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Tragédie de Mare-Longue : l’impossible deuil des proches des deux pèlerins

19 février 2023

À Albion, dans les parages de Camp-Créole, le temps est ensoleillé en ce vendredi 17 février. Néanmoins, tous les visages sont tristes et assombris, rendant l’atmosphère lourde, pesante. Sortis des quatre coins de l’île, de nombreuses personnes ont tenu à faire le déplacement jusqu’à ce petit village de l’Ouest, pour rendre un dernier hommage à Parmeshwar Dhookeeya, 35 ans, et Rohan Doorjean, des habitants de la localité, qui ont perdu la vie dans des circonstances tragiques la veille. Un drame national qui n’a laissé personne insensible.

 

Les deux jeunes, qui avaient quitté leur maison le mardi 14 février dans le cadre du pèlerinage du Maha Shivaratree, avaient pu gagner le lac sacré de Grand-Bassin sans aucune difficulté, en compagnie de leurs amis et proches. Mais c’est sur le chemin du retour, à hauteur de Mare-Longue, que la tragédie est survenue. Le kanwar de 21 pieds qu’ils transportaient et qu’ils ont mis environ deux mois à construire a touché un câble à haute tension du Central Electricity Board (CEB), avant de prendre feu. Ayant reçu une violente décharge électrique, les deux pèlerins n’ont pas survécu. 15 autres personnes, qui étaient en leur compagnie, ont subi de graves blessures. Parmi, plusieurs sont toujours hospitalisés.

 

À midi, soit deux heures avant les funérailles, ce vendredi 17 février, la route menant chez Parmeshwar Dhookeeya et Rohan Doorjean est bondée, nécessitant une forte présence policière. Depuis la matinée, amis, proches, voisins ou encore politiciens font le va-et-vient afin d’apporter leur soutien à tous ceux affligés par cette tragédie. Au coeur du brouhaha continu, dans cette foule immense, les mêmes conversations s’enchaînent : autour du choc, des circonstances dans lesquelles les deux jeunes hommes ont quitté ce monde mais aussi des souvenirs merveilleux et formidables que les victimes laissent chacun derrière elles.

 

À l’avenue Belle-Vue, petite ruelle menant jusqu’au domicile de Parmeshwar Dhookeeya, l’attention est vite portée sur le visage abattu et éploré de Sarita, la mère du jeune homme de 35 ans. Retenant difficilement ses larmes, elle ne peut se faire à l’idée qu’elle doit faire ses adieux à son enfant. Le coeur lourd, elle revient sur cette journée fatidique ayant bouleversé sa vie à jamais : «Ils avaient quitté la maison vers 13 heures, mardi, et j’avais régulièrement de leurs nouvelles au téléphone. Lorsqu’ils étaient injoignables, j’appelais leur ami qui décrochait toujours.»

 

Innombrables projets

 

Cependant, le jeudi 16 février, «personne ne décrochait. J’ai alors eu un mauvais pressentiment et je me sentais mal. J’en ai fait part à une collègue qui m’a demandé de rentrer à la maison. J’ai à peine eu le temps de déposer mes affaires que ma fille a appelé pour me demander de me rendre à l’hôpital munie de la pièce d’identité de mon fils. Elle m’a expliqué qu’il avait été blessé après que le kanwar a pris feu». Dans la hâte, dit Sarita, elle s’y est rendue avec l’acte de naissance de son autre enfant, Mahesh, qui faisait également partie de la petite bande. Rassurée de constater que ce dernier, bien que très blessé, était hors de danger, sa tranquillité d’esprit l’a vite quittée devant l’hésitation des infirmiers et policiers à lui dire où se trouvait son fils Parmeshwar. «Ils ont insisté pour que je leur remette sa carte d’identité et son acte de naissance mais ne voulaient pas me dire ce qui lui était arrivé. J’ai fini par comprendre qu’il nous avait déjà quittés», lâche-t-elle, dépitée.

 

Pas marié et sans enfants, Parmeshwar Dhookeeya avait d’innombrables projets. Il cumulait des petits boulots pour gagner sa vie mais espérait de tout coeur retrouver du travail comme skipper ; un métier qu’il a autrefois exercé au Club Med d’Albion. «Li ti bien kontan lamer. Bien souvent, lorsque je l’appelais parce qu’il mettait du temps à rentrer du travail, il me répondait qu’il était à la plage avec des amis», confie sa mère. Mais l’océan n’était pas sa seule passion. Beaucoup se rappellent du trentenaire comme d’un amoureux du ballon rond. D’ailleurs, il a fait ses débuts à l’Albion Rovers, avant d’intégrer le club régional Association Sportive Black Riverside (ASBR) comme gardien de but. «Toutes les semaines, il allait à ses entraînements ou participait à des compétitions sportives. Ce sport le passionne depuis l’adolescence.»

