Publicité
3 juillet 2023 13:42
Le 23 avril dernier, proches et amis des 11 patients dialysés décédés – alors qu’ils étaient en quarantaine –, ont commémoré un attristant deuxième anniversaire de ce drame humain. Et deux mois après, les points préliminaires du rapport de la Medical Negligence Standing Committee (MNSC), sont venus réveiller ce douloureux souvenir. D’ailleurs, face à ce rapport accablant, le ministre de la Santé a reconnu l’évidence qu’il y a eu négligence médicale dans le cas des patients dialysés décédés et cela dans plus de deux cas. Mais Bose Soonarane, secrétaire de la Renal Disease Patient’s Association ne l’entend pas de cette oreille. «Au niveau de l’association, nous avançons que ce sont des homicides et non de la négligence. Car tout était réuni pour précipiter le décès de ces patients. Et quand il y a homicide il doit y avoir des poursuites. De plus quand nous écoutons les récits des patients partis en quarantaine nous voyons que la négligence était dès le départ avec l’organisation du transport pour ces dialysés sans possibilité de faire de la distanciation sociale, la réduction des heures de dialyses, des chambres dépourvues de tout, entre autres. Donc moi je dis que tous les 80 patients dialysés sont victimes de négligences du ministère», avance notre interlocuteur.
Dans les cas de négligences identifiés par la MNSC, figurent le nom de l’ex-caporal Sanjay Beedassy, et Suren Surwon, 55 et 63 ans respectivement, qui sont tous deux décédés le 29 mars. Dharmanand Beesoo, 54 ans, décédé le mercredi 7 avril et Habib Unjore, 73 ans, qui a poussé son dernier souffle le samedi 10 avril. Les familles des victimes confient que la révolte se mélange à la tristesse à chaque nouvel élément qui ressort du rapport. «C’est bien que le ministre ait reconnu qu’il y a eu des manquements mais il faut aussi qu’il prenne des sanctions et agisse en conséquence. Je voudrais que le rapport soit rendu public car j’ai le droit de savoir comment mon mari est décédé afin de faire ce deuil qui semble impossible car mes trois enfants et moi, nous n’avons pas pu lui dire adieu comme il se doit et c’est injuste», souligne Keeran Beedassy, l’épouse de Sanjay Beedassy, l’ex-caporal décédé le 29 mars. Cette dernière évoque avec véhémence : «C’est facile pour le ministre de dire qu’il y avait des lacunes et que la situation n’était pas propice pour prendre les bonnes actions. Mais moi j’aurais aimé savoir, si c’était un de ses proches, n’aurait-il pas envie que justice soit faite ? Que la vérité soit connue ? Donc notre demande est légitime. Personnellement, mon mari me suppliait de le faire rentrer à la maison à chaque fois que je l’avais au téléphone. Mais on m’a fait comprendre que ce n’est pas possible. Contre mon gré, je l’ai laissé entre les mains des personnes qui devaient s’occuper de lui, mais c’est dans une boîte que mon mari est revenu et je n’ai pas pu revoir son visage.»
Ooma Devi Beesoo, la veuve de Dharmanand Beesoo, abonde dans ce sens : «Quand j’avais reçu la lettre du ministère j’étais très déçue car je suis bien placée pour savoir à quel point ces personnes étaient en souffrance en quarantaine. Mon mari m’appelait chaque jour pour se plaindre de ces conditions atroces et cela que ce soit au niveau de la nourriture ou même des heures tardives des séances de dialyses dont la durée était aussi réduite. Ces décès sont survenus bêtement bann-la ti bien dan zot lakaz me inn tir zot pou les zot al mor laba. Il y a tellement à dire sur l’horreur qu’il a vécue là-bas. D’ailleurs, il n’a pas eu le temps de se coucher qu’il est décédé sur son fauteuil. Avec tout ce qui a été dit comment peut-on toujours dire qu’il y a eu que quelques cas de négligences. Tous ces patients ont souffert et ils méritent justice», explique Ooma Devi Beesoo.
