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Par Yvonne Stephen
21 octobre 2021 03:24
Sonn petar ? Ou petar mouye ? Les syndicalistes et les politiciens ont largement donné leur avis sur la question du fameux rapport du Pay Research Bureau (PRB), qui a pour but de revoir les salaires et conditions des employés/es de la fonction publique et des corps paraétatiques, et qui a été rendu public, cette semaine, par le Premier ministre Pravind Jugnauth. Chaque cinq ans (en règle générale), les fonctionnaires ont droit à cette opération que les «envieux» qualifient de «tap plin». L’exercice était très attendu par les fonctionnaires.
Maintenant qu’il est fait, que les travailleurs/euses du service public ont eu le temps de digérer les infos «PRBesques», qu’en pensent-ils/elles ? Timides à répondre, certains/es se sont néanmoins permis/es quelques confidences avec une condition : l’anonymat. L’argent est un sujet tabou, surtout quand on est fonksioner et qu’un lump sum (voir hors-texte : Les principales mesures) vous attend dans quelques semaines.
Soundress*, enseignant habitant les hautes Plaines-Wilhems, est tout simplement happy : «Je ne pourrai pas en demander plus, personnellement. C’est parfait.» Il n’est pas le seul, dit-il, à ressentir ce sentiment de satisfaction : «Ce rapport a été bien reçu par mes collègues et moi. Personne ne s’est plaint. On est tous contents. C’est un soulagement, surtout durant cette période difficile qu’est la pandémie. Nous pensions recevoir le paiement des arrérages par tranche mais ce sera fait en une seule fois ; c’est vraiment bien. Et notre salaire sera ajusté à partir de décembre ; c’est parfait.» Pour lui, c’est donc plutôt feu d’artifices de réveillon !
À plusieurs kilomètres de cette dose de positivité, nous retrouvons Rama*, également enseignant et qui habite le nord de l’île. Ici, un peu plus de soleil, mais définitivement moins d’enthousiasme : «Il ne restera pas grand-chose quand il faudra payer le Pay As You Earn. J’ai beaucoup d’emprunts, alors ce n’est pas la fête.» Une lueur de joie ? Une toute petite ? «La bonne chose, c’est que la base de ma paye changera en décembre et que le boni de fin d’année sera basé sur ce nouveau chiffre.» Pamela*, enseignante qui vient du Sud, est du même avis. Et va plus loin : «Dans nos duties, ils ont ajouté online teaching, assessment and evaluation… Et on nous demande de prendre un loan pour acheter l’équipement nécessaire. Mais c’est du grand n’importe quoi !»
Pas trop loin de là, c’est Savitree*, infirmière, qui n’a pas le cœur à faire sonner les pétards, non plus : «Il y a un mieux, c’est sûr. Mais nous travaillons dans des conditions difficiles depuis la Covid-19 et je pense que nous méritions plus.» Pour sa voisine, qui est dans la catégorie des General Workers, c’est un peu la désillusion : «Rien ne change vraiment pour nous. On s’attendait à mieux. Le salaire minimum, on le gagnait déjà. La seule chose positive, c’est le lump sum qui nous permettra de repayer une partie de nos dettes», confie Pallavi*.
Au niveau des sous, c’est la grande désillusion pour Marjorie*, habitante de Port-Louis. Elle est Welfare Officer dans un corps paraétatique : «Je suis très déçue question salaire. Nous avons attendu longtemps et nous nous attendions à une augmentation de 15 %, voire de 12 %, au minimum. Au final, après les déductions, il n’y aura que Rs 700 de différence sur ma paye. Ce qui est très peu.»
Elle répond à ceux et celles, dans le privé ou ailleurs, qui estiment que les fonctionnaires ont touché le jackpot : «Dans le privé, les gens pensent que nous touchons des fortunes ! Mais nous, nous attendons des augmentations chaque cinq ans, ce n’est pas la même chose. Eux peuvent être augmentés de Rs 5 000 d’un coup. Pas nous ! Par contre, c’est vrai que je pense que les gros salaires auraient pu avoir uniquement une augmentation de 5 %.» Concernant la somme (les arrérages) qui sera versée en novembre, elle n’y prête pas beaucoup d’attention : «Ce n’est pas comme si c’était un cadeau ! C’est l’argent qu’on nous devait même. Et quand toutes les déductions seront coupées, il ne restera pas grand-chose au final.»
