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22 mars 2016 15:32
Les souvenirs sont encore frais dans sa tête. Ils sont douloureux et lui brisent le cœur à chaque fois qu’elle y pense. Sheila le revoit encore ce matin de 2010, son petit bout de chou lui disant au revoir avec tendresse avant de monter dans le van d’école. Au moment de rentrer, Rayan, 7 ans à l’époque, a une envie pressante et se rend aux toilettes pour se soulager. Entre-temps, son van, ne le voyant pas, part sans lui. Se rendant compte qu’il l’a raté, Rayan, comme un grand, décide de prendre le bus pour rentrer à la maison. Et puis, tout s’embrouille dans la tête de Sheila. Elle se rappelle que les voisins ont accouru pour lui dire que son fils avait fait un accident. Apparemment en traversant la route, Rayan a été percuté de plein fouet par un van qui doublait l’autobus. Transporté d’urgence à l’hôpital, le garçonnet est transféré en salle d’opération. Les blessures sont multiples et le cerveau est sérieusement touché.
Lorsqu’ils voient leur fils à la sortie du bloc opératoire, Sheila et son époux Jimmy s’effondrent : «Il avait des bandages sur tout le corps et sur les yeux, des appareils partout. J’ai hurlé, supplié le Seigneur de sauver mon fils et de me donner le courage de supporter ce cauchemar.»Pendant 11 jours, Rayan reste entre la vie et la mort aux soins intensifs où il restera pendant un mois. «Les médecins nous disaient qu’il avait peu de chance de survie et que, même s’il s’en sortait, les dommages seraient importants car son cerveau était sérieusement endommagé», se souvient sa mère. Pendant toute l’hospitalisation, Sheila est restée jour et nuit avec son enfant, guettant le moindre petit signe, s’accrochant à ce petit espoir donné par les médecins. «Je n’arrêtais pas de lui parler. On m’avait dit de lui parler car il pouvait entendre et que ça le ferait revenir, alors je lui disais “reviens Rayan. Maman a besoin de toi”», raconte-t-elle en éclatant en sanglots. Puis, un jour, se souvient Sheila, son fils a ouvert les yeux. Il y a eu quelques battements de cils, puis plus aucune réaction.
Lorsque Rayan rentre à la maison, plus rien n’est comme avant. Ça ne le sera plus jamais, Sheila et Jimmy le savent. Le cerveau de leur fils ne fonctionne plus. Rayan ne parle plus, ne comprend plus, ne bouge plus. Les années passent et sont douloureuses. Mais pour le bien-être de Rayan qui vit encore, ils doivent surmonter cette épreuve. Alors, ils réorganisent leur vie, réapprennent à s’occuper de lui avec les moyens du bord. «Il fallait se rendre souvent à l’hôpital pour les séances de physiothérapie et payer des taxis qui coûtent cher. Au bout d’un moment, j’ai décidé de lui faire faire ses exercices moi-même à la maison. Pendant mon séjour à l’hôpital, les infirmières m’avaient appris comment faire», explique sa mère. Jimmy, ancien employé de la propriété sucrière de Mon Loisir, a récemment pris sa retraite et tout l’argent de sa prime est investi dans l’achat des équipements qu’ils font venir de l’étranger. «Nous avons acheté des lits médicaux et une chaise roulante motorisée qui permet à la personne de se mettre en position debout. Nous avons aménagé une pièce de la maison uniquement pour le bain et les exercices de Rayan», explique Jimmy.
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Leurs efforts incessants commencent à porter des fruits. Rayan arrive à bouger un peu ses orteils et ses doigts mais les espoirs de Sheila et Jimmy sont anéantis lorsqu’il fait une crise qui brûle toutes les cellules qui pouvaient encore se développer. Aujourd’hui, Rayan a 13 ans. Son état végétatif persiste mais ses parents s’accrochent. «Nous lui parlons pour qu’il sente notre présence et qu’il sache qu’il n’est pas seul», confie son père. Des fois, ils peuvent entrevoir un sourire. D’autres fois, il est capable de faire un son mais rien de plus. Pas un mot, pas un regard. Le plus dur, cependant, c’est d’arriver à garder la tête hors de l’eau avec toutes les dépenses. La famille dépend uniquement de la pension de vieillesse de Jimmy et d’une aide sociale que reçoit Rayan.
Une situation difficile qui complique leur situation. «Comme Rayan n’a pas encore 15 ans, il ne peut pas toucher de pension. Nous avons fait des pieds et des mains pour expliquer notre situation, frappé aux portes de tous ceux qui pouvaient nous aider, même les politiciens, pour qu’on reçoive de l’aide mais rien. C’est tellement injuste»,s’insurge Sheila. À bout de force, ils doivent aujourd’hui vivre dans une maison qui tombe en ruine. «Nous louons cette maison en attendant d’avoir le terrain VRS qui n’arrive pas. Cela fait des années qu’on attend. Le plafond va bientôt nous tomber sur la tête. Quand il pleut, c’est pire. Ça coule de partout. Il y a de la moisissure. Rayan ne peut plus continuer à vivre dans un tel environnement», lance Sheila qui ne cache pas que sa famille a besoin d’aide pour s’en sortir.