 


Très pieux, Parmeshwar Dhookeeya participait aussi au pèlerinage de Grand-Bassin depuis plusieurs années, accompagné des autres membres du Trishuldhary Shiv Mandir d’Albion. Pendant près de deux mois, avant cet événement tant attendu, ils se sont rencontrés régulièrement pour récupérer des tiges de bambous et confectionner leur Kanwar. Nul ne se serait alors imaginé que ce pèlerinage allait être fatal pour deux des leurs.  La mère de famille se console de savoir que son autre fils, Mahesh, s'en est sorti. Ce dernier, qui a également été blessé après avoir reçu une violente décharge électrique, a tenu à assister aux funérailles de son frère. Hospitalisé, il a été conduit à Albion dans une ambulance, ce vendredi 17 février, pour pouvoir rendre un dernier hommage à son frère, avant d'être ramené à l'hôpital.

 

À l’avenue Flamingo, où vivent les proches de Rohan Doorjean, l’atmosphère était tout aussi pénible et accablante ce vendredi 17 février. Assise devant la dépouille de son benjamin, Kara, en larmes, est consolée par son époux Vijadev. Bien que tous leurs proches aient fait le déplacement pour les épauler dans ces moments difficiles, les mots leur manquent pour apaiser l’insoutenable douleur de ces parents effondrés. Se remémorant ses derniers instants avec le jeune homme, qui aurait célébré ses 23 ans cette année, Kara raconte, peinée : «Il avait quitté la maison aux alentours de 19 heures, alors que tous ses amis avaient déjà commencé le pèlerinage. Il était allé les rejoindre en voiture. Il n’en était pas à son premier pèlerinage. Il s’y rendait tous les ans, depuis plusieurs années, avec le même groupe, composé d’habitants d’Albion. Zot tou kamarad, zot al ansam touletan. Zame pa finn ariv okenn problem.»

 

Deux jours plus tard, contre toute attente, «nous avons appris, de mon beau-frère, que le kanwar avait pris feu. Li ti fini kone ki ti arive me pa finn dir nou nanye. Mo frer ousi ti sone ti dir mo zanfan inn brile», lâche Kara, la voix nouée par l’émotion. «Nous avons aussitôt fait venir un taxi pour nous conduire à l’hôpital Victoria, à Candos. Sur place, nous avons vu plusieurs membres de leur groupe ayant subi de graves brûlures mais je ne voyais pas mon fils. Quand je me suis renseignée, on m’a dit qu’il était à l’hôpital de Rose-Belle. À mi-chemin, j’ai à nouveau reçu un appel pour nous demander de faire demi-tour. Au même moment, nous avons vu trois ambulances passer à côté. Je pense qu’il était dans l’une d’elles. Quand nous avons finalement pu gagner l’hôpital Victoria, nous ne l’avons pas trouvé. On nous a dit que le nom de mon fils ne figurait pas sur la liste des blessés hospitalisés. Puis, on m’a informée qu’un dénommé Rohan était aux soins intensifs. Je m’y rendais lorsque mon époux m’a retenue ; il m’a appris qu’il avait déjà rendu l’âme.» Aucun mot ne peut décrire ce que le couple a ressenti en apprenant la nouvelle. «Li ti enn bon garson. Nou pa kone kouma nou pou sirmont sa», lâchent Kara et Vijadev, avant d’éclater en sanglots.

 

Rohan Doorjean travaillait comme menuisier aluminium. Avant cela, il cumulait plusieurs petits boulots, notamment dans des hôtels et supermarchés, jusqu’à ce qu’il trouve sa voie. Il envisageait d’ouvrir son entreprise bientôt. «Mo ti pou al aste enn masinn pou li sa mwa lamem, pou li kapav koumans travay par limem», regrette le père de Rohan Doorjean. Ce dernier laisse aussi derrière lui un frère aîné, Aniket, âgé de 25 ans. Le vendredi 17 février, les dépouilles de Parmeshwar Dhookeeya et Rohan Doorjean ont quitté Albion ensemble, pour se rendre au crématoire de Saint-Georges, à Petite-Rivière.

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