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Exercer un métier malgré son handicap : «Travailler donne un sens à ma vie»

16 novembre 2015

À 30 ans, Nishta travaille pour la première fois.

Dans les rayons du supermarché Monoprix de Curepipe, une jeune femme s’active. Occupée à empiler et à ranger des produits de soins sur les étagères, elle semble tellement concentrée qu’elle ne fait pas attention à ce qui l’entoure. En fait, Nishta, 30 ans, est atteinte de surdité. Elle fait partie des trois employés vivant avec un handicap, à travailler dans cette grande surface. Depuis un an, la jeune femme, résidente de Curepipe, a donné un nouveau sens à sa vie. Travailler occupe non seulement ses journées, mais lui permet aussi d’être autonome et indépendante. Ce sentiment de pouvoir dépendre de soi-même et de savoir qu’on est utile bien qu’on soit porteur d’un handicap a pendant longtemps manqué à sa vie. «Je suis toujours restée à la maison. Je passais mes journées à faire le ménage, à faire la cuisine et d’autres fois à ne rien faire. Je n’aimais pas rester à la maison. Aujourd’hui, je suis heureuse de pouvoir faire quelque chose de ma vie», explique-t-elle en langage des signes.

 

Ce nouveau tournant, Nishta l’a emprunté il y a un peu plus d’un an, lorsque l’association Employ Ability, créée par l’entreprise Craft Aid Ltd, lui propose de recevoir une formation pour qu’elle puisse ensuite trouver un emploi. Deegesh Maywah, Project Manager de l’association, se souvient encore des premiers pas de Nishta. «Elle était timide et réservée. Elle restait dans son coin. Aujourd’hui, la transformation saute aux yeux. Elle n’hésite pas à s’exprimer, à s’ouvrir aux autres», souligne-t-il.

 

Tous les jours, c’est une jeune femme souriante qui se rend au travail. Affectée à la surface de vente, sa tâche consiste à placer les produits dans les rayons, à les prendre depuis la réserve et les ranger sur les étagères, et veiller à ce que l’équilibre entre les items soit respecté. Lorsque sa responsable Natacha L’entêté s’approche d’elle, c’est en langage des signes que Nishta s’exprime. Même si elle ne connaît pas tous les gestes du langage des signes, la communication entre elles, souligne Natacha, passe bien : «Elle est appliquée et se dévoue complètement au travail. C’est un plaisir de travailler avec Nishta.»

 

Eddy Berthelot, responsable des ressources humaines, ne parle pas et ne comprend pas le langage des signes non plus. Mais il est toujours admiratif devant ces personnes qui, malgré leur handicap, se démènent pour pouvoir se tenir debout sur leurs pieds. D’ailleurs, précise-t-il, l’entreprise a toujours mis un point d’honneur à donner la chance aux personnes porteuses d’un handicap d’exercer un métier et à veiller à ce que leurs droits soient respectés, comme pour n’importe quelle autre personne. C’est le cas en ce qu’il s’agit des salaires. Trop souvent, malheureusement, les personnes qui travaillent et qui sont porteuses d’un handicap sont lésées au niveau de leur rémunération. «Chez nous, il n’en est pas question. Tous nos employés sont logés à la même enseigne», ajoute le responsable.

 

Hard worker

 

Un peu plus loin, Jean-Yves, 41 ans, est concentré au rayon frais des produits laitiers. Visiblement timide, il hésite à se livrer, mais rassuré par la présence de Deegesh Maywah, qu’il connaît bien, celui qui a perdu l’usage du côté droit de son corps concède finalement à dire quelques mots. «À l’âge de 13 ans, j’ai eu comme une attaque, ce qui a causé une paralysie de la moitié de mon corps. Pendant longtemps, je l’ai mal vécu, mais en grandissant, je me suis dit que je devais me bouger. J’ai donc commencé à travailler. J’ai été Cleaner, mais c’était un job très fatiguant. J’ai aussi été relieur de livre, avant de suivre une formation et de trouver de l’emploi ici, chez Monoprix», confie-t-il.

