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Par Yvonne Stephen
14 décembre 2025 18:21
Pour le gouvernement, le montant annoncé constitue un compromis responsable. Mais pour les syndicats et de nombreux salariés.es, cette somme est insuffisante.
Comme une vona corana au soleil. Ça va fondre en un passage à la caisse. Mireille, 42 ans, maman de trois enfants le dit : «Est-ce que le gouvernement sait combien coûte une barquette de poulet, un paquet de lait en poudre, une boîte de corned beef ? Non je ne crois pas.» La compensation salariale ne passe pas soup auprès de ceux.celles que nous avons interrogés.es (voir ci-contre). L’annonce est tombée ce vendredi 12 décembre à l’Assemblée Nationale : le quantum a été fixé à Rs 635 par mois dès janvier 2026, applicable aux salariés percevant un salaire de base ne dépassant pas Rs 50 000. Une décision justifiée par le gouvernement par un taux d’inflation établi à 3,7 % par Statistics Mauritius, et présentée comme un compromis responsable dans un contexte économique jugé contraignant.
Sur le papier, la mesure concerne près de 409 400 salariés, soit 88 % de la population active, pour un coût annuel estimé à Rs 3,38 milliards. En parallèle, l’exécutif a également acté une hausse de 3,7 % des pensions de base et de l’Income Support, touchant plus de 325 000 bénéficiaires, pour une enveloppe supplémentaire de Rs 2,4 milliards. Mais derrière les chiffres, la réalité sociale est bien plus rugueuse, selon les syndicalistes. Et la compensation salariale 2026 est loin de faire l’unanimité. Syndicats et représentants des travailleurs.ses dénoncent une décision déconnectée du terrain, révélatrice d’un malaise plus profond : celui d’un pouvoir d’achat qui s’érode, d’une classe moyenne qui se délite, et d’un dialogue social qui semble de plus en plus formel.
Le gouvernement, lui, assume. Le Premier ministre Navin Ramgoolam, en présentant les modalités à l’Assemblée nationale, a insisté sur la nécessité de préserver l’équilibre macroéconomique tout en protégeant les plus vulnérables. Le ministre du Travail, Reza Uteem, souligne que la compensation salariale résulte d’un compromis tripartite entre syndicats et patronat, tandis que des mesures de soutien spécifiques aux PME en difficulté sont à l’étude avec le Cabinet. Il est clair que les dirigeants estiment, donc, faire «l’effort maximal possible». Propos du ministre du Commerce, Michael Sik Yuen. Il a rappelé qu’«une décennie de dégradation économique ne se répare pas en quelques jours». De son côté, le ministre de la Sécurité sociale, Ashok Subron a adopté un ton résolument politique, fragilisant, encore plus, les ailes du papillon : «Ce gouvernement aime les travailleurs de Maurice», a-t-il déclaré à l’issue du Conseil des ministres, affirmant un attachement tant aux salariés du privé qu’aux fonctionnaires et aux pensionnaires. Des propos qui ont fait bondir plus d’un.e, syndicaliste ou Mauricien.ne.
Du côté des fonctionnaires, la déception est palpable. Même si elle était attendue.
Pour Reaz Chuttoo, président de la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP), la tripartite n’a été qu’un «show», sans véritables négociations. Il rappelle qu’i n’y avait pas que le chiffre de l’inflation à prendre en considération et que selon Statistics Mauritius, le Average Monthly Expenditure pour un ménage de quatre personnes atteint Rs 45 030, avec deux revenus. Même son de cloche du côté de Gheerishsingh Gopaul, secrétaire général de la Government Services Employees Association (GSEA), qui qualifie la décision de «décevante» et pointe une démotivation croissante chez les salariés.es, notamment chez ceux.celles gagnant plus de Rs 50 000, exclus.es - de façon «injuste et économiquement incohérente» - pour la deuxième année consécutive.
Pour Ashvin Gudday, négociateur syndical, «le calcul est faussée, la réalité ignorée». Le constat est sans appel : le quantum annoncé est «très loin du chiffre demandé» et surtout «pas représentatif des attentes de la population». Le syndicaliste remet d’abord en question la base même du calcul. «Nous contestons le taux d’inflation de 3,7 % affiché par Statistics Mauritius», affirme-t-il. Il souligne que la Banque de Maurice évoque un taux de 4,1%, plus réaliste. Mais au-delà des chiffres, c’est la réalité du terrain qui, selon lui, est ignorée. La hausse de Rs 635 (Rs 25 de plus que l’année dernière) est jugée dérisoire face à l’explosion du coût de la vie : «Pour ceux qui sont au bas de l’échelle, notamment les bénéficiaires de la CSG Allowance, cette somme sera immédiatement engloutie.» Ashvin Gudday dénonce également le seuil de Rs 50 000, qu’il juge obsolète. «Rs 50 000 aujourd’hui ne valent plus Rs 50 000 d’il y a quelques années», rappelle-t-il, évoquant la dépréciation de la roupie et l’exclusion répétée de ces travailleurs.euses, déjà privés.es du Special Allowance l’an dernier.
