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Steven Obeegadoo, à cœur ouvert

13 juillet 2020

Chez lui, dans son bureau et dans son salon. Avec son chien. Et des clichés d’il y a longtemps, au temps où il portait encore la moustache, avec sa femme, ses filles, ses parents et ses beaux-parents.

Il bruine sur les hauts. Le fraîchement nommé Premier ministre adjoint, lui, n’a pas froid. Dans son incontournable chemise blanche-pantalon noir, il nous accueille dans le jardin caressé par les vents matinaux de la maison familiale, perchée sur les hauteurs de Floréal, avec vue incroyable que l’on peut admirer d’une terrasse transformée en salon détente. Les écharpes de brouillard, qui se sont dissipés au petit matin, ont laissé la place à une matinée fraîche. Mais ce n’est pas dans cette pièce aménagée que Steven Obeegadoo nous reçoit, ce jeudi 9 juillet, pour cette rencontre longuement négociée. Ce n’est que plus tard que nous découvrirons le living room, avec une entrée sublimée par un magnifique escalier en bois.

 

Et les cadres posés sur des dessertes ou alors accrochés aux murs. Des visages souriants, des images d’avant, des clichés de personnes aimées. Tout ce qui fait qu’une maison exulte l’essence de ceux et celles qui y vivent. C’est dans sa pièce préférée, son bureau aux canapés en cuir noir et aux murs recouverts de livres, que Steven Obeegadoo a décidé d’entamer une conversation qui prendra de nombreux chemins (à consulter ci-contre) et il s’expliquera sur son silence récent et inhabituel. Pour accompagner cet échange, de la musique classique : «Debussy, Chopin, ça me détend…» Il parlera aussi, pendant ces deux heures, de son engagement en politique, du Royal College de Curepipe où il est ami avec Pravind Jugnauth, de ses études, de son expérience d’enseignant, de son stage au journal Le Mauricien…

 

Et nous observerons sa soif d’érudition, ses bonnes manières, ses mots qu’ils pèsent. Sa maîtrise de ce qui nourrit son corps et son esprit, pour vivre son existence de la façon la plus optimale. Parce que ses journées sont longues. Ses responsabilités herculéennes. La pression intense (s’il veut vraiment être à la hauteur). No 2 du gouvernement, nouveau responsable du Tourisme (ministère critique en ce temps de crise) ainsi que des Terres et du logement : «Oui, c’est beaucoup. Mais je le vois comme une opportunité extraordinaire de servir la nation. Faire de la politique, c’est pouvoir agir de manière concrète pour les citoyens. La souffrance de l’humanité, je la ressens. C’est ma principale inspiration depuis que je suis adolescent.»

 

Il est 9 heures. Et la matinée de Steven Obeegadoo n’a pas débuté à six heures, comme il se l’impose pour inclure une séance de marche rapide autour de Trou-aux-Cerfs et un petit déjeuner ; tasse de thé au lait, assiette de fruits ou bol de céréales : «Au bureau, un café noir. Et le reste de la journée, du thé vert à la menthe.» La veille, il a eu une réunion tardive avec les membres de la Plateforme Militante, ceux qui le ramènent à l’essentiel. Il concède que, malgré tous ses efforts, il n’est pas un «lève-tôt» : «Le réveil a été pénible.» Surtout qu’avec le décalage horaire, il veille tard afin de pouvoir parler à sa femme, Karuna, née Bhoojedhur, et sa benjamine, Ishita, bloquées au Canada avec la fermeture des frontières mauriciennes à cause de la Covid-19.

 

Depuis plusieurs mois, l’avocat-politicien vit avec sa fille cadette, Tanya, 23 ans, récemment diplômée en droit et étudiante en criminologie, rentrée in extremis. Et en compagnie de son berger allemand, Bouledou : «C’est mon fidèle compagnon.» Il y a des jours – de grande joie comme une nomination au poste de DPM ou de grand désarroi – où il n’est pas aisé de faire sans toute sa tribu : «C’est certain que rentrer chez soi, retrouver sa famille, permet de se ressourcer. Par moments, ça me manque cruellement. Mais grâce aux technologies modernes, on maintient le contact.»

 

Sa famille, sa fierté : «Ne pas parler d’elle, ce serait faire l’impasse sur une grande partie de moi.» Et alors que nous découvrons les photos qui habillent son salon de sourires, que nous nous rappelons d’un Steven Obeegadoo moustachu, il évoque Karuna, sa «compagne de longue date», première actuaire de l’île, consultante aujourd’hui, qui «passe sa vie entre Maurice et l’étranger avec les filles». Et puis, il y a Nikhita, 25 ans, boursière de l’Université Stanford en Californie, détentrice d’une licence en informatique et en littérature, qui n’a pu rentrer, elle aussi : «Elle complète actuellement sa thèse de doctorat en littérature comparée à Harvard.» Ishika, 19 ans, est, elle, à Montréal pour une licence en science cognitive. «Je pourrais parler de mes filles pendant des heures», avoue-t-il. Mais le temps a filé, comme la bruine du matin, et la journée et ses responsabilités doivent reprendre leur cours…

 


 

Sur la question des squatters

 

En plein lockdown, l’éviction de squatters a ému l’île. Le ministre des Terres s’est retrouvé au cœur d’une polémique…

 

Vous aviez défendu votre décision en plein couvre-feu. C’est toujours le cas ?