 

Ce n’est pas son handicap qui empêche ce véritable hard worker de travailler comme n’importe quelle autre personne : «Pour moi, c’est important de travailler. Même si je prends un peu plus de temps qu’une personne possédant toutes ses capacités à accomplir une tâche, j’y arrive, car j’y mets toute ma force et tout mon cœur.» Ainsi, tous les jours, Jean-Yves est affecté à différentes tâches dans le supermarché, selon les besoins identifiés par son responsable. Son invalidité n’est, pour lui, en rien un frein.

 

Ce sentiment d’indépendance, Outam Mahadu, 31 ans, le ressent depuis un an. Tout comme Jean-Yves, ce jeune homme a perdu la validité de la moitié de son corps à l’âge de 22 ans, lorsqu’il a été victime d’un accident vasculaire cérébral. Pour lui, c’est le choc. Se retrouver avec un handicap du jour au lendemain est une dure réalité qui le frappe de plein fouet. Pourtant, très vite, grâce au soutien et à l’aide de ses proches, il se reprend en main et se met à chercher du travail. Cependant, Outam se heurte aux préjugés, au dédain et à l’indélicatesse de nombreux employeurs. «Quand vous êtes handicapés, les gens ne vous regardent pas de la même manière. Plusieurs fois, je suis allé chercher du travail et, à chaque fois, c’était non. Une fois, on m’a même dit : ‘‘Dimounn kouma ou nou pa pran.’’ Ces commentaires blessants vous font perdre confiance en vous», confie-t-il.

 

Heureusement, à force de courage et de détermination, le jeune homme arrive à surmonter cette épreuve. Et en attendant de trouver un travail stable, il s’improvise marchand de fruits pour gagner sa vie comme il le peut. Depuis un an, la vie d’Outam a complètement changé. Grâce au travail qu’il a trouvé chez Spar à Quatre-Bornes, le jeune homme respire la bonne humeur et la positivité. Là-bas, il se sent à l’aise, apprécié à sa juste valeur et respecté. Malgré son handicap, ses capacités ne sont en rien diminuées : «Même si je ne peux pas utiliser ma main et ma jambe gauches, ça ne m’empêche pas de travailler. Bien sûr, je le fais à mon rythme et je dois dire que j’ai un super boss qui me traite comme une personne à part entière.»

 

À l’aise et épanoui dans son nouvel emploi, Outam se fait un plaisir d’exécuter son rôle de pick up boy au supermarché. «Je ramasse les produits des clients à la caisse et je les accompagne jusqu’à leur voiture, avant de les aider à ramasser leurs provisions. C’est un service mis en place par la direction. Les gens ne me jugent pas par mon handicap», confie-t-il.

 

Pour Outam, Nishta, Jean-Yves et les autres qui, comme eux, ont la possibilité de travailler malgré leur handicap, c’est tout ce qui compte.

 


 

En chiffres

 

À septembre 2014, seulement 1 200 employeurs étaient enregistrés au Registre des employeurs tenu par le Conseil, comme le préconise le TEDP Act. De ces entreprises, seules 34 avaient respecté le quota de trois employés handicapés. Selon les chiffres de l’année dernière, Maurice comptait 60 000 handicapés. Seuls 8 400 avaient trouvé un emploi. Toujours selon les chiffres de 2014, 15 000 d’entre eux étaient éligibles à l’emploi, 6 000 étaient à la recherche d’un emploi et 8 000 travaillaient déjà dans des entreprises.

 


 

Que dit la loi ? 

 

Le travail n’est pas un privilège, mais un droit essentiel pour tout le monde. Selon le Training and Employment of Disabled Persons Act (TEDP), la loi de 1996, revue en 2012 et traitant de l’emploi des personnes handicapées, tout employeur de 35 salariés, soit un pourcentage de 3 % de l’effectif, doit embaucher des personnes en situation de handicap, mais aptes à travailler. Malheureusement, cette loi n’est pas toujours respectée à Maurice. L’année dernière, l’Alliance Lepep avait promis, dans son programme électoral, d’encourager l’employabilité de ceux qui vivent avec un handicap à travers la création d’un Disability Discrimination Bill. Il y a quelques semaines, et cela à l’occasion d’une cérémonie dans le cadre des 50 ans de la MACOSS, la ministre de la Sécurité sociale, Fazila Jeewa-Daureeawoo, est revenue sur ce projet : «Ce Disability Bill va mieux protéger les handicapés et veillera à ce que les mesures soient respectées pour permettre à leur épanouissement et leur développement.»

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