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Vécu : quoi d’neuf, prof ?

5 juin 2020

Cédric Thérèse, enseignant de Grade 4 : «En contact avec la moitié de la classe»

 

Pour celui qui bosse à Souillac, le vrai challenge débutera à la rentrée…

 

«Je me dis surtout que j'ai pris du retard dans le travail à cause du confinement. Mais aussi avec les interruptions du premier trimestre. Comme la majorité des profs, j’ai mis en avant les classes en ligne mais cela s’avère compliqué car je ne peux introduire des nouveaux chapitres mais juste envoyer des devoirs de révisions par WhatsApp ou Messenger (Facebook)... Aussi, je ne suis en contact qu’avec la moitié de la classe, parce que tout le monde n’a pas accès aux outils pour se connecter (Internet, smartphone). J’essaie, malgré tout, de fournir le maximum de travail. Ce n’est pas difficile maintenant mais je m’attends à ce que ce soit compliqué à la rentrée car il y aura des protocoles sanitaires à suivre... C’est difficile de s’assurer qu’un enfant reste avec son masque pendant toute une journée. Et avec le travail à rattraper, ce sera quelque chose ! On se prépare à faire face à ce nouveau challenge...»

 

Ziad Peerbux, enseignant d’un établissement privé et «prof sans frontière» : «Tout est normal»

 

Son approche n’est pas conventionnelle mais donne envie ! Du slam, de la poésie, des quiz… Demandez le programme !

 

«Il y a eu pas mal d’activités. Au départ, c’était dictée pour tout le monde ! Et j’ai passé beaucoup de temps à corriger les copies. Ensuite, il a été question de poésie avec des tournois de poésie et de slams sur les plateformes telles que Facebook ou Zoom. Puis, on a suivi le grand slam des collèges et des lycées français. Je suis également un grand fan de quiz. J’en ai organisé grâce à la plateforme Kahoot !. Mon objectif est d’encourager à aller vers la lecture. Je pense à un atelier, Fabrique ton livre, avec peu de choses à avoir sous la main. J’organise également des débats pour discuter du pays, de la terre, de l’humanité.

 

Pour les classes traditionnelles, on suit le programme de l’International Baccalaureate. Depuis des années, Le Bocage est armé pour faire face à une situation comme celle qu’on vit actuellement. Tout se passe normalement. Les élèves sont en classe de 8 heures à 15 heures, avec leurs breaks et récrés. La seule différence, c’est qu’ils sont chez eux. Je prends les présences, le matin. Si un élève se réveille tard, je peux comprendre. Mais je lui parle par la suite. On assure une qualité de l’éducation. Nos classes d’activités continuent, nous prévoyons même une plateforme Zoom pour la fête de la Musique. Je pense que c’est ça l’éducation d’aujourd’hui, une éducation sans frontière.

 

Une classe chez nous, les Pioneers, regroupent des enfants qui ont certaines difficultés d’apprentissage ; il y a une méthode d’adaptation pour qu’ils ne se sentent pas isolés. Voilà, nous sommes une école complémentaire avec des professeurs extraordinaires. Mes élèves coopèrent. Bientôt, on va donner nos bulletins, envoyés à la maison. Il y a eu même des rendez-vous avec les parents sur Zoom. Tout est normal !»

 

Nicole Hack, enseignante au primaire : «Mon amour est inconditionnel»

 

La «miss» préfère parler d’amour que de timetables contraignants… De la spécificité de l’enseignement qui met en lumière l’humain, au sein d’une vraie salle de classe.

 

«Je suis très impressionnée par ce confinement et tout ce que cela  enclenche… tellement que cela me paraît presque irréel. Je suis institutrice et je le dis sans détour : mes petits élèves sont ma raison de vivre. Le 30 avril, je ne tenais plus en place car ça faisait plus d’un mois que je n’avais pas vu mes petits. J’ai donc écrit à chaque enfant de ma classe via leurs parents pour leur dire à quel point ils me manquaient.

Je pense à eux, à leurs yeux pétillants, à leur sourire contagieux et surtout, à ce qui nous distingue, la spécificité de notre classe : celui de résoudre les conflits de la récré.

 

Une pensée aussi à mes anciens élèves, les cuvées qui terminent chaque année la Form VI – non, le cordon ne se coupe jamais – et pour qui, tous les ans, avec l’aide de quelques collègues, nous organisons une dernière soirée. Eux, ce sont ces anciens élèves qui nous quittent en fin du cycle primaire et qui partent dans différents collèges. À la fin de leur cycle secondaire, avant qu’ils ne quittent le pays pour les études tertiaires, j’ai pris l’habitude de recevoir en juillet, une fois encore, ces enfants devenus maintenant jeunes gens et qui vont bientôt faire leur entrée dans la vie d’adulte. Je ne peux exprimer l’émotion et la joie de ces retrouvailles. Depuis janvier de cette année, ceux qui vont partir bientôt vers d’autres cieux, ceux qui vont terminé leur scolarité, m’ont contactée pour cet événement. Hélas, je ne sais pas si nous pourrons le faire mais je ferai de mon mieux.

