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18 novembre 2025 12:31
Quand nous arrivons à l’Heritage Le Telfair de Bel-Ombre ce matin-là, le paysage semble tout droit sorti d’une carte postale : un mélange apaisant de bleu et de vert, la rivière des Citronniers qui glisse doucement sous le pont, et cette pirogue immobile qui donne des airs de gondole égarée sous les tropiques. Ce mardi 7 octobre, le rendez-vous est donné au Cavendish Bar pour la deuxième journée de la Semaine de la Gastronomie Durable 2025, un événement annuel orchestré par Heritage Resorts & Golf, où les saveurs rencontrent la durabilité. Pour cette quatrième édition, le thème est : l’eau, source de vie, d’inspiration et d’équilibre. L’initiative met en lumière une cuisine responsable, locale et respectueuse des écosystèmes. Durant une semaine, les chefs des quatre établissements du domaine, Heritage Le Telfair, Heritage Awali, Le Château de Bel-Ombre et le C Beach Club, s’affrontent dans une série de défis culinaires sous l’œil attentif d’un jury international. L’événement offre aussi à de jeunes en formation, issus du MITD, de l’École de Cuisine Aline Leal (ECAL) et de la Southern Handicapped Association, une occasion unique de vivre une immersion aux côtés des plus grands chefs. Sous les voûtes du Cavendish, les échanges s’animent : autour de la table ronde, le chef étoilé Michelin et lauréat d’une Étoile Verte Jean-François Bérard, parrain de cette édition, dialogue avec Richard Ekkebus, triple étoilé Michelin, et Noël Chelvan, figure emblématique de la gastronomie mauricienne. On y parle passion, transmission et respect du produit, ce geste juste qui sublime sans trahir. Puis vient la masterclass. Le chef Bérard entre en scène. Chaque geste est précis, chaque saveur pensée. Le poisson repose dans son eau salée, les algues fument lentement sur les braises : une ode au terroir marin, une leçon d’humilité face à la nature. L’après-midi, cap sur le C Beach Club, où le chef Vijendra Kundun, candidat du jour, propose sa vision d’une cuisine enracinée : bred mouroum, pwason sale, satini pom damour, melon d’eau, des produits simples, revisités avec élégance et émotion. Une journée de partages et d’arômes, entre chefs, étudiants et passionnés, dans ce Sud sauvage où la durabilité se déguste autant qu’elle s’apprend.


Ils ont à peine la vingtaine et déjà les mains plongées dans la pâte, les casseroles et les rêves. Cédric Rabearivelo et Kaviranee Seenevassenpillay font partie des étudiants de l’École Hôtelière Sir Gaëtan Duval invités à participer à la Semaine de la Gastronomie Durable. Pour eux, cette immersion aux côtés de chefs étoilés est bien plus qu’un atelier : c’est une étape fondatrice. «La cuisine, c’était d’abord un hobby», confie Cédric, originaire de Madagascar et installé à Maurice depuis 15 ans. «Je regardais des vidéos sur YouTube, je testais des recettes chez moi… jusqu’à ce que la passion prenne le dessus.» Entre les cours de comptabilité, de management et les heures passées en cuisine, il apprend la rigueur du métier : «C’est un travail exigeant, physique, mais quand on aime, on tient.» Kaviranee, elle, travaille déjà au Blue Penny du Constance Prince Maurice. «J’ai commencé en aidant mon père à cuisiner, et c’est devenu une évidence.» Aujourd’hui, elle défend une gastronomie responsable, ancrée dans le terroir : «C’est important de penser au futur. Quand on cuisine local, on protège nos produits, nos traditions.» Pour ces deux jeunes passionnés, la gastronomie n’est pas qu’une carrière : c’est un héritage à faire vivre. «On ne veut pas seulement apprendre à dresser de belles assiettes, mais comprendre d’où viennent les saveurs, et les faire durer.»