Mais Marjorie voit, malgré tout, un brin de positif : «Pour l’argent, c’est nul, mais sur la question du welfare, il y a des avancées. Désormais, nous avons deux choix pour le time of attending duty, ce qui facilite la vie. Ça permet d’avoir les flexible hours of attendance.» Carine*, employée de la fonction publique depuis de nombreuses années et habitante de la circonscription nº 8 (Moka/Quartier-Militaire), est bien de cet avis. D’ailleurs, comme elle le dit : le dernier rapport du PRB lui a plu «en général». Et en particulier ? «Que les sick leaves de l’année dernière soient remboursés, c’est vraiment bien. Et le back pay pour les 11 derniers mois également.» Pour elle, ce n’est ni l’occasion de sonn petar ou de crier au petar mouye. C’est un exercice normal qui a lieu chaque cinq ans et qui permet une révision des salaires et des conditions d’emploi, c’est tout…
(*Prénoms modifiés)
Le rapport du PRB permet une chose : bai looke les gros salaires ! Et ceux qui ont été révélés ont bien affolé les réseaux. Dans le Top 5 : le chef juge avec Rs 219 500, le Secretary to Cabinet and Head of the Civil Service et ses Rs 213 250, le Secretary for Home Affairs touche Rs 175 750, le Financial Secretary Rs 175 750 et le DPP Rs 175 750.
Celles qui vous touchent ! Vous pouvez les découvrir ici en quelques mots. Pour aller en profondeur, retrouvez le rapport du PRB sur le lien suivant : https://bit.ly/prb2021.
Ça augmente. Qui dit PRB dit majoration salariale. Alors, pour les «petits salaires» : + 10 %. Rs 25 525 à Rs 46 900 : + 7,5 %. Rs 48 425 et plus : + 7 %. Cette augmentation est rétroactive ; elle commence à partir de janvier 2021. Le Conseil des ministres a décidé de payer les arrérages en version lump sum au mois de novembre. Et la nouvelle grille sera effective en décembre et le end of year bonus sera calculé sur ces nouveaux chiffres.
Le salaire minium revu. Et passe à Rs 10 250 pour les General Workers.
Ceux partis à la retraite peuvent souffler. Si vous avez dit bye-bye au travail entre janvier et octobre 2021, votre pension suivra les nouveaux chiffres.
Le Premier ministre parle d’un «écart qui se resserre». Pravind Jugnauth parle de l’écart entre le salaire d’un General Worker et celui d’un Permanent Secretary : de 1:7 à 1:6,2. Les syndicalistes, eux, ne croient pas vraiment à ce «resserrage» et mettent en doute la formule utilisée pour calculer ce ratio.
Les «sick leaves» remboursés. Ceux accumulés en 2020 seront finalement convertis en du cash. Mais, attention, sauf changement de programme (une meilleure situation économique) ou décision gouvernementale inexpliquée, l’argent de ces congés ne viendra qu’à l’âge de la retraite !
Le «passage benefit» pas uniquement pour les voyages. Il pourra être utilisé pour la construction/rénovation d’une maison. Mais aussi pour suivre des soins à Maurice ou à l’étranger. Pour payer la quarantaine. Ou pour emmener ses beaux-parents popom.
Ça va faire vroum vroum. Plus de fonctionnaires sont éligibles à l’achat d’une voiture duty-free.
• Le green loan est une réalité : les employés du secteur public pourront s’acheter une voiture électrique à un taux d’intérêt kalamindas : 1 %. Pour les autres véhicules, comptez 3 % si vous êtes fonctionnaire.
• Si vous êtes conseiller ou contractuel et que vous n’avez pas droit au véhicule au tarif hors-taxe et que vous devez être sur le terrain, vous pouvez bénéficier d’une exemption de Rs 115 000 pour l’achat d’un véhicule (1 400 cc ou moins).
• Au moins 22 ans de service, un salaire de Rs 39 350, jamais eu une duty exemption ? Vous pourrez désormais vous acheter un véhicule : 1 200 cc = 100 % duty-free, 1 400 cc = 70 % duty-free.
L’analyse du rapport du PRB, c’est le grand rendez-vous des syndicalistes de l’île. Alors, ils ont été nombreux à donner leur avis sur la question. Ils ont souligné «les bons points» : la hausse salariale avec effet rétroactif versée comme un lump sum, le remboursement des sick leaves et la prise en considération des retraités de 2021 en font partie. Néanmoins, ils estiment que la majorité de leurs propositions n’ont pas été prises en considération. Et que la promesse électorale, faite par le Premier ministre concernant la mise en application des mesures du rapport à janvier 2020, n’a pas été tenue. De plus, nombreux sont ceux qui avancent que le ratio entre le plus bas et le plus haut salaire est toujours trop éloigné (et aurait été mal calculé, cette année).
