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11 février 2016 15:34
Dans sa tête, les souvenirs s’effacent peu à peu. Il devait avoir 7 ans lorsqu’il a marché pour la dernière fois. Sentir ses jambes, avoir cette sensation de se tenir debout sur ses pieds, courir, même si cela lui était difficile. Tout cela, pour Adrien Keisler, n’est plus qu’un lointain souvenir. Il a 3 ans lorsque sa mère Marie-Angel comprend que quelque chose ne tourne pas rond. Le petit a du mal à se tenir sur ses jambes, tombe fréquemment et peut difficilement soulever les pieds. «À un moment donné, il ne pouvait plus marcher. Nous sommes allés chez le pédiatre et Adrien a fait une série d’examens médicaux», se souvient-elle.
Lorsque le médecin leur annonce qu’il souffre de dystrophie musculaire de Duchenne, la forme la plus sévère de la maladie, les parents d’Adrien ne comprennent pas bien de quoi il s’agit. À l’époque, la rareté de cette maladie et le manque d’informations font qu’elle est peu connue. Lorsque le médecin leur annonce que leur fils est atteint d’une maladie génétique extrêmement rare qui attaque les muscles du corps et qui rend le patient entièrement dépendant de son entourage, ou encore que son espérance de vie est entre 15 à 25 ans, les parents d’Adrien sont tétanisés. «C’était un choc incroyable. Je n’arrivais pas à y croire»,se rappelle Marie-Angel qui fait alors le rapprochement avec son frère qui, lui aussi, souffrait de la même maladie.
Marie-Angel se souvient des premières questions qui lui sont venues en tête à ce moment-là et qu’elle se pose sans doute encore aujourd’hui : pourquoi son fils ? Pourquoi elle ? Mais aussi de ce sentiment de colère qui l’a tout de suite envahie comme une bouffée de chaleur qu’on ne peut contenir. Encore aujourd’hui, quand elle regarde en arrière, les larmes lui montent aux yeux. Depuis la maladie, le monde de Marie-Angel ne tourne qu’autour d’Adrien. Certes, elle aime son fils d’un amour incommensurable et sa fierté devant sa rage de vivre ne sera jamais ébranlée. Mais les moments difficiles sont malheureusement plus nombreux que les jours heureux : «Il ne peut rien faire seul. Il n’y a que sa tête et ses mains qu’il peut encore bouger. Je dois tout faire pour lui, lui donner son bain, l’habiller. Ce n’est pas facile, surtout que je ne suis plus toute jeune. Je n’ai plus autant de force. Heureusement, il est très fort. Il me parle beaucoup et c’est lui qui me donne du courage.»
Face à la maladie, Adrien reste serein. Bien qu’il ne puisse pas bouger et avoir la vie d’un jeune adulte, il ne se trouve pas différent des autres. Arrêter l’école à 15 ans après s’être fait opérer de la colonne vertébrale à l’étranger a été un coup dur. Mais le jeune homme s’est vite repris. Aujourd’hui, grâce à son fauteuil motorisé, il va faire des petites balades dans son quartier à Mahébourg. «J’aime bien sortir, prendre l’air, voir des gens, ça me fait du bien. Je suis aussi beaucoup sur Internet, c’est ma principale distraction. Je joue en ligne, je regarde des films, je suis sur Facebook. Et puis, j’aime bien sortir. Mes parents m’emmènent souvent me promener. Grâce à toutes ces activités, je reste actif»,dit-il.
S’il ne sait pas de quoi sera fait demain, cette incertitude ne l’empêche pas pour autant de vivre sa vie. Profiter de chaque instant, vivre chaque moment intensément, chaque jour comme si c’était le dernier. Aimer, s’amuser, découvrir, vivre tout simplement. C’est aussi la philosophie d’Antish Rupear, 25 ans, le plus âgé des patients mauriciens atteints de cette maladie. Malgré cette maladie qu’il l’a rendu prisonnier d’un corps qui n’obéit plus et ne peut plus bouger, le jeune homme s’estime heureux et chanceux. Sa chance, dit-il, c’est celle d’avoir à ses côtés de formidables parents qui se sont toujours démenés pour assurer son bien-être et lui donner tout ce dont il a besoin et tout ce qui peut lui faire plaisir.
En décembre dernier, toute la famille a embarqué à bord d’une croisière pour un voyage sur le continent asiatique à l’occasion du 25e anniversaire d’Antish. Un rêve devenu réalité pour le jeune homme qui a toujours voulu voyager : «C’était merveilleux. Nous avons pris l’avion. L’équipage a été super et a tout mis en œuvre pour que le voyage se passe bien. Nous avons ensuite pris le paquebot et avons découvert le Singapour, le Cambodge, le Vietnam, entre autres. Nous avons accueilli la nouvelle année à Hong Kong en regardant le décompte. C’était magique.»
