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Vécu en confinement : j’ai perdu un de mes proches

28 avril 2020

Corinna Sirop : «C’est ce qu’il voulait…»

 

Ce matin-là, tout s’était passé normalement. Elle lui avait brossé les dents, donné à boire à la cuillère. Elle avait assuré son quart (elle se relayait avec ses deux enfants) au chevet de son mari Sylvestre. C’est vrai qu’il n’allait pas bien depuis quelque temps. Il avait eu une rechute ces derniers jours. Après deux congestions il y a sept ans, les facultés de l’homme de 66 ans étaient limitées. Mais là, les choses avaient empiré : «Selon le médecin que nous avions fait venir, il avait eu une infection urinaire. Je pense qu’il a fait encore une congestion. Il ne marchait pas, il ne mangeait pas. Rezman, kan Bondie pou pran ou, li pa nek pran ou ale. Linn prepar nou dan enn sertenn fason.» Puis Sylvestre s’est éteint, chez lui.

 

À partir de là, les heures se sont enchaînées vite. Il a fallu initier les démarches. Contacter le médecin pour avoir le certificat de décès. Prévenir les proches. Puis Elie and Sons qui s’est chargé de tout (le bain, l’embaumement, la mise en cercueil). «Ils sont venus le prendre. On ne pouvait pas le garder, nous habitons au troisième étage. Nous n’avons pas fait de veillée à cause des restrictions.» Au cimetière de Saint-Jean, on a ouvert le cercueil pour faire un adieu à Sylvestre : «Nous étions à dix, comme le veut le règlement. Uniquement les très proches. Il n’y avait pas de prêtre. Nous avions apporté de l’eau bénie, nous avons fait des prières et nous lui avons rendu hommage. Tout s’est très bien passé. Pour ceux qui n’étaient pas là, nous avons fait un live.» Pendant huit jours, la mère et ses deux enfants ont fait la prière quotidienne pour le repos de l’âme de leur mari et papa : «Nous avons pu aller quitter les fleurs sur sa tombe le neuvième jour.»

 

Corinna ne ressent pas de tristesse pour cet enterrement différent : «C’est vrai que si c’était un jour normal, nous aurions fait mieux. Mais il sait que nous avons fait notre maximum. D’ailleurs, c’est ce qu’il voulait, que ça se passe tranquillement. Li ti personel. Il m’avait dit que s’il mourrait, de ne pas faire dire son nom à la radio. Linn anvi al trankil, comme il a vécu ces dernières années.» Ce qui la réconforte, c’est que Sylvestre s’est toujours senti entouré de sa femme et de ses enfants : «Nous avons vu sa souffrance. Nous nous sommes toujours bien occupés de lui. Nous l’avons accompagné avec amour. Linn trouv so sime, linn ale.»

 

Même si ses proches sont loin, elle est bien entourée : «Tous les jours, nous faisons des video calls. Je ne me sens pas seule : c’est comme s’ils étaient avec moi. Je voudrais remercier tous ceux qui ont été là dans ces moments difficiles. Et aussi Elie and Sons qui a fait un travail formidable.»

 


 

Nizam Tupsy : «Tout s’est fait très vite»

 

À 4 heures du matin, Hamid Tupsy s’est éteint. Nizam, son fils, et la famille se sont occupés des démarches et ont contacté les proches : «Nous leur avons dit que ce n’était pas nécessaire de venir. De toute façon, en ce temps de lockdown, les gens ne peuvent pas vraiment bouger. Et tout s’est fait très vite.» Quelques heures plus tard, à la maison, puis au cimetière, un imam, un ami de la famille, s’est chargé de faire les prières : «Normalement, il y a plusieurs étapes, la prière à la mosquée en est une, mais là, il a fallu faire sans. Alors, nous avons fait ce qu’il fallait pour ne pas avoir de problème.» Le plus important, pour Nizam, c’est que, pour son, «bann la priyer inn fer kouma bizin fer».

 


 

Marie : «Pas à la morgue !»

 

Perdre sa maman, un déchirement pour Marie. La jeune femme a dû dire au revoir à celle qu’elle aimait tant en période de confinement et avec des mesures restrictives qui ont rendu ce moment douloureux encore plus difficile à vivre. Si les veillées sont interdites, il était impensable pour cette mère de famille de faire sans. Surtout que la mise en terre a été retardée : «Nous avons dû patienter car il y a la règle des deux enterrements par jour au cimetière. Donc, ce soir-là, nous avons accueilli la famille et les proches des environs à la maison. Nous ne pouvions pas laisser notre maman aller à la morgue, quand même.» Pour la cérémonie religieuse, la possibilité de trouver un peu de réconfort à l’église n’a pas été possible : «Elle a été faite à la maison avec l’aide d’un prêtre.» La mise en terre, en petit comité, en toute sobriété : «J’aurais souhaité quelque chose d’autre pour elle, elle qui était si aimée. Mais on l’a accompagnée jusqu’au bout, c’est ça le plus important.»

 


 

Un membre de la famille Jugessur : «Il y a beaucoup de tristesse»

 

Une grand-mère qui s’en va. C’est de l’amour qui s’envole. Mais qui s’attache aussi au cœur pour toujours. C’est la réalité de la famille Jugessur en ce moment : apprendre à vivre sans le pilier de toute une famille. Alors, les temps sont difficiles et il flotte dans l’air un parfum de tristesse depuis quelque temps ; c’est pour cela que celle qui nous parle ne souhaite pas publier son nom, ni celui de sa grand-mère. «Un de ses petits-enfants devait se marier. Il vient de l’étranger, il a dû rester en quarantaine, le mariage a été annulé à cause du Covid-19, grand-mère est morte ; ça fait beaucoup pour nous. Il y a beaucoup de tristesse», confie-t-elle. 

 

La famille a tenu à rendre un bel hommage à la grand-mère. Même si la crémation et les rites funéraires ont été différents pour cause de coronavirus : «Les membres de la famille qui habitent loin n’ont pas pu venir ; les sœurs de ma grand-mère, par exemple. Mon frère et mes cousins qui sont au Japon ou en Afrique du Sud, non plus. Au moment de la crémation, nous avons fait un live sur WhatsApp ; tous ceux qui n’étaient pas présents physiquement ont, quand même, pu être là.» Après le décès, explique notre interlocutrice, il faut normalement garder le corps une nuit : «Mais avec la situation, nous n’avons pas osé le faire. Elle était hospitalisée, donc, elle est restée à la morgue. Deux heures avant la crémation, elle est venue à la maison.» Là, «tous les voisins et de nombreux proches étaient là» : «Nous avons tous pris les précautions nécessaires avec masques et gants.» Au crématorium, une vingtaine de personnes et un religieux étaient présents.

 

Pour notre interlocutrice, «rien n’était pareil» : «Ca me rend triste. Mais nous n’avions pas le choix. Ce n’est pas facile.»

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