Plus largement, il fustige une politique économique qu’il estime défaillante : promesses non tenues sur la stabilisation de la monnaie, réformes sensibles comme celle de la pension de retraite menées sans consultation, rapport du Pay Research Bureau (PRB) en suspens, et décisions systématiquement justifiées par l’état de l’économie : «Le travailleur sort encore perdant et continue de suffoquer.» Le président du Mauritius Labour Congress, Haniff Peerun, dresse un tableau tout aussi sombre. Pour lui, la compensation salariale de Rs 635 «ne résoudra en rien le problème de la cherté de la vie». Il parle d’une érosion continue du pouvoir d’achat, alimentée par la dévaluation de la roupie et l’inaction du gouvernement face aux réalités quotidiennes des travailleurs.ses.
Il dénonce un dialogue social biaisé, où les décisions seraient prises unilatéralement. «Si le gouvernement décide seul du quantum sans vraie négociation, alors il faut en finir avec les consultations tripartites», lance-t-il, accusant les autorités d’écouter davantage les plaidoyers du patronat que la souffrance des salariés.es. Haniff Peerun balaie également les arguments récurrents avancés par le secteur privé - pertes d’emplois, incapacité de payer, fermetures d’entreprises - qu’il qualifie de discours stéréotypés. Quant au gouvernement, il lui reproche de se réfugier derrière les mêmes justifications : caisses vides, héritage de l’ancien régime, pressions des agences de notation.
Sa crainte est claire : à force d’austérité, la pauvreté gagnera une frange encore plus large de la population, rendant le fossé social politiquement explosif. Il appelle, dans l’immédiat, à des mesures concrètes : réduction de la TVA et contrôle des prix pour soulager les ménages. Des prises de décision qui peuvent apporter un réel soulagement, plus que ces Rs 635 qui vont fondre comme une vona corona au soleil.
Business Mauritius alerte
Une réaction mesurée, mais non dénuée de mises en garde. C’est celle de Business Mauritius après l’annonce du montant de la compensation salariale. Si la fédération patronale reconnaît l’effort consenti par le gouvernement pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages, elle souligne surtout une réalité: toutes les entreprises ne disposent pas de la même capacité d’absorption. Dans un contexte où le coût du panier de consommation continue de progresser, Business Mauritius admet que l’ajustement annoncé répond à une pression sociale réelle. Mais derrière cette reconnaissance, le patronat pointe des impacts économiques différenciés, selon la taille des entreprises et les secteurs d’activité. Loin d’une lecture uniforme, la fédération met en lumière une économie mauricienne fragmentée, où les marges de manœuvre varient fortement. Si les grandes entreprises disposent généralement de structures financières plus robustes, capables d’amortir le choc, les PME, la manufacture, le BPO, le commerce de détail et la construction sont, selon Business Mauritius, bien plus exposés. Pour ces secteurs, la compensation salariale représente un coût supplémentaire difficile à absorber, dans un environnement déjà marqué par la hausse des charges, la volatilité de la roupie et une demande parfois fragile. La fédération patronale appelle ainsi à une clarification rapide des mesures d’accompagnement que pourrait envisager l’État pour les secteurs les plus vulnérables. Une demande qui traduit une inquiétude croissante : celle de voir certaines entreprises contraintes de réduire leurs investissements, freiner les embauches, voire revoir leur modèle économique pour rester à flot. À mesure que les syndicats dénoncent une compensation jugée insuffisante et que le gouvernement invoque la rigueur budgétaire, le patronat rappelle une autre réalité : sans entreprises viables, la protection du pouvoir d’achat devient elle-même fragile.
Entre déception et résignation
*Mireille, Ashfaq, Meenakshi évoquent la compensation salaire. Entre frustration et fatalisme, ces Rs 635 obtenues ou pas ne soulagent pas vraiment. *
Mireille, 42 ans, maman de deux enfants : «Ce n’est pas un soulagement»
«Est-ce que le gouvernement sait combien coûte une barquette de poulet, un paquet de lait en poudre, une boîte de corned beef ? Non je ne crois pas. Cette compensation n’est pas un soulagement. Chez moi, nous avons deux salaires et nous avons du mal à joindre les deux bouts. Ce n’est pas cette somme qui va changer notre quotidien.»
Ashfaq, 31 ans, marié en voie de famille: «Je ne mérite pas cet argent ?»
«Je vais être honnête, je touche Rs 51 367 comme base de salaire. J’ai une question : je ne mérite pas cet argent ? Avec le loyer, les courses dont le prix ne cesse d’augmenter, les factures, le quotidien n’est pas aisé. Je n’arrive même pas à mettre de côtés pour acheter une maison pour l’avenir de la famille que je veux construire. Je trouve que c’est injuste et incompréhensible.»
Meenakshi, 56 ans, maman de trois grands enfants : «C’est mieux que rien»
«Je ne travaille pas donc, la question de la compensation ne me touche pas vraiment. Mais je pense à mes enfants et je me dis que c’est une bonne chose pour eux. C’est mieux que rien.»
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