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30 août 2014 14:03
Quelle est donc cette famille qui n’a pas de secrets ? Qu’elles soient petites ou grandes, ces histoires que l’on cache peuvent faire du mal et causer beaucoup de tort une fois que les langues se délient. Elles sont quelquefois classiques et parfois dramatiques, au point de créer des conflits et d’avoir de lourdes conséquences sur la vie des personnes impliquées. La vérité n’est souvent pas évidente à entendre, à accepter. Bien sûr, on ne parle pas là de ces petites choses que l’on garde pour soi, dans son jardin secret.
«Leur gravité réside dans l’importance du secret, mais aussi dans l’insistance mise en œuvre pour le préserver», écrit le psychanalyste Gilbert Maurey, dans son livre Secret, secrets (De Boeck Université, 1998). En effet, lorsqu’une personne ou une famille a tout mis en œuvre pour enfouir le plus profondément possible un événement ou l’existence d’une personne, en parler devient alors impossible. Pourtant, la loi du silence pèse lourd sur le destin, fait souffrir et peut hanter une famille sur plusieurs générations. Dans un monde où le paraître prend de plus en plus d’importance, oser parler est difficile. Et puis, il y a de ces secrets qu’on préfère taire. Parce qu’ils font honte, tout simplement. Mais ne dit-on pas que la vérité finit toujours par se savoir ?
Neha a 18 ans. Un soir de vacances, en 2005, toutes ses cousines se sont donné rendez-vous chez l’une d’entre elles, pour une soirée entre filles. Dans la chambre, elles se partagent une bouteille d’alcool. L’ambiance est festive. Elles s’amusent. On parle des garçons principalement. Et puis, une discussion entraînant une autre, elles se mettent à parler de la famille et chacune se met aux confidences. «L’une de mes cousines avait visiblement un peu trop bu et elle s’est mise à dire que nous étions une famille d’hypocrites et que nos parents nous cachaient plein de choses. Elle me disait clairement que ma maman avait un demi-frère dont j’ignorais complètement l’existence. Pour moi, c’était impossible, car mon grand-père était quelqu’un d’exemplaire. Mais le plus grave, c’était le fait qu’on m’ait caché ça toute ma vie, alors que j’avais le droit de savoir», raconte-t-elle.
Sur le coup, la jeune femme n’y prête pas vraiment attention, bien que sa cousine, dit-elle, semblait bien connaître cette histoire. Intriguée, Neha décide d’en parler à sa maman dès son retour chez elle : «D’abord, elle s’est mise en colère et m’a demandé de ne pas prêter attention à ce qu’elle disait. Je ne comprenais pas pourquoi elle se mettait dans un tel état à cause de ce qu’elle disait être un mensonge.» Décidée à faire la lumière sur cette affaire, elle insiste. «Elle a fini par craquer et m’a avoué qu’elle avait effectivement un demi-frère avec qui la famille n’entretient absolument pas de bons rapports», souligne Neha. Sa mère lui raconte alors que son grand-père a, pendant longtemps, mené une double vie et que le sujet
a toujours été tabou au sein
de la famille.
Pour la jeune femme, c’est le choc : «Je n’arrivais pas à la croire. Vous me direz qu’à l’époque, c’était commun, mais j’étais tellement proche de mon grand-père et j’admirais tellement le couple qu’il formait avec ma grand-mère que cela me semblait impossible.» Cette révélation venait subitement bouleverser l’idée et l’image qu’elle avait du patriarche de la famille. «Ma mère m’a expliqué que ce problème avait créé de nombreux conflits au sein de la famille et qu’ils n’évoquaient jamais le sujet. Elle m’a demandé de ne pas chercher à en savoir plus et depuis, je n’ai plus posé de questions. Mais au fond de moi, je me demande pourquoi on fait toutes ces cachotteries.»