Les idées fusent, les mots débordent :à 65 ans, Noël Chelvan parle de cuisine comme on parle d’héritage, avec ferveur et conviction. Quarante-sept ans derrière les fourneaux, mais la même passion intacte. «Chef, c’est un métier. Cuisiner, c’en est un autre. Moi, je préfère être un bon cuisinier qu’un mauvais Chef », lance-t-il dans un éclat de rire. Celui que beaucoup considèrent comme un pilier de la gastronomie mauricienne se bat depuis toujours pour que la vraie cuisine créole retrouve sa place dans le paysage culinaire. «On a une richesse incroyable dans nos marmites. Trop souvent, on la laisse tomber au profit du "sophistiqué".» Avec son franc-parler, il regrette aussi le manque de reconnaissance pour les cuisiniers du pays : «Cinquante-sept ans après l’Indépendance, jamais un cuisinier n’a été décoré pour son travail.» Pour lui, la durabilité n’est pas un effet de mode : «La cuisine, c’est déjà durable ! Quand on cuisine local, qu’on respecte le produit, qu’on ne jette rien, on fait du durable.» Son message est clair :valoriser les produits du terroir, les légumes imparfaits, les saveurs oubliées, tout en formant la relève. Engagé jusqu’au bout, Noël Chelvan prépare aujourd’hui l’entrée de la cuisine mauricienne au patrimoine immatériel de l’UNESCO. «Je le ferai jusqu’à mon dernier souffle. Nous avons une cuisine vivante, métissée, pleine d’âme. Elle mérite enfin la place qu’elle a toujours eue dans nos cœurs.»

C’est avec une gentillesse désarmante et un humour bien à lui, que nous découvrons le chef Jean-François Bérard, invité d’honneur. À Bel-Ombre, il séduit autant par sa simplicité que par sa vision. «Je veux surtout travailler des produits qui laissent un moment à la fois orgasmique et gastronomique. Il faut pouvoir étonner les palais», confie-t-il en riant, avant de nous parler plus sérieusement de sa philosophie : «Le thème de l’eau me parle beaucoup : c’est une ressource précieuse, qu’il faut apprendre à respecter. Chez moi, j’ai supprimé la pelouse pour réduire la consommation d’eau. Chaque geste compte !» Pour sa démonstration, il explore toutes les formes de cette matière vitale : vapeur, eau de mer, jus d’herbes pétillant. «L’eau, on peut la cuire à l’infini !» lance-t-il avec enthousiasme. Autour de lui, algues, coquillages, arêtes et poissons se mêlent dans une symphonie iodée. «Il y a tout ce qu’il faut dans la nature. Et je suis ici pour vous envoyer du bonheur et du soleil !» Au-delà de la technique, le chef défend une cuisine qui se transmet, qui soigne et qui éveille les consciences. «On vit dans un monde égoïste… Moi, je veux rappeler que cuisiner, c’est partager.»

Entre deux consignes à son équipe et un coup de cuillère dans la sauce, le chef Vijendra Kundun trouve le temps de parler, un sourire tranquille aux lèvres. Ce mardi-là, c’est à lui de défendre les couleurs du C Beach Club devant le jury. Dans sa cuisine, l’énergie est palpable. «J’ai 43 ans et cela fait plus de 20 ans que je vis entre casseroles et fourneaux», dit-il en riant. Son parcours est un voyage : Maurice, Dubaï, Tanzanie, Luxembourg, Bretagne… autant d’escales qui ont forgé un chef passionné, fidèle à ses valeurs. «Je n’ai jamais choisi ce métier pour l’argent. C’est un métier de cœur, de patience et d’équipe.» Dans son regard, une étincelle : celle d’un artisan qui croit encore au travail bien fait et au respect du produit. «Avant, on travaillait dur, on apprenait par le geste. Aujourd’hui, je veux montrer aux jeunes qu’il faut persévérer.» Pour la compétition, il a imaginé un plat principal vibrant de saveurs locales : une lasagne ouverte de poisson salé et de moringa, relevée d’un chutney de tomate à la mauricienne. «J’aime la cuisine de chez nous, mais j’aime aussi la faire voyager… créer, surprendre, marier les cultures.» Arrivé au C Beach Club depuis à peine trois semaines, il a tenu à relever le défi sans hésiter. «Je ne savais pas à quoi m’attendre, mais je me suis dit : allons-y !» Et il a bien fait : quelques jours plus tard, son menu décroche le prix du meilleur dîner gala Éco-responsable. Une belle récompense pour ce chef passionné, sincère, dont la cuisine parle le langage du cœur et de la terre.

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