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20 mars 2018 22:53
14 heures, dans les rues de Port-Louis. La capitale est bruyante, étouffante. Les gens se faufilent entre les voitures, pressés de rentrer au bureau. Comme souvent à cette heure de l’après-midi, on les voit peu. Pourtant, ils sont là. Juste là. Au Jardin de la Compagnie, derrière le kiosque, ils sont un petit groupe à se tenir en retrait. Contrairement aux autres, ils ne semblent pas être de passage. Ils dorment tous dans la rue depuis des mois pour certains, depuis des années pour d’autres.
Installés sur de vieux cartons, ils regardent le temps passer. L’un d’eux s’occupe à faire des mots croisés sur un journal, un autre écoute de la musique sur un téléphone. Une autre jeune femme, elle, s’est endormi une serviette sur le visage, au milieu de ce brouhaha qui ne semble pas la déranger. Ils flâneront ici et là, iront se chercher à manger ou quémander quelques sous en attendant que le soleil se couche pour se réfugier dans les étals des marchands ambulants et y passer la nuit.
Selon Jessica, 27 ans, ils sont environ une quinzaine de personnes à partager cet espace. «La journée, on se disperse pour ne pas se faire remarquer par la police mais aussi pour chercher à manger. On va aussi prendre des repas au centre Marie Reine de la Paix et ensuite, on revient au jardin une fois qu’il fait nuit.» Cela fait à peu près huit mois qu’elle dort dans la rue. D’incessantes bagarres familiales ont fait qu’elle se retrouve aujourd’hui sans abri.
La semaine dernière, elle les as vues, dit-elle, ces femmes qui s’étaient transformées en SDF. Sur le coup, elle n’avait pas bien compris ce que ça voulait dire. Il a fallu que Christophe, un copain SDF, qui adore lire, celui-là même qui fait les mots croisés, lui raconte ce qui se disait dans les journaux. «C’est vrai, elles ont joué un rôle mais ça peut nous aider nous. Les gens vont peut-être comprendre notre situation et nous regarder différemment.» Plus que l’indifférence, ce sont les regards qui touchent, qui blessent, qui brisent. «Get nou koumadir nou enn bann drol dimounn.» Christophe, 33 ans, parle, lui, de stigmatisation. «On se sent mis à l’écart, rejeté, exclu de la société.»
Assis sur une vieille chaise de bureau, visiblement bien amochée, Tiloon, comme il se fait appeler, vit depuis deux ans dans la rue. Il n’a que 18 ans. «Mes parents sont séparés. Ils se sont toujours bagarrés. À l’école, ça n’allait pas. À la maison, ça n’allait pas. Monn desid pou tras mo lavi.» Cependant, la réalité de la rue est pénible et difficile à supporter.
Jessica a eu, à de nombreuses reprises, peur pour sa vie. Le soir, Port-Louis prend un tout autre visage. «C’est risqué, surtout pour une femme. Il y a des bagarres. Nous ne sommes pas en sécurité.» C’est pour cela qu’elle espère que l’action de ces onze femmes mènera à quelque chose de mieux pour elle et ses camarades. «Nous espérons qu’il y aura un changement, qu’une association ou le gouvernement nous prendra en charge. Nous avons besoin d’un abri de nuit, d’un endroit où on peut dormir en sécurité.» Tel est leur vœu le plus cher.
Une semaine après, que retenez-vous de cette expérience ?
Je suis encore émue et tellement contente d’avoir pu réunir 11 femmes sur les 50 invitations envoyées. Ce n’est pas rien. Elles ont joué le jeu jusqu’au bout et ne sont pas passées inaperçues. Cela me réconforte à l’idée de pouvoir nous réunir pour certaines causes, même si nous avions des idéologies différentes.
Il y a eu beaucoup de critiques. Comment réagissez-vous face à tout cela ?
Les critiques sont inévitables. J’aime les critiques, surtout quand elles sont constructives mais si vous parlez des commentaires désobligeants sur les réseaux sociaux, il n’est pas difficile de comprendre qui se cache derrière ces profils. La plupart de ces personnes sont des politiciens ou des agents politiques. Ils sont ce qu’ils sont ! Ils n’ont pas compris que certaines causes doivent transcender les barrières politiques et religieuses. C’était avant tout un engagement personnel, une expérience humaine. Notre objectif était de mettre en lumière la situation des femmes sans-abri à Maurice. On en parle depuis 2016. L’année dernière, nous avons constaté que chaque jour, au moins sept femmes ont besoin d’un abri. C’est énorme.
Quelle est la prochaine étape ?
Nous allons inaugurer le premier abri pour femmes SDF à Maurice en mai grâce à l’événement sportif et caritatif IBL on the Move et d’autres partenaires. Nous militons en ce moment afin d’ouvrir un abri de nuit dans la capitale pour les femmes car il y en a trois pour les hommes et les femmes ont besoin d’une structure pour les accueillir d’urgence au moins le soir. Nous hébergeons déjà 14 personnes, même si le centre n’est pas totalement fonctionnel, et nous les encadrons grâce à un programme d’accompagnement qui a pour but de faciliter leur réinsertion dans le monde social et professionnel. Il s’agit aussi d’assurer la scolarité des enfants. Je pense que la campagne Et si c’était vous ? a eu l’impact voulu. Beaucoup de personnes nous ont contactés soit pour se porter volontaires, soit pour parrainer les repas.
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