Lorsqu’il en parle, Antish a des étoiles plein les yeux. C’est ce genre de bons moments qu’il retient de la vie. Et quand ça ne va pas, ce sont ces souvenirs qui l’aident à tenir le coup. Car évidemment, tout est loin d’être facile. Lorsque la maladie est diagnostiquée et confirmée lors d’un voyage médical en France, Antish a 11 ans. Cela fait un moment déjà que marcher est devenu pour lui compliqué. Les chutes sont fréquentes et se relever lui demande beaucoup d’efforts. Prendre les escaliers lui est presque impossible. Son corps semble ne plus vouloir obéir. «Nous étions inquiets. Même si nous ne savions pas ce que c’était, nous savions que quelque chose n’allait pas. Nous sommes allés voir de nombreux médecins, dans le public comme dans le privé. Certains ne savaient pas de quoi il s’agissait. L’un d’entre eux a fini par mettre le doigt sur le problème et Antish a eu droit à une batterie de tests. Nous avons dû nous rendre en France pour confirmer que c’était bien la dystrophie musculaire de Duchenne», se souvient son père Ravin, enseignant de mathématiques au collège Notre-Dame.
Pour lui et son épouse Reshmee, le choc est violent mais pas le temps de s’apitoyer sur le sort qui semble leur jouer un mauvais tour. À 12 ans, Antish n’est plus capable de marcher et perd toute sa mobilité. Reshmee et Ravin doivent réorganiser leur vie, leur quotidien, leur maison. Pour le reste, on fait avec. Avec deux parents enseignants, l’éducation est importante au sein de la famille, et Antish, qui circule grâce à un fauteuil motorisé, aime l’école malgré les difficultés qui se présentent à lui. Il intègre le Curepipe College où sa maman enseigne les langues orientales. «C’était la seule solution pour qu’il puisse être scolarisé. On partait ensemble. Je l’installais dans sa classe. Je venais lui donner son déjeuner à l’heure de la récré. J’ai même été sa prof en Form V»,se souvient Reshmee.
Comme pour toutes les mères confrontées à la maladie de leur enfant, Reshmee a mis beaucoup de temps avant de comprendre et d’accepter la réalité. Elle est passée par tous les stades, par toutes les émotions. La méditation l’a aidée à se calmer et à se recentrer sur l’essentiel. Sa vie est consacrée au bien-être d’Antish : «Je fais tout pour lui. Le matin, je lui donne son bain, son petit déjeuner et je le remets au lit avant d’aller travailler. À mon retour, je m’occupe de lui. Nous avons installé un lit pour moi dans sa chambre car, dans la nuit, je dois me réveiller pour changer sa position, entre autres.»Avec Ravin, ils se relaient à tour de rôle pour que leur fils, qui a besoin d’une attention permanente, ne manque de rien.
Dans sa chambre, Antish passe beaucoup de temps sur son ordinateur, l’une de ses plus grandes distractions. «Comme je n’ai pas pu aller à l’université, j’ai suivi un cours d’informatique en ligne. Je fais aussi beaucoup de recherches sur ma maladie. Je parle souvent avec mes amis sur Facebook, je joue à des jeux et tout»,dit-il. Malgré la maladie, le jeune homme est heureux et relativise la situation : «J’essaie de penser que je suis comme les autres, comme tout le monde. Je ne m’apitoie pas sur mon sort car je pense qu’il y a des gens qui vivent dans des situations encore plus difficiles que moi.»
Antish est la lumière de la famille et de la maison. Ses parents son admiratifs devant sa rage de vivre. «Il est intelligent et brave. Il reste toujours positif au point où c’est souvent lui qui nous donne du courage. C’est grâce à lui qu’on avance»,confie Reshmee. Bien sûr, il y a des moments où l’issue fatale de la maladie leur revient en mémoire. Dans ces moments-là, souligne Ravin, ils se rappellent que ce n’est pas la durée de vie qui compte mais la qualité de la vie qu’on a vécue.
La dystrophie musculaire touche un enfant sur 3 500 naissances, principalement les garçons. Cette maladie rare est attribuée à un gène défectueux lié au chromosome X qui se trouve chez la mère. Ainsi, un garçon dont la mère est porteuse du gène a une chance sur deux d’être atteint de cette maladie. Selon le Dr Lam, environ 200 Mauriciens souffrent de la dystrophie à ce jour. Il faut savoir, souligne le médecin, qu’il existe plusieurs formes de dystrophie musculaire. Certaines sont diagnostiquées à l’enfance, comme le Duchenne qui est l’une des formes les plus sévères et les plus courantes de la maladie, et d’autres à l’âge adulte, comme la dystrophie de la ceinture.
