Publicité

Vassen Kauppaymuthoo, ingénieur en environnement et océanographe : «Nous devons nous préparer et construire notre résilience»

23 janvier 2024

On connaissait la trajectoire de Belal. Pourtant, les effets du cyclone nous ont pris par surprise et le pays a vite été dépassé par les conditions climatiques. Qu’est-ce qui a mal tourné, selon vous, le lundi 15 janvier ?

 

Les prévisions à long ou moyen terme ont été erratiques, mais au fur et à mesure, les modèles mathématiques ont convergé pour confirmer la trajectoire sur ou proche de la Réunion. Ainsi, depuis le 12 janvier 2024, les stations météorologiques de la Réunion et de Maurice étaient au courant que Belal allait continuer à s’approcher de nous et que le danger allait augmenter. Cependant, les prévisions de cyclone tropical intense ont été revues à la baisse en termes de vents. Belal n’était pas vraiment un cyclone tropical intense puisqu’il était de Catégorie 1 et qu’il a été rapidement rétrogradé en forte tempête tropicale quand il est passé près de notre île. En fait, les rafales de vent ont à peine atteint les 120 km/h et l’alerte cyclonique de classe 4 a été vraiment de courte durée. Donc, si vous parlez de Belal en termes d’envergure, je vous dirais que nous avons fait face à un météore de faible intensité. Effectivement, si sa puissance avait été supérieure et s’il était passé plus près de notre île, la situation aurait été cataclysmique.

 

Pourtant, il a mis en exergue les failles de notre système. Quelles leçons devrions-nous en tirer ?

 

Quand on met en place un système d’alerte de gestion des désastres, avec des protocoles bien établis, ces derniers doivent être testés en situation réelle. Dans le cas de Belal, il est certain qu'il a démontré que nous avons failli et que notre système est totalement défaillant, d’autant plus qu'il ne représentait qu’un cyclone de faible intensité. Je n’ose imaginer ce qui se serait passé si Belal s’était renforcé en cyclone de catégorie 4 ou 5 comme Hollanda.

 

Ce système justement, doit-il, selon vous, être réinventé ou alors amélioré ?  

 

Le système d’alerte actuel ne prend pas en considération les différents aspects dangereux d’un cyclone, et comme je l’avais mentionné dans la presse, la semaine précédant le passage de Belal, la force et le danger d’un cyclone résident moins dans les vents que dans l’eau. Le système actuel de classes est basé sur un chiffre arbitraire de tempos jusqu’à ce que des rafales de 120 km/h soient enregistrées, mais les aspects de pluies diluviennes et de houles, marées et d’ondes de tempête ont été omis, ce qui a causé le chaos que nous avons connus. Le système d’alerte de la Réunion qui est le point focal de l’Organisation météorologique mondiale des Nations Unies est beaucoup plus simple, avec un code de couleurs, mais aussi des niveaux de dangers par rapport aux houles ainsi qu’aux rivières en crues. Le système a failli, et il faut définitivement le changer.

 

Aurions-nous pu mieux nous préparer à votre avis ?

 

Il est clair aujourd’hui que si nous étions restés à l’abri ce lundi fatidique du 15 janvier 2024, la situation aurait été beaucoup moins grave que ce que nous avons vécu avec Belal. Nous aurions définitivement pu mieux nous préparer et anticiper pour mettre la population à l’abri, comme cela a été fait pour les enfants.

 

La Réunion qui a été frappée de plein fouet par Belal ne semble pas avoir subi autant de dégâts que nous. Qu’est-ce qui explique cela selon vous ?

 

Belal a été un système d’une intensité plus faible que prévu en termes de vents et les Réunionnais ont été préparés et prévenus du danger quelques jours avant le passage du cyclone. La préparation et la prévention jouent un grand rôle dans ce type de situation, même si dans les hauts de la Réunion, certaines rafales ont avoisiné les 180 km/h.

 

Contrairement à la Réunion, il y a eu chez nous un vent de panique. Devrait-on davantage sensibiliser les Mauriciens afin qu’ils soient mieux préparés aux cyclones ?