Aujourd’hui, tout ce qu’elle souhaite, dit-elle, c’est un environnement sain pour son fils, un endroit où il pourra continuer à vivre en toute sérénité : «Notre vie ne sera plus jamais la même. Nous portons en nous beaucoup de chagrin mais nous gardons espoir malgré tout. Notre rêve, c’est que Rayan arrive à se déplacer tout seul», confie Sheila. C’est là son vœu le plus cher.
La compassion des autres ? Il n’en veut pas. Encore moins leur pitié. Aujourd’hui, Randir Cheekooree dit être un homme heureux malgré l’absence de ses deux jambes et le fait que ses deux mains perdent peu à peu de leur motricité. Le passé, dit-il, il l’a laissé là où il est censé être et il se porte très bien comme ça. Bien sûr, pour arriver à se dire ça, il a fallu du temps. Beaucoup de temps. Difficile d’oublier le jour où sa vie a basculé. Il y pense quelquefois. Impossible de faire autrement. Ce jour-là, se souvient-il, il sortait du travail.
C’était le 29 décembre 2005. Forest Officerà l’époque, il enfourche sa motocyclette après une journée de travail pour rentrer chez lui retrouver sa famille. Quelques mètres plus loin, le choc survient. Brutal. Il est fauché par derrière, se retrouve projeté dans les airs et perd connaissance. À son réveil, il est aux urgences. Son épouse, à son chevet, essaie de comprendre ce qui se passe. Comment expliquer à leurs deux petits l’état dans lequel se trouve leur père ? Le plus dur, dit-elle, s’est produit le lendemain matin lorsqu’ils se sont rendus compte que Randir ne pouvait plus bouger. Touché au C4 de la moelle épinière, qui désigne la partie du système nerveux central qui se prolonge en dessous du tronc cérébral, son état est jugé critique. Son corps ne répond plus. Pendant six mois, il reste à l’hôpital, paralysé. Le verdict des médecins est sans appel : il ne pourra plus marcher.
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Pour Randir, 31 ans à l’époque, c’est le choc. Alité pendant des mois et des mois, il développe des complications. Les escarres sont profondes. Ses jambes sont sérieusement touchées et Randir est soigné pendant cinq ans à la Burns Unitde l’hôpital Victoria. Pour faciliter les choses, Indrani décide de déménager et s’installe avec toute sa famille dans les environs de l’hôpital. Lorsque son mari est à la maison, Indrani se démène pour s’occuper de lui au mieux. Entre son métier de serveuse, Randir, les enfants et la maison, elle a de quoi faire. «Il fallait lui donner son bain, l’habiller, le faire manger, faire ses pansements. Je vivais à un rythme effréné.»En 2009, l’état de Randir s’aggrave et les médecins décident de lui amputer les deux jambes. «Au début, c’était difficile. Je ne voulais pas sortir. J’avais peur du regard des autres, de leurs questions qui m’embarrasseraient. Mais petit à petit, j’ai commencé à accepter mon état et mon nouveau corps. Aujourd’hui, je me sens libre», confie-t-il.
Entouré de sa famille, Randir a repris goût à la vie. Ses enfants Archana et Rohan sont sa plus grande réussite et c’est en eux qu’il fonde de l’espoir pour l’avenir. Ces 11 dernières années n’ont pas été de tout repos mais il en a tiré le meilleur grâce à l’amour et au soutien de ses proches : «Je me sens bien aujourd’hui. Je suis heureux. Je sors avec ma famille ou des amis. Je vais prier, au cinéma, au supermarché et même à la mer. J’ai toujours adoré nager et cela faisait 11 ans que je n’avais pas vu la mer. Mes amis m’ont mis dans l’eau et avec mon épouse, j’ai pu nager. C’était formidable. Comme dans un rêve.»Continuer à vivre alors que tant de gens continuent à perdre la vie sur nos routes, c’est une chance qu’il n’entend pas laisser passer.
Y penser est encore difficile. Les images lui viennent en rafales comme dans un film d’horreur, lui donnant des sueurs froides. Le traumatisme est tellement important qu’il en a perdu le sommeil. En parler est douloureux, mettre des mots sur la souffrance physique et morale qui le mine depuis son accident de la route l’est encore plus. C’était le 2 janvier. Alors qu’il se rendait à Bramsthan à moto avec sa fiancée, le deux-roues du jeune homme de 28 ans est violemment fauché par une voiture qui poursuit sa route sans s’arrêter. Le couple est projeté dans les cannes. «Il faisait nuit, nous étions loin de la route. Nous avons dû crier à l’aide, ramper jusqu’au bord du chemin pour qu’on nous voie. Mon pied était complètement écrabouillé. Mon bras était cassé. Je perdais du sang à vue d’œil. Ma fiancée aussi était blessée»,se rappelle Mathieu. Ce jour-là, il a été amputé du pied droit et a subi une importante opération au bras.