L’horreur, lui, il l’a vécue à chaque instant. Et deux ans après, Didier Lesage affirme que ces instants sont toujours vivaces. «J’ai vu mes camarades mourir un à un quand j’étais avec eux à l’hôpital de Souillac. J’ai été témoin de toute cette atrocité, dès le jour de notre départ pour la quarantaine et tout ce qui s’en suivra. C’est pour cela que je suis déçu quand on vient dire qu’il y a eu 2 ou 4 cas de négligences car même si je suis vivant, j’ai subi un traumatisme qui me hantera à vie. Par exemple, quand Habib Unjore a commencé à être malade vers 23h, nous l’avons assisté et malgré nos vaines demandes d’assistance médicale, ce n’est que vers 1h du matin qu’on est venu le voir avant qu’il ne décède», soutient Didier Lesage, un des patients dialysés. Ce dernier fait aussi mention que pendant qu’il était à l’hôpital, le psychologue lui demandait de voir ses camarades en salle et de lui faire un retour par la suite au lieu qu’il prenne contact avec eux. «C’est pour cela que je ne m’étonne pas qu’aujourd’hui ni les proches des victimes ni les patients qui ont vécu ce cauchemar n’aient aucun support. Aussi, personne ne sait qui a donné l’ordre pour que l’on fasse uniquement deux heures de dialyse, alors qu’on doit en faire quatre. De ce fait, les toxines n’avaient pas été éliminées de notre corps, et nous en avons souffert par la suite. Il y a tellement à dire, c’est pour cela que je suis révolté. Car oui ! C’est bien de venir avec des rapports mais il faut avant tout convoquer les personnes concernées pour faire part de leur vécu. Ainsi, si toutefois à l’avenir une telle situation se présente, en se basant sur des faits réels pour que des actions concrètes soient prises, on évitera les mêmes erreurs qui ont coûté la vie à certains de mes camarades tout en traumatisant d’autres. Mo ankor persiste pou dir ki boukou pasian ti kapav sape si ti azir kouma bizin», confie Didier Lesage.
Malgré ce rapport qui semble en faveur des dialysés, Bose Soonarane, secrétaire de la Renal Disease Patient’s Association, soutient que l’association ne baisse pas la garde et continue sa bataille pour que la vérité puisse éclater et que justice soit faite pour tous les patients dialysés victimes d’une manière ou d’une autre de ce drame humain. «Nous avons l’intention de mettre une réclamation contre le ministère car peut-être enfin la vérité éclatera. Car malgré ce drame, il y a toujours des manquements. Par exemple, le ministre disait ne pas avoir de personnels qualifiés à ce moment mais, depuis, des infirmiers ont été formés en néphrologie mais sont placés dans d’autres départements. Où est la logique ? Nous voulons donc que justice soit faite ! Et que ces patients ainsi que leurs proches ne soient plus lésés de leurs droits.»
Rapports après rapports, les uns aussi accablants que les autres, les proches des victimes réclament à cor et à cri que ces rapports soient rendus publics afin que les principaux concernés dans ces cas de négligences puissent être sanctionnés mais aussi pour qu’ils puissent faire leur deuil. Mais face à la PNQ du leader de l’Opposition, Xavier Luc Duval, le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, a reconnu, à plusieurs reprises, qu’il y a eu des manquements à différents niveaux. Le leader du PMSD a tenu à lister les problèmes que les dialysés ont rencontrés pendant la quarantaine. Soit, le manque de transport, de soins, d’oxygène, de personnels médicaux, les repas non adaptés, le problème de suivi des patients, des dossiers qui n’ont pas été mis à jour, mais, surtout, ceux disparus qui ont entravé les travaux du MNSC, entre autres. Xavier-Luc Duval suite à cela, a demandé au ministre de la Santé s’il ne doit pas endosser la responsabilité pour toutes ces lacunes. Mais Kailesh Jagutpal a nié et a renvoyé la responsabilité au personnel cadre de son ministère et à la Covid-19. Il a expliqué que sous lui, il y a des Ward Managers, des Nursing Supervisors, des Nursing Administrators, le directeur de l’hôpital, le directeur de la région et bien d’autres fonctionnaires administratifs qui sont tous concernés ainsi que la nutritionniste qui, dans le cas des dialysés, avait recommandé du briani et autres repas non adaptés aux patients.
Outre les rapports du Fact-Finding Committee et du MNSC, le ministre de la Santé a informé que d’autres enquêtes sont en cours et ce n’est qu’après tout ceci que son ministère envisagera les sanctions à prendre contre ceux blâmés dans le rapport et si dans les cas où il doit y avoir une indemnisation pour les proches des patients dialysés décédés, tel sera le cas.
Publicité
Publicité
Publicité