Publicité
24 novembre 2015 13:07
Petit, on se bagarre parce qu’on veut le même jouet, parce qu’on ne veut rien partager. Des fois, on se tape dessus. Les chamailleries pour tout et rien sont incessantes. La jalousie prend le dessus lorsque les parents offrent quelque chose à l’un et pas à l’autre. Partager l’amour parental lorsqu’on est petit semble inconcevable. Et puis, on grandit, on devient adolescent. Certains se rapprochent, d’autres pas. Les relations entre frères et sœurs peuvent varier d’une extrémité à une autre, oscillant entre sentiments explosifs et tendresse. Rien de plus normal, selon les professionnels de la psychologie, qui expliquent que la rivalité au sein d’une fratrie est inévitable et aide au bon développement de l’enfant qui comprend qu’il n’est pas seul au monde et arrive à se structurer.
Dans leur famille, Karina et sa jumelle ont toujours eu la réputation de ne jamais s’entendre sur quoi que ce soit. Contrairement à ce qu’on dit souvent sur les jumeaux, les deux jeunes femmes ne partagent pas une relation fusionnelle. Entre elles, c’est même souvent le froid et les disputes. «Nous sommes des jumelles non identiques. Je suis l’aînée de quelques minutes. Nous avions deux caractères différents dès l’enfance. Moi la plus calme et elle la ‘‘mama dife’’. J’étais introvertie et timide. Elle était extravertie avec beaucoup plus d’assurance. Nous allions à la même école, pré-primaire, primaire et secondaire, mais pas toujours dans la même classe. Nous avions quelques points communs et aimions parfois les mêmes jouets, les mêmes couleurs, ce qui pouvait créer des conflits si nous n’avions pas les mêmes choses», confie la jeune femme.
Dans ses souvenirs, il y a des petits moments de leur vie qui lui reviennent parfois : «Bien sûr, il y avait les jouets pour lesquels on se bagarrait souvent, mais il y avait surtout l’angoisse de la célèbre phrase : ‘‘C’est toi la préférée’’ et le fait que les parents se trompent de prénom en nous appelant.» Selon Karina, le fait que sa sœur et elle soient des jumelles non identiques les a toujours poussées à vouloir se démarquer l’une de l’autre. Le souci, explique-t-elle, ce sont les incessants commentaires de leurs parents qui perdurent depuis qu’elles sont petites. «Regarde ta sœur, elle est plus ordonnée que toi. Ah, c’est elle la plus sportive. Non, c’est elle la plus mince. Cette comparaison constante nous a mis en compétition dans nos études et c’était aussi difficile de se partager les mêmes amis. Le souhait de nos parents, c’était de toujours nous voir ensemble, rentrer de l’école ensemble, sortir ensemble. Ils voulaient qu’on soit proches, mais je pense que c’est ce qui nous a éloignées», confie la jeune femme.
Avoir des frères et sœurs, et gérer les relations qui en résultent, dit-on, est un apprentissage de la vie en société. Aujourd’hui, les jumelles ont évolué et sont devenues des adultes. Comme elles évoluent dans deux secteurs professionnels totalement différents, les disputes et la compétition qui existaient entre elles autrefois sont beaucoup moins présentes. Être frères et sœurs n’empêche pas d’avoir des visions de la vie différentes et c’est le cas pour Karina et sa jumelle, qui partagent aujourd’hui une relation plus paisible : «Chacune a son territoire, son espace où elle peut être elle-même sans être la jumelle de. Il nous arrive encore, et ça arrive assez souvent, d’avoir des commentaires du style : ‘‘Mais vous allez vous entendre un jour ?’’ Il y a souvent de l’incompréhension, car nous avons une vision différente des choses. Les disputes, il y en aura toujours aussi. Mais on sera toujours là l’une pour l’autre, même si parfois on peine à trouver les mots pour se consoler et se dire ce qu’on ressent. Je sais quand elle va mal et vice versa, et je pense que c’est le plus important.»
