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2 juillet 2015 14:13
Dans le salon de L’Abri de Lumière, Sharon,16 ans, attend. Pas plus haute que trois pommes et toute menue, elle tient dans ses bras celui qui a changé sa vie à tout jamais en venant au monde il y a dix mois. L’adolescente fait partie de ces quelques filles mères prises en charge par le Mouvement Civique de Baie-du-Tombeau. Celui-ci a mis sur pied, il y a un peu plus d’un an, L’Abri de Lumière, un centre d’accueil pour les jeunes filles qui font face à l’épreuve de la grossesse précoce. Sharon est arrivée ici il y a un mois seulement avec son fils dans les bras après avoir fui la maison de son ancien compagnon et père de son enfant dont ils ont tous les deux subi la violence. Sharon le sait, elle était trop jeune pour devenir mère, elle qui n’avait que 14 ans lorsqu’elle est tombée enceinte. Trop jeune aussi pour subir les coups et les insultes d’un compagnon violent.
Pourtant, au début de leur histoire, raconte-t-elle, ils étaient très amoureux. Lorsqu’elle constate qu’elle fait un retard, elle qui est d’habitude si bien réglée, Sharon a peur. Elle est enceinte, elle le sait. Dans sa tête, les interrogations se bousculent. Comment vont réagir ses parents ? Le père acceptera-t-il cet enfant ? Quel sera son avenir, elle qui ne sait ni lire ni écrire ? Quel sera celui de son enfant ? Elle en parle à sa mère dont la réaction lui fait l’effet d’une gifle. «Fer li ale», lui dit sa maman sans passer par quatre chemins. Pour elle, Sharon doit se débarrasser sans tarder du fœtus pour ne pas gâcher son avenir. Mais la principale intéressée ne l’entend pas de cette oreille. «Je ne voulais pas avorter surtout que le papa m’avait dit qu’on allait s’occuper de notre bébé ensemble, qu’on allait former une famille. Il était content», se souvient Sharon dont les souvenirs de ces moments sont encore frais dans sa mémoire. Elle y croit, naïvement.
Malgré son jeune âge, sa grossesse se passe particulièrement bien : «Je n’ai eu aucun problème. J’avais des douleurs, mais j’ai tenu bon et j’ai accouché facilement de mon bébé.» Toutefois, Sharon n’est pas tranquille. Sa maman l’a contrainte à faire une déposition à la police contre son compagnon pour relations sexuelles avec mineure et celui-ci se retrouve en prison pour trois mois. Après l’accouchement, la jeune fille retourne vivre chez ses parents. À sa remise en liberté, le père de son enfant vient la chercher. Ils vivront ensemble chez lui. Sharon est heureuse, mais elle voit bien que quelque chose ne tourne pas rond chez lui. «Il avait changé. Il me tenait responsable de son emprisonnement. Il était en colère», se rappelle l’adolescente. Les insultes et les coups ne tardent pas à pleuvoir. Il boit de plus en plus, ce qui ne fait qu’empirer les choses. Sharon se sent coincée, prise au piège. Elle n’avait pas rêvé d’une telle vie pour elle et son fils.
La situation devient encore plus critique lorsque son compagnon s’en prend au bébé qui reçoit aussi des coups. Devant la violence de celui-ci envers son enfant, Sharon s’interpose pour défendre son petit : «Je criais pour qu’il arrête. Du coup, il laissait l’enfant pour s’acharner sur moi.» Les pleurs, les cris et la maltraitance de son père ont un effet dévastateur sur le petit qui présente des signes de traumatisme. Pour sauver son fils, Sharon décide d’alerter les autorités. «Je ne pouvais plus continuer comme ça. Alors, j’ai demandé à ma mère d’appeler la brigade des mineurs. Un matin, celle-ci est venue. J’ai pris mon fils avec moi et on est partis.» C’est comme ça que Sharon est devenue l’une des pensionnaires du centre L’Abri de Lumière.
