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Raffinerie pétrolière et accaparement des plages : des combats et des Mauriciens

5 décembre 2016

Parfois, il faut s’indigner. Sortir de sa zone de confort, dire ce qui ne va pas et mettre le doigt là où ça fait mal pour espérer que les choses changent. Le mercredi 30 novembre, des Mauriciens ont fait entendre ce message lors d’une journée de contestations. Deux rassemblements ont eu lieu pour dire «non» à des projets gouvernementaux. L’un a eu lieu à Port-Louis. L’autre à Pointe-aux-Sables. Le premier, en fin de matinée. Le second, en début de soirée. Deux rendez-vous, deux combats différents (mais tellement semblables en même temps). Et, surtout, la même envie de prendre le destin de son île en main.

 

Alors que l’Alliance Lepep essaie de vendre aux Mauriciens (et de se vendre à elle-même) un Pravind Jugnauth Premier ministre, les mouvements contre l’accaparement des plages et la construction d’une raffinerie pétrolière à Pointe-aux-Caves ne faiblissent pas. Le deal piti-papan’est pas au coeur des préoccupations. Il y a plus urgent, plus important. L’accaparement des plages pour commencer.

 

Depuis plusieurs mois, l’équipe gouvernementale de l’Alliance Lepep, menée par le ministre du Logement et des terres, Showkutally Soodhun, enchaîne des décisions administratives réduisant, selon les contestataires, sensiblement la portion de plage accessible au public et empiétant sur les plus belles ressources côtières de l’île (notamment du Sud) pour en faire des projets hôteliers. Les plages de Blue-Bay, Saint-Félix, Rivière-des-Galets et Bel-Ombre, Pomponette et Plaines-des-Roches sont concernées.

 

C’est pour cela qu’en cette fin de matinée trop chaude dans la capitale, Sheira Sobratty affronte les rayons : «Je pense à mes petits-enfants. Je veux qu’ils puissent découvrir le côté sauvage du Sud et qu’ils sachent que les plages de l’île sont à eux comme à tous les Mauriciens.» Elle a ainsi tenu à être présente au rassemblement d’Aret Kokin Nu Laplaz(AKNL). À la base, cet événement aurait dû être une marche de protestation. Mais elle a finalement été annulée par les autorités (voir hors-texte). C’est derrière le Jardin de la Compagnie que les contestataires se sont réunis. Yannis Avrillon n’a pas manqué une miette des discours d’Ashok Subron de Rezistans ek Alternativ,  de  Yan Hookoomsing et Sam Gouden d’AKNL, et de Georges Ah-Yan de la plateforme Sov Nu Laplaz, entre autres.

 

Plus d’abus

 

Ce jeune homme a récemment rejoint AKNL, alerté par le festival laplaz : «Je trouve le combat juste. Je pense qu’il faut être présent lors de ces mouvements publics pour faire le poids et pour soutenir. Pour dire aussi qu’il est nécessaire d’en finir avec ces abus et qu’ensemble, nous pouvons faire la différence.»Arshad Dhunna est bien de cet avis. Il est nécessaire de se mobiliser pour empêcher le pire : «Les gens ne réalisent pas le danger, qu’un jour, nous, Mauriciens, ne serons plus les bienvenus sur nos plages.» Pour cela, il faut gonfler les rangs, passer le message, alerter les amis, les proches, les inconnus. Tout le monde. C’est ce que pense un autre manifestant, Jimmy Maistry : «Les Mauriciens doivent comprendre que ça les concerne tous.»

 

Corinne Camille l’a compris. Elle est là avec son fils. Autour d’elle,  des messages qui font vibrer sont scandés («aret kokin nu laplaz», «nu laplaz nu leritaz»,«nu laplaz pa pou Soodhun, sidafrikin…»). Des pancartes sont brandies : «Le Nord saturé, le Sud à protéger», «Ile Maurice en danger», «Voler Mam». Celle qui habite Pointe-aux-Sables connaît la difficulté d’avoir accès à la plage : «C’est le cas chez moi. Pourtant, la plage n’est qu’à quelques minutes mais les bungalows ont tout bloqué. Les propriétaires doivent laisser un passage tous les 700 mètres mais ils ne le font pas et les autorités ne disent rien. Alors, avec la construction d’hôtels, comment cela va se passer ?»Quelques heures plus tard, nous retrouvons Corinne à Pointe-aux-Sables.