Les liens fraternels sont très complexes. Si les bagarres infantiles disparaissent souvent à l’adolescence, les relations entre frères et sœurs s’apaisent normalement à l’âge adulte. Sauf pour certaines fratries où, malgré la maturité, les rancœurs de l’enfance et les rivalités ne disparaissent jamais totalement. La situation peut devenir particulièrement toxique lorsque les relations familiales ne sont pas au beau fixe, que l’ego entre en jeu, forçant l’adulte à toujours défier l’autre, à toujours chercher à avoir raison sur tout, à camper sur ses positions, à ne pas lâcher prise. Au fil des années, certains en viennent malheureusement à se détester.
Jacques, 61 ans, est l’aîné d’une très grande fratrie : «Chez nous, nous sommes à six frères et quatre sœurs.» Étant le plus grand de la famille, il a toujours été comme un deuxième papa pour les siens. Celui qui a dû se mettre au travail très tôt pour venir en aide à ses parents a grandi dans la discipline et la sévérité, contrairement aux derniers de la famille. Dans ses souvenirs, c’est quand un de ses plus jeunes frères était adolescent que leur relation a commencé à se gâter. Le problème, dit-il, c’était leur caractère bien trempé à tous les deux, qui déclenchait à chaque fois des disputes. D’aussi loin que se souvient Jacques, tout les éloignait : «Il a toujours été très arrogant. Pourtant, en tant que grand frère, j’ai toujours été là quand il avait besoin de moi.» Entre eux, c’est alors beaucoup de conflits. En grandissant, leurs relations ne s’apaisent pas. Bien au contraire. «Il a cette habitude de se croire meilleur que les autres. Il pense avoir raison sur tout, se croit plus intelligent. À chaque fois que nous nous voyons, c’est le clash, que ce soit sur la politique ou sur autre chose. Il a cette manière de me défier qui me met hors de moi», avoue Jacques.
Si ce dernier a été élevé dans des règles strictes, il voit son frère comme un de ces petits enfants pourris gâtés à qui on n’a pas imposé des limites, même s’il concède que, comme son frère, il n’aime pas céder quand il pense avoir raison : «Par exemple, il critique souvent les fonctionnaires et il se trouve que j’en suis un. Je ne peux pas le laisser faire à chaque fois qu’il en parle avec dédain. Je réplique et la dispute est inévitable.» Selon lui, les nombreuses années qui les séparent ont aussi une incidence sur leur façon d’être et sur leurs centres d’intérêt. Et à en croire les professionnels de la psychologie, l’hostilité est maximale lorsque frères et sœurs présentent un écart d’âge se situant entre deux et quatre ans. De plus, souligne Jacques, les différences de niveau de leur mode de vie les éloignent et réveillent les sentiments d’hostilité de l’enfance.
Aujourd’hui, les deux frères ne se voient que quelques fois l’an à l’occasion des grandes fêtes. Une vision peu idyllique de la fraternité, mais qui reste néanmoins réelle. Malgré tout, confie Jacques, Cela ne l’empêche pas, d’aimer son frère envers et contre tout. Malgré la distance qui s’est installée entre eux.
Un écart d’âge plus ou moins important est, selon les spécialistes en la matière, un facteur important dans la relation fraternelle. S’il est faible, les enfants seront plus proches et n’hésiteront pas à avoir des jeux communs, une certaine complicité. Dans tous les cas, vous n’éviterez pas la rivalité et la jalousie. Si un ou deux ans seulement les sépare, la crise qui est normale sera passagère. Cependant, à l’âge de trois ans, moment caractérisé par la rentrée à la maternelle, l’arrivée d’un frère ou d’une sœur peut tourner à la catastrophe. Certains spécialistes, comme le pédiatre français Marcel Rufo, recommandent entre cinq à six ans d’écart. «Les pulsions agressives auront alors laissé la place à la tendresse. L’aîné aura eu le temps de jouir de son statut d’enfant unique et son réseau d’amis aura été constitué ; il acceptera plus facilement que la mère soit moins disponible», a-t-il écrit.