Sortir du gouffre
Là-bas, son fils et elle ont trouvé la paix. Encadrée par une équipe de professionnelles, elle apprend tous les jours à mieux s’occuper de son enfant. Au centre, elle a rencontré des filles qui, comme elle, sont devenues mamans très jeunes. Elle qui avait perdu l’espoir de pouvoir un jour sortir du gouffre dans lequel elle se trouvait a aujourd’hui retrouvé la joie de vivre. Son fils, encore traumatisé par ce qu’il a vécu, ne la lâche pas d’une semelle et se blottit dans ses bras qui lui apparaissent comme sa meilleure protection. «On m’a dit que je devais avoir un peu de patience. Il a vécu des choses horribles et il faut du temps pour qu’il se remette. Il va se sentir de plus en plus à l’aise, va avoir confiance et il ira mieux tout comme moi. Quand je suis arrivée, j’étais en colère, mais aujourd’hui je vais mieux», confie Sharon qui rêve aujourd’hui de suivre une formation professionnelle, de devenir serveuse et de trouver une maison pour son fils et elle.
C’est le rêve que partagent pratiquement toutes les filles mères qui sont de passage à L’Abri de Lumière. Comme Kervina, 16 ans, maman d’une petite fille âgée de quelques mois seulement. Comme son amie, l’adolescente espère un jour devenir réceptionniste, trouver une maison et offrir une vie bien meilleure à son enfant. C’est enceinte qu’elle débarque au centre pour la première fois. L’intégration et l’adaptation sont difficiles. Kervina porte en elle une grande colère. Elle en veut énormément au père de son enfant, mais aussi à elle-même, elle qui savait qu’avoir des relations sexuelles non protégées était risqué : «Un jour, je l’ai appelé pour lui dire que j’étais enceinte. Il n’a pas accepté. Il m’a dit que l’enfant n’était pas de lui. Depuis, on ne s’est jamais reparlés. Je ne sais même pas s’il sait que son enfant est né. J’étais tellement déçue de sa réaction et en colère contre moi de m’être mise dans une telle situation.»
Devant l’absence de ses règles, son corps qui change, son ventre qui grossit, Kervina préfère cacher sa grossesse à sa famille. «Mon ventre n’était pas trop gros. Du coup, ma famille n’a rien remarqué. Sous mon uniforme d’école, personne ne se doutait que j’étais enceinte. Ce n’est que quand une personne est venue dire à ma mère que j’avais changé qu’elle m’a emmenée à l’hôpital. On a découvert ma grossesse alors que j’étais enceinte de huit mois et demi», raconte la jeune maman.
Celle-ci n’a jamais voulu se séparer de son bébé. Elle a, dit-elle, immédiatement éprouvé de l’amour pour le petit être qui grandissait dans son ventre. Un sentiment qui s’est confirmé lorsqu’elle l’a vu pour la première fois lors de l’échographie. Elle qui n’est encore qu’une ado ne pensait pas non plus ressentir un amour aussi fort en tenant son bébé dans les bras après l’accouchement. Et qu’importe si sa petite fille grandit sans son père. Elle fera tout ce qu’il faut pour qu’elle ne manque jamais de rien. En attendant de pouvoir se mettre debout sur ses pieds, Kervina apprend le maximum de choses qu’elle peut. Au centre, on lui apprend à s’occuper d’un bébé, à l’allaiter, à le changer et toutes les autres choses qu’une mère doit faire pour son enfant. Mais elle, tout comme les autres filles, bénéficie de formations professionnelles que ce soit dans la coiffure, la pâtisserie ou autre. Elle, pour sa part, espère devenir réceptionniste, mais souhaite avant tout être une bonne mère pour sa petite fille et faire son avenir.