 

La méthode d’enseignement a changé, a évolué, dit-on, les élèves, qu’ils soient en primaire ou en secondaire, ont besoin de communiquer, d’être écoutés et rassurés, d’attraper notre main aimante, ils ont besoin de notre calme, de notre force et de nos rires. Je fais souvent référence à une coupure d’électricité soudaine dans la nuit... et la main qu’attrape l’enfant et qui lui redonne confiance. Mon amour est inconditionnel.  En retour, mes petits m’expriment leur affection… Durant ce difficile confinement, ils me l’ont encore et souvent exprimé à leur manière. Certains diront qu’un enseignant n’est pas obligé “d’aimer” ses élèves. Mais comment ne pas les aimer, ils sont tellement remplis de tout ce qui me complète. L’art d’être enseignant, c’est aussi l’art d’aimer les petits êtres qui traversent votre vie.»

 

Krishnee Adnarain Appadoo : «S’adapter de façon innovante et effective»

 

Son introduction, une citation de William A. Ward : «The mediocre teacher tells. The good teacher explains. The superior teacher demonstrates. The great teacher inspires.» Et on comprend très vite que la prof d’université à un planning au top et une sacrée énergie.

 

«La pandémie de Covid-19 nous a secoués de façon violente, affectant tous les aspects de nos vies, nous laissant dans l’incertitude de l’avenir. De nombreux secteurs économiques ont souffert de tout ça. On oublie parfois que l’éducation également. En tant que Lecturer en droit, de la faculté de Law and Management de l’université de Maurice, j’ai dû m’adapter et répondre aux problématiques que posait la pandémie de façon innovante et effective afin que mes étudiants puissent compléter leur programme. Les cours ? Il a fallu s’adapter rapidement et basculer sur Zoom, Google Meet, Google Classroom (GC), Blackboard ou Moodle, WhatsApp, afin de maintenir une relation enseignant/apprenant ; quelque chose d’impensable il y a peu. Pour moi, ça n’a pas été compliqué. J’aime la technologie et j’utilise Google Classrooms (GC) depuis 2019. Et aussi Zoom pour des meetings concernant mes recherches internationales et pour mes projets pour les Nations unies, entre autres. J’ai – bien heureusement ! – investi dans un compte Zoom payant depuis 2018, donc les cours en ligne ne sont pas problématiques.

 

Pour mes étudiants en undergraduate level, pas de problème ; ils ont accès à GC grâce à un code, depuis le début de l’année universitaire. Ils peuvent consulter mes notes de cours, mes propositions de lecture, des quiz, les devoirs, les enseignements. Ils ont eu droit à des sessions de Zoom hebdomadaires pour les aider dans leurs dissertations. J’ai commencé, avec le confinement, à offrir des séances de free coaching pour le LLB et le LLM pour les étudiants de l’université de Maurice, mais pas que, qu’ils soient undergraduate ou postgraduate. J’essaie d’aider également les collégiens qui se préparent pour les examens de A Level en français, sociologie, anglais et pour le General Paper. Je maintiens également mes responsabilités administratives et de recherches, et je poursuis mon PhD à distance, tout en travaillant sur d’autres projets qui touchent la communauté.»

 

Marine, prof du secondaire : «Je ne suis pas une baby-sitter»

 

Elle ne veut pas témoigner à visage découvert (son prénom est modifié). C’est parce qu’elle estime qu’elle a des vérités qui ne sont pas bonnes à entendre, surtout pour sa hiérarchie.

«C’est ma huitième semaine de travail. Je travaille du lundi au vendredi… Bon, ça, c’est ce que je suis censé faire ! Mais...

  • Les élèves nous envoient leurs devoirs 7j/7, 24h/24 (devoirs en retard que je reçois à 2 heures, 4 heures du matin). Donc, je suis connectée au boulot sans cesse !
  • Les recteurs envoient des messages même le week-end ou alors tôt le matin... Je trouve que c’est un non-respect de la vie privée car nombreux sont les profs qui sont aussi parents (je fais du homeschooling pour mon enfant).
  • Je travaille via un mobile (je n’ai pas d’ordinateur). Ce qui rend le travail un peu plus complexe ; ça prend plus de temps et c’est très peu pratique. Ça ne remplace certainement pas une bonne interaction comme en classe. On ne peut pas tout monitor.
  • Les élèves ne sont pas tous intéressés... Ils inventent mille excuses pour ne pas bosser (facile, on est loin). Certaines écoles mettent la pression pour qu’on soit sur le dos des élèves. Je trouve que ce n’est pas mon rôle car ils sont à la maison et ça revient aux parents de s’y atteler. Je suis prof, pas baby-sitter !
  • On fait avec les moyens dont on dispose mais on ne peut pas faire plus. Chez moi, les vidéos ne sont pas possibles. Il y a d’autres membres de ma famille qui bossent en même temps. Le gouvernement proposait aux fonctionnaires qui devaient work from home une somme pour l’Internet, etc. Nous, non ! C’est ma connexion perso, mon mobile. D’ailleurs, à cause des dettes qui se sont accumulées, je vais cut cost et enlever ma connexion Internet, ce qui est mon droit. Mais comment faire pour travailler ?
  • Tous les profs reçoivent leurs salaires mais parmi, il y a ceux du primaire qui ne bossent pas du tout, la situation n’est pas équitable...
  • Il y a aussi ce que propose le ministère et ce que certaines écoles privées décident, ce qui n’est pas forcément pareil.
  • Je souhaite vivement la fin de ce homeschooling forcé mais pas forcément efficace ! Je ne peux sincèrement pas me donner à 100 %. Ce qui m’attriste. C’est dommage pour les élèves.»
     

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