Bouleversement
Pour de nombreuses familles, ce genre d’histoire est tellement embarrassant qu’on préfère le taire. Car apprendre de tels secrets peut tout bouleverser. Bernard, 25 ans, croyait tout savoir de son histoire, de sa vie, jusqu’à un peu plus d’un an de cela. Ses parents – sa maman est mauricienne et son papa français – ont divorcé lorsqu’il était encore petit. Sa maman et lui sont alors revenus vivre à Maurice. Lorsqu’il entreprend des démarches administratives pour des papiers officiels en l’absence de sa maman qui est en voyage, il se voit dans l’obligation de contacter sa tante, soit la sœur de son père, en France. Cela, afin d’avoir l’original de son acte de naissance, resté avec son papa qui est lui aussi en déplacement. «Elle a cherché partout, mais n’a trouvé aucun acte de naissance. Par contre, elle est tombée sur un document attestant un événement de ma vie que j’ignorais complètement. Elle ne savait pas que je n’étais pas au courant», raconte le jeune homme.
Le document en question n’est autre que son acte d’adoption dont il ignorait tout : «J’ai donc appris que celui qui était mon papa ne l’était pas. Je suis tombé des nues. Je ne comprenais pas ce qui se passait.» Dans sa tête, les images du passé et les questions se bousculent. Des sentiments de colère, d’incompréhension et de déception font rage. Sa mère, dont il est très proche, n’étant pas au pays, Bernard lui passe immédiatement un coup de fil pour tout lui dire. Les questions cognent comme une gifle. Les propos sont violents. La douleur est immense. Les larmes sont inévitables. «Ça m’a fait tellement mal que, pendant plus de vingt ans, mes parents ne m’ont jamais rien dit de ma véritable histoire. Le pire, c’est que c’est quelqu’un d’autre qui m’a appris la vérité», confie-t-il.
Les jours qui suivent sont douloureux. À des milliers de kilomètre l’un de l’autre, la communication est difficile, la colère encore vivace. Ce n’est que quelques jours plus tard, lorsque sa mère rentre en urgence au pays, qu’ils auront une discussion franche et sincère sur ce fait de sa vie. Elle trouve les mots justes, lui parle en toute franchise.
Rien à cacher
De toute façon, il n’y a plus rien à cacher. «J’étais plus calme et, du coup, plus ouvert au dialogue. Elle m’a tout expliqué. Elle m’a raconté qu’elle avait été mariée une première fois et que c’était donc cet homme mon père biologique. Il l’avait quittée alors qu’elle ne m’avait pas encore mis au monde. Elle m’a élevé seul pendant les premières années de ma vie, avant de faire la rencontre de celui avec qui elle s’est mariée par la suite. Il m’aimait comme son propre fils et m’a adopté. Elle m’a alors expliqué m’avoir caché la vérité pour me protéger», relate Bernard.
Peu à peu, mère et fils se reconstruisent après un ouragan qui a failli tout emporter sur son passage. La confiance qui existait entre eux et qui s’était brisée après cette bouleversante vérité, est rétablie petit à petit. Avec son papa adoptif, rien n’a changé. Les liens qui les unissent sont toujours aussi forts et solides. Plus d’un an après avoir découvert la vérité sur cette partie de sa vie, Bernard est un homme en paix avec lui-même et son histoire : «Pour moi, mon papa adoptif est mon vrai papa. Je ne veux rien savoir de l’autre, car il nous a abandonné. Avoir le même sang ou pas ne veut rien dire. Au final, c’est l’amour qui compte.»
Que dire ? Que taire ? Les adultes ont tendance à ne pas dire la vérité aux enfants. Probablement parce qu’on les croit trop fragiles. Pourtant, selon le célèbre psychanalyste français Didier Dumas, auteur de L’Ange et le fantôme (Éditions de minuit, 1985), «ne pas révéler un secret de famille à nos enfants, c’est les condamner à répéter les fautes de leurs ancêtres». Ces secrets, qu’il décrit dans son livre comme des «fantômes», traumatisent et peuvent avoir de sérieuses répercussions sur une vie. Didier Dumas explique : «Le non savoir nous condamne à nous heurter aux mêmes difficultés que nos parents ou grands-parents, et à ne pas pouvoir les dépasser. Seule la parole peut nous délivrer d’un fantôme. Ce que j’appelle un “ange”, c’est le savoir que nous transmettons à nos enfants et qui, seul, peut leur permettre de continuer leur route là où nous nous sommes arrêtés.»
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