Deepak Benydin, président de la Federation of Parastatal Bodies and Other Unions, le dit, il aurait souhaité une plus importante réduction de cet écart. D’ailleurs, il s’attendait à plus concernant le salaire des General Workers : «Atteindre Rs 16 000 pour les General Workers aurait été le minimum. Parce que ceux qui ont le salaire minimum touchent déjà Rs 10 200. Rien ne change.» Jane Ragoo, de la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé, estime que, justement, ces General Workers sont lésés car cette appellation renvoie à un «fourre-tout» : «Il n’y a aucune distinction entre ceux qui sont skilled, unskilled ou highly-skilled.» Une meilleure catégorisation permettrait des rémunérations différentes. Surtout que la hausse de Rs 500 est «ridicule».
Si des syndicalistes ont salué les hausses salariales, pour Sutthydeo Tengur, président de la Government Hindu Teachers Union, ce ne sont que des «miettes pour la classe moyenne» : «Elle est la plus grande perdante. Depuis le rapport de 2016, le coût de la vie a fortement augmenté et cette augmentation de 7 % ne vient rien compenser.» Vinod Seegum, président de la Government Teachers Union, est aussi de cet avis ; l’attente a été longue pour pas grand-chose au final. Il déplore que les demandes faites pour le secteur éducatif n’aient pas été entendues. Narendrath Gopee, président de la Federation of Civil Service and Other Unions, estime, lui, qu’«aucun des problèmes du secteur public n’a été pris en considération par ce rapport». Et que les fonctionnaires sont vraiment déçus. Ivor Tan Yan se pose, lui, l’essentielle question du mode de paiement nécessaire pour la mise en réalité des décisions du rapport : «Le mode de paiement du PRB alimentera la récession pour nous faire croire que tout va bien, alors qu’il s’agit d’un viol de notre économie.»
Combien ça coûte, tout ça ? Un bras ! Et plus encore. La mise en application des mesures du rapport du PRB coûte Rs 6,5 milliards à l’État. Lors du discours budgétaire, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, avait prévu Rs 1,7 milliard. Il s’est visiblement loupé. Le Premier ministre n’envisage pas d’emprunt et assure que les Finances ont mis en place tout un programme pour décaisser les fonds.
À quand le prochain ? En 2026, en suivant la logique de «chaque cinq ans».
Si vous avez eu votre dose de mauvaises nouvelles, passez votre chemin. Parce qu’ici, c’est du lourd. Lors du point de presse du PTr, cette semaine, Arvin Boolell était sombre : situation économique catastrophique, risque de dépréciation de la roupie, hausse de la taxe inévitable… Pourquoi ? Comment ? Tout ça serait dû au Premier ministre : «Pravind Jugnauth est un grand bluffeur.»
Le rapport du PRB et son coût, Rs 6,5 milliards, dont uniquement la somme de Rs 1,7 milliard prévue dans le Budget, ont mis en rogne le député. «Où vont-ils trouver les Rs 4,8 milliards qui manquent ? Pravind Jugnauth n’est pas clair», explique-t-il.
Arvin Boolell a décrié le manque d’informations et s’est demandé si c’est le Special Reserve Fund qui sera utilisé.
Il a également laissé entendre que ce serait une très mauvaise idée.
Ils ont fait le point sur le rapport. Le samedi 16 octobre, Xavier-Luc Duval, Nando Bodha, Roshi Bhadain et Reza Uteem, de l'Entente de l’Espoir, sont arrivés à la conclusion suivante ; les fonctionnaires ont été bernés par le gouvernement. «Ils ont été menés en bateau par le Premier ministre», a déclaré Nando Bodha, en évoquant la promesse électorale de Pravind Jugnauth qui avait assuré une rétroactivité des paiements de la hausse salariale à partir de janvier 2020. Les employés au petit salaire et les retraités de 2020 sont les grands oubliés, a-t-il ajouté.
Par ailleurs, les membres de l'Entente ont demandé que plus d'informations soient disponibles concernant la CSG pour les employés/es du service public, tout en s'interrogeant sur le mode de financement du rapport.
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