En ce qu’il s’agit de la dystrophie musculaire de Duchenne, c’est vers l’âge de 3 ans que les premiers signes de la maladie commencent à se manifester. «L’enfant naîtra normalement et, dans les premières années de sa vie, se développera aussi normalement. Mais à 3 ou 4 ans, on remarque qu’il est plus lent à marcher, qu’il a des difficultés à courir. Il tombe souvent et se relève avec difficulté»,explique le Dr Lam. Au fur et à mesure, les muscles du corps connaissent une dégénérescence progressive, perdant peu à peu leur force et leur volume. Les mouvements volontaires, en particulier les muscles des jambes et des bras, deviennent de plus en plus difficiles. Puis viennent les muscles respiratoires et le cœur.
Malheureusement, la plupart des personnes atteintes de dystrophie musculaire perdent peu à peu la capacité de marcher et se retrouvent donc en fauteuil, perdant leur autonomie. S’il n’existe aucun traitement contre la dystrophie, l’espérance de vie, qui était auparavant de 25 ans, est passée à 30 ans grâce aux nouvelles techniques médicales. «La kinésithérapie, la physiothérapie et les appareils respiratoires peuvent les soulager. La cortisone peut aider à freiner l’évolution de la maladie mais on ne peut pas guérir de la dystrophie»,souligne le spécialiste.
Aujourd’hui, cependant, les chercheurs se penchent sur la thérapie génique qui pourrait probablement révolutionner le traitement de la maladie. Il s’agirait d’un gène synthétique que les chercheurs espèrent pouvoir introduire dans l’organisme.
Lorsque l’association est créée en 2003 par un groupe de parents, le but est de se regrouper pour partager ses expériences et s’entraider. Au fil des années, l’association trouve une autre voie, celle d’améliorer la qualité de vie et d’augmenter la durée de vie des personnes atteintes grâce à des interventions médicales, de s’assurer que leurs droits soient respectés, que ces personnes et leurs parents bénéficient d’un soutien psychologique, et lutter pour de meilleurs soins en termes de traitements et d’équipements. «Depuis quelques années, nous faisons venir des appareils respiratoires et des chaises motorisées pour les patients»,explique Bindu Buruth, coordinatrice de l’association qui offre des sessions de kinésithérapie une fois par semaine.
Selon les données de l’association, la durée de vie des patients à Maurice est limitée. Leur espérance de vie ne dépasse généralement pas les 25 ans, alors que, dans d’autres pays où de nouveaux traitements, dont la chirurgie, sont disponibles, l’espérance de vie a augmenté jusqu’à 30-40 ans. Aujourd’hui, la Muscular Dystrophy Association s’occupe de 51 malades. Elle s’engage aussi à donner un soutien psycho-social, à informer les familles et les patients sur l’évolution de la maladie, à offrir un soutien financier à ceux qui en ont besoin, et des suivis médicaux.
Comment parler de la dystrophie musculaire sans évoquer Yogeesh Patroo. L’adolescent, décédé en 2011 après avoir courageusement lutté contre sa maladie, est le symbole même du courage et de la rage de vivre. Amoureux de la vie et de la musique, Yogeesh Patroo, alias Souljah Yog, a réalisé son plus grand rêve en lançant son album Mo Vision, un opus de six titres sur lesquels des chanteurs connus ont aussi posé leur voix. Sa bonne humeur et son dynamisme ont séduit bien des personnes ayant croisé son chemin.
Celui qui croque la vie à pleines dents est allé jusqu’au bout de ses rêves. Il a ainsi été élu Most Outstanding Young Personde Vacoas en 2007. Il a été la mascotte de Maurice lors des matchs Maurice-Soudan et Maurice-Côte d’Ivoire, ce qui lui a permis de rencontrer Didier Drogba (qui jouait à l’époque à Chelsea) et Kolo Touré (alors àManchester City).
Quelques semaines après son décès, les résultats des derniers examens de School Certificate tombent. Yogeesh a décroché la meilleure performance de son collège, la SSS de Vacoas, avec 19 unités. Pour honorer la mémoire du jeune artiste, le National Council for the Rehabilitation of Disabled Persons a lancé un concours de chants ouvert aux personnes handicapées dans les catégories orientale, séga et européene. Un bel hommage pour celui qui a donné une belle leçon de vie.
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