autopsie a attribué son décès à une slashed wound of the neck.
À Morcellement Frangipanes, Saint-Pierre, la terrible nouvelle a provoqué choc et consternation. Pour cause, Ameena Yadun, toujours très discrète, ne s’était jamais confiée sur l’addiction de son fils. «Elle n’était pas très bavarde. Elle nous faisait un signe de tête en nous croisant mais cela s’arrêtait là. Elle ne s’adressait à nous que lorsqu’elle voyait des individus louches rôder dans les alentours ; elle craignait pour sa sécurité car elle vivait seule», confie une voisine. Ameena Yadun était séparée de son époux depuis plus d’une dizaine d’années et ce dernier avait pris avec lui leur fils unique pour aller vivre à Phoenix. Ce n’est que deux semaines avant la tragédie que le jeune homme est revenu vivre chez sa mère. D’après notre interlocutrice, c’est parce que «son père ne supportait plus son addiction à la drogue et l’a envoyé chez sa mère».
Si Altaaf Fultoo n’est pas un inconnu des services de police – il a été arrêté dans le cadre d’une affaire de trafic de drogue synthétique en 2018 –, une voisine soutient qu’il a toujours été «très gentil et respectueux» : «Il a même apporté son aide à ma fille dans le domaine de l’informatique. Pou mwa, li enn bon zanfan. Li pa merit seki pe ariv li. Pa kone si enn demon inn pas dan so latet.»
Ameena Yadun était également connue pour être une personne gentille et respectueuse. En témoignent les nombreux hommages qui n’ont cessé de pleuvoir sur les réseaux sociaux. La quinquagénaire, qui compte de nombreuses années d’enseignement au collège Aleemiah, était très appréciée. Nousaheba, l’une de ses anciennes élèves, confie : «Elle a toujours été très attentionnée. Elle m’a enseigné l’arabe pendant trois ans. Vu que je débutais dans cette matière, elle m’a beaucoup aidée à rattraper le retard que j’avais sur les autres. Elle a toujours été patiente et a toujours encouragé ses élèves à se surpasser. Le collège a perdu une perle. Ce qui lui est arrivé me brise le coeur.»
Les souvenirs sont également encore intacts dans la mémoire de Madina qui a pourtant été l’élève d’Ameena Yadun il y a plus d’une vingtaine d’années. «Elle a toujours été humble et aux petits soins. Elle nous a toujours encouragés à donner le meilleur de nous-mêmes. Son départ soudain est un choc, une grande perte pour nous tous.» Tout aussi affligée par sa disparition tragique, Sulaynah, qui a aussi eu la chance de l’avoir comme institutrice, témoigne : «J’ai le cœur en morceaux quand je pense aux atrocités qu’elle a subies. Je me souviendrai toujours d’elle comme cette femme qui nous semblait stricte mais qui était tellement chaleureuse. Elle était une enseignante exemplaire.»
Au collège Aleemiah, la direction a également rendu hommage à la quinquagénaire à travers des témoignages et des prières. Son dévouement et son professionnalisme lui ont valu l’admiration de ses collègues, à l’instar de Neelufar, une jeune enseignante de l’établissement. Cette dernière n’a pas côtoyé la victime pendant longtemps mais elle la connaissait suffisamment pour savoir qu’elle était une «dame de fer toujours fidèle à ses principes» : «À chaque fois qu’un problème survenait, elle était celle qui trouvait les solutions. Elle a toujours su comment s’adresser aux élèves les plus vulnérables, elle savait comment leur faire reconnaître leurs erreurs et demander pardon.» Elle poursuit : «Personne n’était au courant de ses problèmes car elle ne nous en donnait pas l’occasion. Elle a toujours été sérieuse, responsable, travailleuse mais surtout, très intelligente ; une femme exemplaire. Nous ne l’oublierons jamais.» Du peu qu’elle l’a connue, Neelufar a vu en elle une femme ayant apporté à ses élèves «beaucoup plus que sur le plan académique».
Mais cette même femme tellement appréciée a perdu la vie dans des circonstances tragiques à cause de son propre fils. Celui-là même pour qui son ex-mari et elle avaient tout mis en œuvre afin de le sortir de l’enfer de la drogue. Mais la rechute du jeune homme l’a conduit à sa perte. Altaaf Fultoo a comparu en cour le mercredi 17 février où une accusation provisoire de meurtre a été logée contre lui. Il a ensuite été reconduit en cellule car la police a objecté à sa remise en liberté.
- Maurice est le premier pays consommateur de drogue synthétique de l’Afrique austral.
- L’île se trouve dans le Top 10 du continent africain en matière de consommation.
- Les saisies : 195,04 g en 2015 contre 9,1 kg en 2019.
- Les arrestations : six en 2013 contre 1 032 en 2019.
*Source : rapport ENACT
- Avril 2016 : Yudishtil Kheerodhur, 22 ans, Allan Sevathean, 23 ans, Dhanish Dookhee, 20 ans, et Viterissen Sabapathee, 19 ans, sont arrêtés pour le meurtre de Soupamah Pajaniandy. Cette femme de 80 ans, domiciliée à Cité Père Laval, a été retrouvée morte, ligotée et bâillonnée, dans son salon. Les suspects sont passés aux aveux et ont déclaré avoir commis ce crime car ils avaient besoin d’argent pour s’acheter de la drogue.
- Mai 2019 : le caporal Lindsay Lapeyre, un sexagénaire, est retrouvé mort, dans une mare de sang à son domicile, à Flic-en-Flac. Son meurtrier n’est nul autre que son fils, Louis Christophe Ernest, âgé de 22 ans. Interrogé, il a déclaré à la police qu’une dispute est survenue lorsque son père l’a surpris en train de consommer de la drogue synthétique. Celle-ci a dégénéré et le jeune homme l’a agressé avec une clé anglaise.
- Août 2019 : Ashish Runomally, 18 ans, s’en prend à Mohinee Devi Mohorun, sa grand-mère de 61 ans, lorsque cette dernière le surprend en train de la voler. Dans un accès de colère, le jeune homme, un toxicomane, l’agresse mortellement avec une arme tranchante. La dépouille de la sexagénaire n’a été découverte que deux jours plus tard.
- Mars 2020 : le corps sans vie de Farida Jeewooth, 9 ans, est découvert partiellement brûlé, sous du fumier, à Mare-du-Puits. Pallavi Khedoo, sa mère, et Deven Chiniah, le concubin de cette dernière, avouent l’avoir tuée alors qu’ils étaient sous l’emprise de la drogue synthétique.
- Novembre 2020 : Ashar Sobratee, accroc à la drogue, est arrêté suite au décès tragique de son beau-fils Muhammad Ayaan Ramdoo, 2 ans. Selon l’autopsie, le garçonnet est mort après avoir reçu des coups. Sa mère, Nawsheen Beeharry, a aussi été appréhendée, soupçonnée d’avoir voulu masquer le meurtre de son enfant.
- Décembre 2020 : Jean Noé Giovanni Lutchiah, 22 ans, égorge Sita Devi, sa grand-mère de 67 ans. Une dispute a éclaté après que la sexagénaire a refusé de lui donner de l’argent pour qu’il se drogue.
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