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Dans l’enfer des accros aux drogues synthétiques

29 juin 2015

Dans l’enfer des accros aux drogues synthétiques

On n’entend parler que de ça ces derniers temps. De ces nouvelles drogues synthétiques qui font fureur chez les jeunes et les toxicomanes en général, et qui font surtout le malheur de ceux qui y touchent. Pierre, Sanjay, Ahmed et Viren*, des jeunes venant de milieux sociaux et de régions différents, se sont laissés tenter et sont devenus accros. Car ces drogues, disent-ils, sont accessibles, ainsi que leur prix. Et même si le coût est parfois un peu plus élevé que celui du traditionnel pouliah de gandia, de la dose d’héroïne et du comprimé de Subutex, il n’est pas difficile de s’en procurer.

 

Pourtant, la brigade antidrogue est constamment sur le qui-vive pour démanteler les différents réseaux. La dernière arrestation en date est celle d’un prison officer et de son présumé complice (voir hors-texte). Mais visiblement, les trafiquants trouvent toujours de nouvelles filières et astuces pour assurer la distribution et faire de nouveaux adeptes. Parmi, Pierre, étudiant en informatique, âgé de 22 ans, qui explique que la dernière venue sur le marché mauricien est la drogue qu’on appelle C’est pas bien : «Personnellement, je suis accro à tout ce qui est cannabis synthétique. Je fume du C’est pas bien, car ça ressemble à de l’herbe. Elle est disponible en sachet tout comme le pouliah de gandia qui se fait, lui, très rare sur le marché. Elle se vend à Rs 300 le pouliah.»

 

Pour promouvoir leurs divers produits, les trafiquants, dit-il, n’hésitent pas à changer d’emballage pour appâter les clients : «Les emballages sont colorés. Dans la plupart des cas, ils proposent la même drogue synthétique, mais sous différents noms. Je suis devenu accro, car la sensation qu’on a en fumant ces drogues est différente de celle qu’on a avec le gandia. On a une sensation de paralysie totale. So nisa enn lot mem sa.»

 

Sanjay, 24 ans, employé d’une banque, explique pour sa part que des jeunes optent pour les drogues synthétiques pour des raisons économiques : «Ceux qui fument le cannabis synthétique sont tous membres d’un ou de plusieurs réseaux d’approvisionnement. Tout comme les autres, j’ai abandonné le gandia car on peut diviser un pouliah en deux ou trois cigarettes en moyenne. En revanche, on a environ cinq à six cigarettes avec le cannabis synthétique.»

 

Les jeunes apprécient effectivement le fait de débourser moins pour fumer plus et avoir plus de «nisa». «Ceux qui fument du Salvia savent de quoi je parle. Le gandia prend du temps pour faire son effet. Avec cette drogue, vous avez des hallucinations immédiatement après l’avoir fumée. Mais en cas d’abus, ça peut être très dangereux. Ceux qui en fument trop peuvent perdre connaissance ou avoir d’autres problèmes», précise Sanjay.

 

D’ailleurs, beaucoup de jeunes se sont retrouvés à l’hôpital ou même à Brown Séquard après qu’ils auraient consommé de la drogue synthétique, alors que d’autres auraient trouvé la mort après avoir abusé de cette substance.

 

Se sentir «high»

 

Mais la plupart de ceux qui y ont recours font fi de tous ces risques. L’important pour eux est de se sentir high et de ne plus contrôler leurs sens. Ahmed, un chauffeur de taxi de 28 ans, en sait quelque chose. Il affirme ne plus pouvoir se passer du AK 47 depuis qu’il en a fumé. Il souligne que cette drogue est très récente sur le marché. Il en a goûté pour la première fois à travers des clients étrangers qui étaient en vacances à Maurice. Selon lui, cette drogue est vendue sous forme de vaporisateur.

 

«Elle est de couleur noire et s’ajoute au tabac pour être fumée. Les effets sont immédiats. Vous avez des changements d’humeur. Elle détend aussi les muscles et provoque des hallucinations d’une durée moyenne de 3 heures», souligne Ahmed.

 

Ceux qui aiment bien fumer préfèrent le cannabis synthétique. Les toxicomanes adeptes de sensations fortes optent, eux, pour les autres drogues de la même famille : Blue Magic, Mushroom et La Veuve Noire, entre autres. La Blue Magic est une pilule bleue qui contient de la morphine. Elle se consomme par voie orale lorsqu’elle ne fait plus d’effet par injection et provoque une accélération du rythme cardiaque.

