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30 octobre 2015 18:35
Myrtha Rasé n’avait jamais vraiment mis les pieds dans une salle de classe. Petite, se souvient-elle, elle était très malade et ses parents, comme c’était souvent le cas à l’époque, n’avaient pas beaucoup de moyens et avaient choisi de ne pas la scolariser. Du coup, l’école, Myrtha n’a jamais su ce que c’était vraiment. Comme beaucoup de filles en ce temps-là, elle passait ses journées à la maison à apprendre à faire le ménage, la couture et la broderie et les années ont passé comme ça sans qu’elle sache lire et écrire. Elle s’est mariée, est devenue maman, puis grand-mère. Mais malgré une vie bien remplie, quelque chose lui manquait. «J’avais toujours voulu apprendre à lire et à écrire. Je me suis dit pourquoi ne pas me lancer. Après tout, on dit bien qu’on apprend à tout âge», confie-t-elle. C’est ainsi qu’il y a trois ans, cette grand-mère qui a aujourd’hui 73 ans a repris le chemin de l’école.
Comme elle, des élèves pas comme les autres investissent le collège Notre-Dame, à Curepipe, plusieurs fois par semaine après les heures de classe pour assister à des cours d’alphabétisation dispensés par le Centre du Savoir, présent dans plusieurs parties du pays. Sur leur dos, pas de sac. Dans leurs mains, pas de livres. Juste un cahier, un objet somme toute banal, mais qui, à leurs yeux, a la plus grande importance. Ella Utile, leur enseignante, les attend sur le pas de la porte, sourire aux lèvres. Une fois en classe, les élèves s’installent à leur pupitre, ouvrent leur cahier dans lequel on distingue facilement les exercices de penmanship que tous les enfants font à leur entrée en cycle primaire. Toutefois, contrairement à ce qui se fait à l’école traditionnelle, ils n’apprennent pas à faire des compositions, des rédactions et des exercices de mathématiques.
Au programme : apprendre à écrire son nom, à calculer son âge, à écrire son adresse, à remplir un formulaire, à lire les indications sur la route et les autobus. Pour rendre ces personnes autonomes, ce type d’apprentissage est essentiel car pour elles, ne pas savoir lire et écrire pose bien souvent des soucis pratiques au quotidien. Myrtha Rasé en sait quelque chose : «Il fallait tout le temps que je fasse en sorte d’avoir quelqu’un avec moi pour toutes les démarches. C’était impossible pour moi de remplir un formulaire. Des fois, c’était gênant. Quand j’allais au bazar, je donnais l’argent au marchand, mais comme je ne savais pas compter, je ne savais jamais combien d’argent il me restait en main.» Aujourd’hui, cette époque est derrière elle et Myrtha n’est pas peu fière de son parcours, tout comme sa famille. «Au début, quand j’ai dit à mes proches que j’allais recommencer, ils se sont un peu moqués de moi en me disant : “Qu’est-ce que tu vas faire là-bas à cet âge ?” Mais aujourd’hui, ils ont changé d’avis et sont contents de ma réussite», confie-t-elle.
Revenir sur les bancs de l’école comme ça, surtout lorsqu’on a un certain âge, n’est pas évident. Pourtant, ce pas est essentiel pour certains dans l’accomplissement de leur vie. Clency L’Éclair, 62 ans, vient tout juste de commencer ses cours. Comme il n’est pas familier avec les chiffres et les lettres, l’adaptation est un peu compliquée mais il n’a pas l’intention de jeter l’éponge.
L’idée de revenir sur les bancs de l’école a toujours été dans un petit coin de sa tête et lorsqu’un ami lui parle des cours dispensés par le Centre du Savoir, il se lance sans hésitation. Contrairement aux illétrés – des personnes n’ayant pas fait d’études au-delà du cycle primaire et dont l’apprentissage n’a pas permis de maîtriser l’écriture, la lecture et le calcul –, Clency L’Eclair est analphabète – il n’a jamais appris à lire et à écrire. Et pour lui cela cause de gros problèmes au quotidien. «Ne pas savoir écrire son nom, ne pas connaître son âge et être incapable de signer, ce n’est pas évident au auotidien. Il vous faut être accompagné en permanence quand vous devez faire des démarches.»