«Un rempart vers une vie meilleure.» C’est ainsi que Rozy Khedoo, travailleuse sociale et fondatrice du Mouvement Civique de Baie-du-Tombeau, décrit le centre d’accueil des filles mères. C’est ce mouvement qui a mis sur pied L’Abri de Lumière, il y a un peu plus d’un an. Celui-ci accueille aujourd’hui quatre jeunes mamans et leurs enfants. Ce projet s’adresse aux jeunes adolescentes qui tombent enceintes accidentellement et qui ont besoin d’aide pour s’occuper de leurs enfants. Ce phénomène de grossesse précoce, Rozy Khedoo, également responsable de L’École de la Vie, le premier projet du Mouvement Civique de Baie-du-Tombeau, dit le constater de plus en plus dans la société mauricienne. Pour elle, c’est le manque de maturité et la naïveté qui ont mené ces filles à devenir des mères précoces. «Elles sont jeunes et croient facilement au nirvana dans l’amour. Quand on est amoureuse, on croit qu’on sera ensemble pour la vie, que notre copain ne va jamais nous trahir. Et puis, quand ça se produit, on tombe de haut. Et quand il nous abandonne lorsque l’on est enceinte, ça fait encore plus mal. On se sent seule, trahie et abandonnée», souligne-t-elle.
Il y a aussi la colère et les reproches de la famille, les critiques des copines, le regard de la société et ce sentiment qu’on a gâché sa vie. Face à cette situation, les filles développent, ajoute Rozy Khedoo, un rejet total de leur bébé. Elle en a vu certaines, dit-elle, qui dans leur grand désespoir songent même au suicide. «Elles sont désemparées. Avec cette grossesse inattendue, elles subissent les foudres des parents et de la famille, qui les rejettent. Il y a aussi le père qui n’accepte pas cette grossesse et qui les laisse tomber. Elles se sentent perdues et abandonnées», explique la travailleuse sociale.
L’objectif de L’Abri de Lumière est donc de tendre une main bienveillante à ces filles en manque de repères, de les aider en les donnant les outils nécessaires pour s’occuper de leur bébé et devenir des jeunes femmes indépendantes. C’est pourquoi, au centre, les mamans ados sont entourées d’une équipe de professionnelles qui les encadrent et leur enseignent tous les gestes importants pour le bébé. Elles bénéficient aussi de l’expertise d’un psychologue et d’un médecin. Pour démarrer dans la vie et partir sur de bonnes bases, le centre offre aussi des cours et des formations professionnelles. «Nous travaillons sur la réadaptation, la réhabilitation et la réorientation de ces filles qui se sont enfermées et se sont retirées de la société à l’annonce de leur grossesse. C’est très dur pour elles», déclare notre interlocutrice. Au centre, les filles mères sont donc suivies et accompagnées jusqu’à ce qu’elles puissent prendre leur envol. À L’Abri de Lumière, tout est pris en charge que ce soit pour elles ou leurs bébés. Ce projet ambitieux nécessite un coût et ce n’est pas toujours évident. «Nous avons besoin de sponsors pour nous aider dans notre mission. Tout cela demande beaucoup d’investissements, mais nous avons besoin d’aider ces filles. Avec de l’aide, nous pourrons faire encore plus pour elles et leurs bébés, mais aussi accueillir plus de filles mères» déclare Rozy Khedoo.
En plus de l’abri, les mamans ados ont l’opportunité de suivre des cours et des formations professionnelles à L’École de la Vie qui existe depuis 12 ans. Située au cœur de Baie-du-Tombeau, celle-ci accueille les jeunes ados de la région en échec scolaire et qui ont besoin d’un système éducatif différent et plus adapté à leurs besoins. Ce programme est adressé, explique Rozy Khedoo, aux enfants issus de milieux difficiles, qui traînent les rues et qui ont délaissé l’école : «Lorsque nous avons constaté que les enfants de la région n’allaient pas à l’école pour traîner les rues et sniffer de la colle, on s’est dit qu’il fallait qu’on réagisse. L’école a été mise sur pied pour leur donner une deuxième chance.» Ces jeunes de 13 à 16 ans bénéficient non seulement de cours d’anglais, de français et de maths, mais aussi de formation professionnelle.
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