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Aujourd’hui, il se retrouve avec un pied en moins, cloué au lit, le bras plâtré, incapable de bouger. Difficile de dépendre d’une aide sociale de Rs 2 000 seulement pour vivre. Se retrouver du jour au lendemain dans cet état est extrêmement dur, dit-il, surtout qu’il a toujours été très actif : «Mon métier, c’est celui de casseur de roches. C’est un travail très dur. Il faut soulever la hache et taper très fort avant de transporter les pierres. Je travaillais beaucoup pour pouvoir être bien dans la vie.»Il y a quelques jours, il a appris que celui qui conduisait la voiture qui les a heurtés et qui a failli les tuer a été appréhendé. C’est un policier. Un soulagement qui n’enlève rien à sa souffrance. La colère qu’il porte en lui prendra du temps avant de se dissiper.
Car comme tous les jeunes de son âge, Mathieu Vigoureux avait de nombreux projets, comme celui de terminer la construction de sa maison et de se marier. Des rêves qui ont été remis à plus tard. Pourra-t-il les réaliser un jour ? Il n’a pour le moment aucune réponse à ses questions. L’avenir, il ne l’envisage pas, il n’arrive pas à se projeter. «Je verrai le moment venu. Pour l’instant, je n’ai aucune idée de ce qui m’attend et comment je pourrai réagir»,dit-il. «Ma vie a changé. Je sais qu’elle ne sera plus jamais la même», déclare le jeune homme.
Arrivera-t-il à surmonter son handicap et à reprendre une vie normale ? Mathieu l’espère. Il aimerait reprendre sa vie là où il l’a laissée, retrouver son métier, vivre bien tranquillement comme il l’a toujours souhaité mais il sait que de nouveaux défis l’attendent désormais.
Shabana Patel est aujourd’hui âgée de 31 ans. Il y a 14 ans, la jeune femme sombrait dans le coma après avoir fait un terrible accident de la route. Le 13 août 2002, elle est en voiture avec quatre autres amies : Kalina Beenessreesingh, Shivani Mannick, Jehan Abdullatif et Ashvini Chady. Ensemble, elles prennent la direction de Flic-en-Flac mais sur le chemin du retour, la voiture percute de plein fouet un 4x4. Le bilan est terrible : deux morts et deux blessées. Shabana, 18 ans, sombre dans le coma. À cause d’un traumatisme crânien, Shabana est handicapée à 100 %. Pendant trois ans, elle est hospitalisée dans un grand centre de réhabilitation en Inde.
Son père, Shakoor Patel, a fait tout son possible pour offrir le meilleur des soins à sa fille. Évoquer de nouveau ce tragique accident lui est impossible. «C’est encore trop douloureux. Je ne suis pas encore réconcilié avec tout ça»,nous confie-t-il avant de donner des nouvelles de sa fille : «Shabana est sortie dans le grand coma mais elle est toujours dans un état végétatif. Il y a eu du progrès au cours de ces dernières années. Aujourd’hui, elle arrive à faire quelques expressions, à sourire. C’est une thérapie permanente, un encadrement très spécial qu’on lui offre 24 heures sur 24.»
Le progrès, c’est à cela que Shakoor Patel et sa famille s’accrochent au quotidien.
35 morts depuis le début de l’année contre 25 pour la même période l’année dernière. Le nombre de morts et de blessés graves sur nos routes ne cesse d’augmenter d’année en année. Les chiffres donnent froid dans le dos et ceux de 2015 ne sont pas en reste. Les dernières statistiques officielles démontrent que 205 personnes ont trouvé la mort entre janvier 2014 et juin 2015 tandis que 789 autres ont été grièvement blessées. Selon la Road Safety Unit, le nombre de piétons tués dans les accidents de la route entre le 1er janvier et le 8 mars 2016 a connu une hausse de 400 % avec 12 victimes à déplorer.
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Les victimes des accidents de la route bénéficient-elles d’une prise en charge adéquate ?
Il faut que nous puissions trouver une solution pour les victimes car elles sont abandonnées de tous. Il y a vraiment une prise en charge déplorable. Les victimes, disons-le, sont logées à la même enseigne que toutes les autres personnes porteuses d’un handicap.
Que faudrait-il faire dans ce cas ?
C’est un problème plus élargi qui demande une réévaluation des services pour les plus vulnérables. Le point principal, c’est que leur affaire traîne pendant de longues années alors que si elles étaient prises dans les délais raisonnables, elles auraient pu générer des compensations justifiées qui aideraient les familles concernées à mieux faire face à leur situation.
Face au traumatisme, le suivi psychologique est-il essentiel ?
Évidemment ! Il est important que cette lacune soit comblée, car bien souvent, c’est toute une famille qui souffre lorsqu’un membre est touché. Alors, comment pouvez-vous espérer qu’elle puisse s’occuper de la personne blessée et diminuée dans sa chair, dans ses facultés, si elle-même nécessite une prise en charge ? Un accident grave sans accompagnement serait le coup de grâce pour toute la famille. Il est impératif d’instituer un accompagnement psychologique continu pour les cas qui le nécessitent. Nous comptons 500 blessés graves par année et 137 fatalités. Il y a du pain sur la planche et des perspectives d’emploi pour les jeunes gradués en psychologie qui sont au chômage.
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