 

C’est dans la cour de l’église de la localité qu’a lieu une réunion d’explication et de mobilisation organisée par le collectif Say No To Petroleum Hub (SNPH). Cette mère de famille a rejoint d’autres contestataires du projet de construction d’une raffinerie de pétrole à Pointe-aux-Caves. D’ailleurs, c’est une autre maman qui prend, la première, la parole pour lancer ce rassemblement qui a débuté vers 19h30. «Je suis Marie-Michèle Troubat, je suis une mère de trois enfants. Nous avons lutté contre le charbon. Nous lutterons contre cette raffinerie.»

 

Cette habitante de Kensington a rappelé la dangerosité du projet dont Pravind Jugnauth a fait mention une première fois dans son discours budgétaire, il y a quelques mois : «Se nu landrwa, nu ena nu rasinn isi. Nu pa anvi kit li parski nu lasante pu an danze.»Comme la sienne, ce sont de nombreuses familles qui ont investi leur avenir ici : «Avec nos petits salaires, nous avons pris de grosloans. Nous n’accepterons pas ce qui se passe. Quel avenir pour nos enfants, nos personnes âgées ?Ça va sentir mauvais, il y aura des risques de maladie, plus de poissons à manger....»Des prédictions catastrophistes ? Pas du tout.

 

Nature morte

 

Dans la foule, il y a Danilo Sanassee. Il vient de rentrer d’un voyage professionnel en Égypte et il peut témoigner : «J’ai vu des zones où il y avait des raffineries et la nature est morte aux alentours, il n’y a pas de végétation et il y émane un nuage de fumée. Ce n’est pas ça que je veux pour mon île.» C’est pour ça que le jeune homme a décidé de s’engager. Néanmoins, il s’étonne que plus de jeunes ne se sentent pas impliqués : «Je crois qu’ils ne se rendent pas compte de la dangerosité de la situation. Qu’ils se disent que ça n’arrivera pas. Mais il est nécessaire que nous prenions tous conscience que c’est à nous de nous assurer que ce genre de projets ne voie pas le jour.»

 

Elisa Rosse croit aussi que le combat contre la raffinerie est nécessaire. La Miss Eco, fraîchement élue, a fait de la route depuis son village, Flacq, pour être présente : «Je me sens concernée. Avec cette usine, il y a des risques de marée noire, de pollution. Et de cancer. Ma sœur, Connie, est décédée d’un cancer et je ne peux accepter qu’on mette consciemment des gens en danger.»

 

La jeune femme a pris l’engagement de parler de ce problème aux Nations unies, un des partenaires principaux du concours de beauté dont elle est la représente locale. Et elle espère que son engagement pourra faire la différence. Parce que, parfois, le choix n’est pas permis : il faut s’indigner.

 


 

Say No to Petroleum Hub : Rendez-vous le 18 décembre

 

La prochaine étape de la mobilisation aura lieu le 18 décembre. La plateforme Say No to Petroleum Hub organisera un road tripde Pointe-aux-Sables au Morne pour alerter et conscientiser le maximum de gens. C’est ce qui a été annoncé le mercredi 30 novembre. La dangerosité de la raffinerie, les zones d’ombres autour de ce projet et des responsabilités des investisseurs, ainsi que les risques qu’engendrera un pipelinequi reliera Pointe-aux-Caves au sud de l’île ont été évoqués. D’ailleurs, Georges Brelu-Brelu, une des voix de cette mobilisation, a rappelé que les habitants d’Albion et de Pointe-aux-Sables ne sont pas contre le développement dans cette région : «Mais il y a des projets plus respectueux de l’environnement à envisager.»Les principaux orateurs ont demandé à ceux présents de rester mobilisés parce que c’est en décembre que le gouvernement signe des projets en catimini.

 


 

Aret Kokin Nu Laplaz  : Une marche avortée, un rassemblement réussi

 

C’est deux heures avant la marche que la police aurait alerté les organisateurs que celle-ci ne pourrait avoir lieu parce que le Parlement siégeait le mercredi 30 novembre. Les membres d’Aret Kokin Nu Laplaz ont déposé des lettres de protestation aux bureaux de sir Anerood Jugnauth et de Showkutally Soodhun pour dire leur mécontentement.

 

Néanmoins, ceux qui s’étaient déplacés ont pu faire entendre leur voix et faire passer leur message dans un rassemblement statique. Les orateurs ont rappelé que les plages appartiennent à tous les Mauriciens et que les politiciens ne peuvent pas en faire ce qu’ils veulent. Ils ont fait le point sur les combats en Cour – plusieurs révisions judiciaires ont été demandées sur des décisions gouvernementales de déproclamer certaines plages et/ou pas géométriques et de les allouer à des promoteurs étrangers. Une nouvelle marche sera bientôt organisée.

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