Frères et sœurs, chacun cherche sa place de Françoise Peille
(Hachette pratique, 2005)
Avec la disparition du droit d’aînesse et la raréfaction des familles nombreuses, la fratrie s’est transformée en un haut lieu de la rivalité.
Frères et sœurs pour la vie d’Évelyne Favart
(Cortext, 2007)
Une analyse sociologique très détaillée des divers types de liens qui se nouent entre les frères et sœurs devenus adultes.
Frères et sœurs : la maladie d´amour de Marcel Rufo et Christine Schilte
(Éditions Fayard)
Frères et sœurs : leurs relations sont le résultat d’une grande intimité qui n’est pas choisie, mais imposée. Et tout le problème est là ! On pourrait même dire que la fratrie est une maladie – une maladie d’amour chronique, avec ses instants de complicité, ses bonheurs partagés, ses souvenirs communs, mais aussi ses moments de crise, ses rivalités et ses jalousies.
Des frères et des sœurs: la complexité des liens fraternels de Sylvie Angel
(Éditions Robert Laffont)
De quoi sont tissés les liens fraternels ? Comment complicités et rivalités jouent-elles dans une même famille ? Quelles séquelles peut laisser la mort d’un frère ou d’une sœur chez le survivant ? Sœurs et frères nous accompagnent depuis l’enfance et sont à nos côtés tout au long de notre existence. Pour la plupart d’entre nous, rien de plus banal que ce lien, que ces racines communes, que cet itinéraire commun.
La rivalité, la jalousie, les conflits… tout cela est-il normal entre frères et sœurs ?
La rivalité fraternelle existe bel et bien, et trouve son origine dans la naissance même de la fratrie. Avec la naissance du deuxième enfant, il y a chez chacun des frères et sœurs un vécu douloureux de perte ou de manque. L’aîné/e aura peur de perdre l’amour de ses parents et le/la cadet/te manquera de l’amour exclusif qu’a eu l’aîné avant lui/elle et devra se construire dans l’ombre de ce/cette frère/sœur face à qui il/elle restera toujours le/la plus petit/e. Suite à ce vécu, le lien va se créer sur un système de comptes où chacun des enfants va se comparer et se mesurer à l’autre, et vouloir ce que l’autre a, voire même plus que ce qu’il/elle a.
La fraternité n’est-elle pas un lien indestructible ou a-t-on tendance à idéaliser ce lien ?
Je pense qu’on idéalise beaucoup la fraternité. Être frères et sœurs ne signifie pas pour autant que nous avons un lien fraternel. La fraternité est un sentiment et un lien très forts, mais qui est à construire et qui se met en place grâce aux parents et à la relation qu’ils arrivent à créer entre leurs enfants. Le couple parental doit donc faire attention à ne pas favoriser un des enfants par rapport à son propre vécu de la fratrie, ni les inclure dans leurs conflits.
Qu’est-ce qu’il faut faire en cas de rivalité ?
Je pense qu’il est important que les parents ne laissent pas les enfants se faire justice eux-mêmes, mais qu’au contraire, ils incarnent cette loi en imposant des règles et en punissant lorsqu’il le faut afin que chacun des membres de la fratrie prenne conscience de sa responsabilité auprès de son/sa frère/sœur et qu’ils apprennent à accepter l’autre dans sa valeur humaine. C’est donc prendre le temps et reconnaître chaque enfant dans sa particularité afin que l’autre puisse l’accepter comme tel.
Il y a une phrase qui résume bien tout cela : «Une famille juste est celle où, malgré les disparités des besoins, du sort, des mérites, des avantages ou handicaps de chacun, la souffrance, les besoins de chacun comptent autant que ceux des autres.» En tant que parent, être juste, c’est donc ne pas favoriser l’un ou l’autre des enfants pour creuser les rivalités, mais au contraire s’adapter aux besoins de chacun des enfants.
Publicité
Publicité
Publicité