 

La Mushroom est, elle, disponible sous forme de champignons séchés. Elle se consomme par voie orale et provoque des hallucinations, de l’agitation, de l’anxiété, des nausées, des tremblements et l’accélération du rythme cardiaque. La Veuve Noire est également consommée sous forme de comprimés, disponibles en plusieurs colories. Elle est très prisée par les toxicomanes, car elle est apparentée à l’ecstasy qui est une substance provoquant des hallucinations. 

 

Viren, 25 ans, employé dans une compagnie d’assurance, est accro à ces substances qui procurent des sensations hallucinantes. Cependant, son «kiff» à lui, c’est le côté fruité des drogues synthétiques. Il consomme régulièrement la Fraise, la Spice ou le White Widow lors de ses virées nocturnes avec ses amis dans les boîtes de nuit du pays. Ses amis, dit-il, partagent la même passion pour les drogues synthétiques fruitées.

 

«Consommer de l’alcool à l’intérieur des boîtes de nuit n’est pas trop évident. On prend alors quelques bières avant de fumer. La Fraise se vend sous forme de vaporisateur à Rs 3 000. Lorsqu’on l’achète à plusieurs, on ne ressent pas le prix. On asperge le contenu sur du tabac avant de la fumer. On a une sensation sucrée à chaque bouffée. La Spice a aussi un goût fruité. C’est du cannabis synthétique sucré tout comme le White Widow», raconte Viren.

 

Mais il ne faut surtout pas se laisser duper par le goût ou les sensations que procurent ces drogues. En abuser peut conduire à des pertes de mémoire conséquentes, voire permanentes dans certains cas, ou à d’autres complications de santé. Et surtout, on peut vite devenir accro et ne pas pouvoir se sortir de cet enfer qui brûle à petit feu.

 

(*Prénoms fictifs)

 

Un «prison officer» arrêté

 

Il avait une certaine quantité de gandia sur lui ainsi que du cannabis synthétique et de l’héroïne. Lui, c’est Mahammud Hansye, un prison officer de 32 ans, habitant Notre Dame. Son voisin et présumé complice Aboo Baccor, 47 ans, a également été arrêté. Ce sont les constables Bhorut, Arnasala et Sahabun du poste de police de Terre-Rouge qui ont procédé à leur arrestation lors d’une patrouille sur la link road Terre-Rouge-Verdun. Les deux présumés trafiquant se trouvaient dans une voiture à proximité du rond-point de Bois-Pignolet. La drogue saisie a été retrouvée lors d’une fouille dans la soirée du vendredi 26 juin. Mahammud Hansye et Aboo Baccor sont en détention. Des arrestations ont eu lieu durant la semaine, en lien avec le cas de collégiens qui ont été retrouvés dans un état second et que la police soupçonne d’avoir consommé de la drogue synthétique.

 

Ce que dit la loi sur le cannabis synthétique

 

La Dangerous Drugs Act a été amendée en 2013 pour inclure le Black Mamba comme drogue parce que c’est du cannabis synthétique. Celui ou celle qui en consomme est passible d’une amende et d’une lourde peine de prison, comme c’est le cas avec les autres délits de drogue. Sauf que depuis 2013, d’autres produits contenant du cannabis synthétique sont disponibles sur le marché local.

 

Attention danger

 

Les travailleurs sociaux sur le terrain n’arrêtent pas de tirer la sonnette d’alarme sur ces drogues synthétiques qui envahissent le marché mauricien et font du mal aux jeunes et aux moins jeunes qui la consomment, à l’exemple de Dean Rungen, qui nous avait donné une interview sur le sujet il y a deux semaines. «Ces nouvelles drogues sont en train de détruire des familles entières (…) Elles font beaucoup de dégâts chez les jeunes de toutes les régions et de tous les milieux», nous confiait-il.

 

Selon lui, ces drogues sont tellement violentes qu’elles plongent tout de suite dans un état proche du coma. «Ces drogues affectent directement le cerveau et peuvent provoquer des dommages graves et irréversibles.» Dean Runghen citait aussi le cas d’un ado de 12 ans qui a fait une overdose et se fait actuellement soigner.

 

Le nouveau gouvernement semble aussi plus que jamais déterminé à mettre un frein au trafic de ces drogues synthétiques avec la mise sur pied imminente d’une commission d’enquête sur la drogue. Tout laisse croire que ce sera le no 3 du judiciaire, le juge Paul Lam Shang Leen, qui la présidera. Il prend sa retraite dans quelques jours.

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