 

L’État, même s’il était moralement interpelé, a dû agir. Trois quarts des familles sont rentrées chez elles. Je ne minimise pas leur souffrance. Mais on ne peut pas mesurer l’intensité de la souffrance par celle du bruit qu’on en fait. Des personnes sont enregistrées à la NEF, à la NHDC et suivent les règles. Il serait impensable que celles qui font plus de bruit aient la priorité par rapport à celles qui souffrent en silence. Reste que de nombreuses familles vivent dans la précarité ; cela m’est insupportable. C’est pour cela que la construction de logements sociaux me tient à cœur.

 

Ne faut-il pas agir maintenant ? Il y a des familles qui vivent sous des tentes…

 

Nous avons agi ! Nous avons mené des enquêtes sociales, nous nous sommes assurés que les enfants soient scolarisés et qu’il n’y ait pas d’adultes ayant eu à fuir un foyer à cause de violence conjugale. Ces personnes ont été aidées pour s’enregistrer au Self-Employed Assistance Scheme et pour obtenir un logement. Il y a un suivi avec les ministères de l’Égalité du genre, de l’Intégration sociale et l’Ombudsperson for Children.

 

Ses moments libres

 

«Il n’y en a pas beaucoup», confie-t-il. Heureusement, il fait ce qui le passionne : «De nouveaux dossiers, des échanges… Un proverbe africain dit, chaque jour l’œil va à l’école.» Le DPM trouve toujours le temps de lire. En ce moment ? Une biographie de Siddick Maudarbaccus, Patients, Patents and Pills, This Changes Everything (Capitalism vs the Climate) de Naomi Klein et Une Anthropologie de la Poésie Mexicaine : «Quand je travaillais pour l’Unesco, je passais mon temps libre dans les magnifiques librairies de Paris…» Pour la détente : un bon film, les sorties en famille, les amis, du sport, «j’adore la natation». Ses péchés gourmands ? «Le fromage, un verre de vin rouge occasionnellement, le pain et le café.»

 


 

Ses dossiers prioritaires

 

La relance du tourisme. «Je mène actuellement de nombreuses consultations pour réfléchir à la relance du tourisme, pour prendre la mesure des défis actuels et futurs, et la difficulté de ceux qui font vivre le secteur. Il faut penser la réouverture de l’espace aérien. Ce sont des milliers d’emploi qui sont en jeu. Il est impératif de mettre en œuvre une stratégie réfléchie et assumée.»

 

La construction de logements sociaux. «Ma préoccupation de tous les instants, un défi extraordinaire, c’est la construction de 12 000 logements sociaux. Ce chantier sera sans précédent. Il faut faire beaucoup, vite et bien.»

 


 

«Ma première pensée était pour Ivan Collendavelloo»

 

La révocation de l’ex-DPM dans le sillage de l’affaire Saint-Louis permet à Steven Obeegadoo d’accéder à ce poste…

 

«Je n’ai pas fait de déclaration depuis l’annonce de ma nomination parce que ma première pensée était pour Ivan Collendavelloo. Je trouvais cela indécent de me réjouir. Nous partageons une amitié qui a plus de 30 ans. Jeune avocat, j’ai fait mes premiers pas auprès de Madhan Gujhadur, alors éminence grise de la gauche mauricienne. Il m’a référé à Jayen Cuttaree, qui a été comme un père spirituel pour moi. Et à Ivan Collendavelloo, l’étoile montante du barreau mauricien. Notre amitié n’a nullement été affectée par les tournants de la vie politique. Après l’annonce de ma nomination, je l’ai appelé afin qu’on puisse se parler entre hommes et amis.»

 


 

Sa nomination : «Ascension fulgurante ? J’ai toujours été en politique»

 

Ses détracteurs ont qualifié sa nomination de mari promosion et ironiquement d’ascension fulgurante. Ils estiment qu’il n’est qu’un pion avancé, sur la base communale, par Pravind Jugnauth…

 

Fulgurante ? «Je suis en politique depuis toujours. À 15 ans, j’ai rejoint le MMM, inspiré par la souffrance humaine, les inégalités. J’ai distribué des pamphlets dans les gares routières, j’ai collé des affiches… Je ne comprends pas le terme ‘‘fulgurant’’. Je suis parfois peiné de lire les insultes et les méchancetés sur Facebook. Mais je ne peux que me réjouir de la pluralité d’opinion.»

 

Au nom de la communauté. «Je suis authentiquement et pleinement mauricien. Mais notre système politique est très marqué par le communalisme. Je vais continuer à me battre pour qu’avec le temps, nous dépassions ces préjugés. Ma longue expérience m’a appris que le changement se construit dans la durée, avec patience et que les grandes avancées reposent sur des compromis.»

 

Plus d’argent, plus de privilèges ? «Vous me croirez ou pas, mais je n’ai pas pensé à l’argent. Mon épouse m’a toujours reproché de ne pas savoir gérer mes finances. Je ne vois que l’ampleur de ma tâche et de mes responsabilités auxquelles je répondrai avec passion, intégrité et humilité.»

 

Euh, des motards. «Je n’ai pas très bien réalisé le changement jusqu’à ce que je vois des motards. J’étais gêné. En tant que citoyen lambda qui conduisait, ça m’avait toujours agacé. J’ai essayé d’en discuter pour m’en passer. Mais il s’agit d’un protocole de sécurité.»

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