Même s’il n’en a pas honte, Clency a pendant longtemps ressassé son histoire. Issu d’une famille nombreuse qui vit dans la précarité, il se voit dans l’obligation de quitter l’école alors qu’il n’est qu’en Std I : «Nous étions pauvres. Mes parents n’avaient pas d’argent pour nous envoyer à l’école, je suis resté à la maison jusqu’à l’âge de 9 ans.» Alors que la plupart des enfants de son âge sont à l’école, lui s’en va travailler dans les champs pour aider ses parents à nourrir ses frères et sœurs. Les années ont passé et Clency a continué à labourer la terre, un travail dur et éreintant dont il est toutefois fier car c’est ce qui lui a permis de se construire une vie. Après 53 ans en tant que laboureur, il a décidé de s’accorder un peu de temps et de réaliser ce projet qui lui tient tant à cœur.
Sérieuse et appliquée, Pierrette Tayelamay sait à quel point il faut travailler dur pour y arriver. Au fil des 110 leçons, cette fringante petite grand-mère n’a presque jamais manqué une classe. Meneuse de bande, selon Ella Utile, elle est aussi la meilleure élève de son groupe. Bientôt, tient à ajouter Ella Utile, Pierrette et nombre de ses camarades de classe pourront prendre part aux examens du Certificate of Primary Education (CPE). Elle en est convaincue : le potentiel de ses élèves est indéniable. «Pierrette, par exemple, est un exemple à suivre pour ceux qui pensent qu’ils ne peuvent pas y arriver. Elle est une très bonne élève et fait preuve de bonne volonté. Les élèves adultes, contrairement aux jeunes, sont beaucoup plus appliqués de manière générale, car cette éducation revêt pour eux une importance particulière.»
Motivée par l’envie d’apprendre et d’avancer, elle a pris, dit-elle, énormément de plaisir à se rendre en cours, à s’enrichir de ses leçons et de ses rencontres. À 64 ans, elle vient juste de terminer les trois niveaux du cours d’alphabétisation de 200 heures et attend avec impatience la remise de certificats qui aura lieu bientôt. En attendant, c’est avec enthousiasme qu’elle se rend aux leçons de remise à niveau. Si pour certains, ce bout de papier n’a pas une grande importance, pour elle, cela représente beaucoup. «C’est le premier certificat que j’aurai de toute ma vie», dit-elle avec une joie apparente. Pour elle, qui a arrêté l’école en cinquième et qui a travaillé comme bonne pendant de nombreuses années, c’est l’aboutissement d’un rêve de petite fille : «Même si je ne savais ni lire ni écrire, j’avais toujours envie d’aller de l’avant. Je suis fière de mon parcours.»
Cette fierté, Marie-Hélène Collet, 68 ans, la connaît aussi, car elle avoue venir de loin. «Lorsque j’étais en Std III, mes parents sont décédés et je me suis retrouvée dans un couvent. Je n’allais plus à l’école et je suis restée là-bas jusqu’à ce que je commence à travailler», se souvient-elle. Cela restera pendant des années son plus grand regret. C’est la bible qui pousse cette dame très pieuse à reprendre le chemin de l’école : «Je n’arrivais pas à lire la Bible et c’était pour moi une grande frustration.» Après des décennies à travailler comme bonne à tout faire, elle décide de se lancer une fois à la retraite : «Apprendre à lire et à écrire a été mon plus grand défi, mais je suis contente d’y être arrivée. Je me suis découverte une passion pour la lecture. J’étais tellement contente de venir en cours. Ce jour-là, j’étais de bonne humeur, toute heureuse de retrouver mes amis et mon enseignante.»
Depuis, Marie-Hélène, plus épanouie que jamais, ne quitte plus ses livres, surtout sa Bible. Très impliquée au niveau de sa paroisse, elle participe souvent à des lectures en groupe. Elle, qui ne croyait pas cela possible un jour, ne peut qu’être encore plus fière d’elle-même. Comme quoi, quand on croit en soi, on est capable d’aller jusqu’au bout de ses rêves.
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