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20 juin 2016 02:16
D’un côté, il y a la Speaker de l’Assemblée nationale, Maya Hanoomanjee, qui sanctionne une rédactrice en chef parce qu’elle juge que son éditorial est un «breach of privilege of the House». Après avoir demandé à Touria Prayag, rédactrice en chef du magazine Weekly, de s’excuser, chose que celle-ci a refusé de faire, la Speaker a jugé bon de lui interdire l’accès aux quatre prochaines séances parlementaires en guise de punition. Selon elle, il y a eu un manque de respect envers l’institution.
De l’autre, il y a Touria Prayag qui estime avoir livré en toute honnêteté ses impressions d’une séance parlementaire dans son éditorial intitulé Catch me if you can,paru le 28 avril. Face à la sanction de la Speaker, ne pas s’excuser a été un choix évident pour elle car c’est la liberté de cette profession qui en dépend. Depuis quelques jours, ce sujet est diversement commenté, soulevant nombre de questions, surtout chez les journalistes. Est-ce une tentative de limiter la liberté d’expression ? La presse peut-elle faire son travail librement ? Les éditorialistes peuvent-ils donner leur opinion sans la menace d’une sanction des politiques ?
Pour Touria Prayag, ce n’est pas un débat qui concerne sa personne, mais deux institutions que sont l’Assemblée nationale et la presse. Cette exclusion du Parlement, affirme-t-elle, est un signal triste pour notre démocratie :«C’est une attaque directe contre une institution qui est le quatrième pouvoir dans ce pays. Notre démocratie en sort complètement affaiblie.»La rédactrice en chef explique qu’elle n’avait pas le droit de s’excuser pour avoir fait son travail : «En m’excusant d’avoir donné mes impressions sur le déroulement de la démocratie, j’engage toute une profession avec moi. Aucun journaliste n’aurait alors le droit de rapporter honnêtement ce qui se passe à l’Assemblée nationale, ni d’exprimer son opinion par rapport au comportement de nos élus. Je ne peux pas faire ça. Aucun journaliste responsable ne l’aurait fait. Je préfère payer le prix de la liberté d’expression.»
Est-ce que l’article d’opinion Catch me if you canméritait une telle sanction ? Le journaliste Gilbert Ahnee répond d’emblée : «La réponse est non.»Selon lui, lorsque Maya Hanoomanjee a réclamé des excuses, il était évident que Touria Prayag n’allait pas les faire et que l’on devait s’attendre à une action de la part de la Speaker. Si Gilbert Ahnee ne se dit pas surpris de la décision de Maya Hanoomanjee, il estime que cet article est un commentaire juste de la part de l’éditorialiste qui a juste fait son travail : «On ne peut pas dire qu’il y a ‘‘malice’’ ou ‘‘mischief’’ et il n’y a absolument pas matière à réclamer des excuses.»
Pour Michael Jean Louis, chef d’édition de Le Dimanche/L’Hebdodu Défi Média Group, c’est le dialogue qui aurait dû primer. «Cela fait toujours mal de voir un/e journaliste être sanctionné/e pour ce qu’on pourrait appeler un délit d’opinion. Surtout que, comme l’a souligné le Media Trust dans son communiqué, la sanction est d’une grande sévérité, spécialement sur le plan symbolique. Je pense qu’il y avait d’autres moyens, beaucoup plus efficaces, pour la Speaker de réfuter le point de vue de la journaliste en question, de donner le sien et même d’expliquer à quel point sa tâche au Perchoir est compliquée»,déclare-t-il.
Effectivement, le Media Trust n’a pas tardé à réagir et à demander à la Speaker, par le bais d’un communiqué, de reconsidérer sa décision en raison de la liberté d’expression qui est un droit fondamental dans une démocratie. «Cette sanction, d’une grande sévérité, nous semble hors de proportion avec la situation commentée», a expliqué le Media Trust qui estime que «le délit d’opinion, auquel s’apparente désormais ce différend, est de moins en moins acceptable dans les démocraties modernes en ces temps de transparence accrue, où chaque institution se soumet volontiers au jugement de l’opinion publique».
À La Sentinelle, on juge cette exclusion choquante et comme une sérieuse atteinte à la liberté d’opinion. Décidé à se battre pour faire valoir ce principe fondamental à la liberté de la presse, la direction du groupe de presse a demandé à ses journalistes de, symboliquement, boycotter la séance parlementaire du matin, ce mardi, et invitera ses confrères des autres journaux à en faire de même en signe de solidarité et au nom du combat. Un geste qui n’a pas pour objectif de priver les lecteurs des affaires du Parlement, mais de faire comprendre que la liberté de la presse de faire son travail et de donner librement son opinion est un principe essentiel au déroulement d’une démocratie.
«Cette action symbolique contient le message que la presse ne peut assumer son devoir vis-à-vis de la population et de ses lecteurs, ni son rôle au sein d’une démocratie, si elle peut être sanctionnée arbitrairement pour délit d’opinion. Personne n’est infaillible : ni les citoyens, ni les journalistes, ni les parlementaires, ni les ministres, ni madame la Speaker, ni même le pape, pour exemplaire qu’il soit. C’est donc du ‘‘fair comment’’ que les choses peuvent progresser en société et si le commentaire n’est pas ‘‘fair’’, c’est de la pluie de commentaires défavorables que cela se saura, pas du coup de rotin – qui, si toléré aujourd’hui, peut se transformer en une action plus musclée et encore plus arbitraire demain ! Le crime de lèse-majesté relève de siècles passés. Les ‘‘majestés’’, empereurs ou rois, du Japon ou de Siam, sont après tout des hommes et des femmes, comme vous et moi»,explique Philippe Forget, Chairmande La Sentinelle.
Face à cet appel et à l’importance de cette cause pour la démocratie de ce pays, ce mardi, les journalistes du groupe ne se rendront donc pas à la séance parlementaire afin de réclamer le droit d’exercer leur métier et de donner librement leur opinion sur le gouvernement, les autorités et les décisions prises concernant la population, sans pour autant être sanctionnés.
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