 

Je pense que notre population est très bien préparée à faire face aux risques cycloniques en termes de vents, et que le système a permis de sauver beaucoup de vies. Cependant, avec la complexité des phénomènes météorologiques ainsi que les différentes facettes du danger cyclonique qui comprennent les facteurs atmosphériques, océanographiques et hydrologiques, il faut mettre en place un nouveau système. Mais si la population est bien alertée (par exemple, s’il y avait eu une classe III ce lundi 15 janvier 2024), nous sommes prêts à faire face au risque des vents. En ce qui concerne les submersions marines ou les inondations, nous sommes cependant encore au dépourvu.

 

Port-Louis a, une fois de plus, été prise au piège des eaux. Qu’est-ce qui explique selon vous que la capitale soit aussi vulnérable ?

 

La situation de Port-Louis est le fait d’une conjonction de facteurs qui ne sont pas liés à la force du vent de Belal, mais à l’onde de tempête, de la houle cyclonique de plus de 10 mètres, de marées astronomiques avec un fort coefficient ainsi que de bandes nuageuses très actives qui ont déversé des trombes d’eau sur Maurice en un temps très court. Tout cela a causé une montée rapide du niveau de la mer combiné à une descente de quantités énormes d’eau des montagnes, causant ce qu’on appelle un «coastal squeeze», la zone côtière étant prise au piège entre la mer et l’eau des montagnes. C’est un phénomène très dangereux dont j’avais alerté des dangers depuis la semaine dernière.

 

Avec le changement climatique, devrions-nous craindre d’autres épisodes de ce genre ?

 

Il faut rappeler que nous sommes au début de la saison cyclonique (Lettre B pour Belal) et que nous devons nous attendre à 6 ou 8 systèmes cycloniques pendant cette saison. Je pense que Belal a été un «mock exam», un exercice, mais toutes les conditions atmosphériques et océanographiques sont réunies cette année pour que nous ayons à faire face à un vrai cyclone intense, se développant de façon explosive, avec une pluviométrie de l’ordre de 1 000 mm (au lieu des 150 mm que nous avons reçus avec Belal), des vents de plus de 300 km/h et des houles et une submersion marine pouvant atteindre les 10 mètres de haut, soit l’équivalent de trois étages. Il faut savoir que 2023 est l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis plus de 120 000 ans avec les océans qui se réchauffent, le phénomène El Nino, le maximum solaire en 2024, les marées astronomiques. C’est la réalité du bouleversement climatique dans laquelle nous devrons désormais vivre, d’où l’importance et la responsabilité des services météorologiques pour prévenir et informer, ainsi que le rôle des autorités pour augmenter notre résilience. Ce dont j’ai parlé il y a une dizaine d’années, mais qu’on a toujours considéré comme alarmiste, est aujourd’hui une réalité.

 

Quelles sont les solutions, selon vous, pour ne pas revivre un scénario tel que celui du 15 janvier ? 

 

Il faut agir à plusieurs niveaux : se préparer et construire notre résilience, améliorer nos infrastructures de drainage d’eau et éliminer les zones qui représentent un obstacle au passage de l’eau, préparer dès maintenant un recul des zones côtières et une relocalisation des activités et des personnes qui y vivent, ces derniers devenant des refugiés climatiques, et décréter des zones non habitables à Maurice. Pourquoi ? Parce qu’il est désormais acquis que certaines parties du monde, notamment les zones côtières ainsi que les zones inondables, les zones humides et les berges des rivières seront dangereuses. Il ne faut pas oublier que les canicules comme celle que nous avons connue quelques semaines avant Belal, prendront aussi des vies dans les grandes villes et les zones urbanisées comme Port-Louis qui deviendront inhabitables. En deux mots, il nous faudra humblement faire face aux conséquences de nos actes, car il ne faut pas l’oublier, ce sont nos actions et notre cupidité qui ont causé le changement climatique. Il faut maintenant se préparer à en assumer les conséquences.

Publicité