Publicité
7 juin 2025 22:07
Si les économistes saluent les mesures budgétaires, du côté des Mauriciens, la réaction est bien plus mitigée. Décryptage de ce premier Budget de l’Alliance du Changement qui ne laisse pas insensible.
L’Alliance du Changement a-t-elle passé le test de ce premier Budget ? Aujourd’hui, pour beaucoup, la réponse est claire : le gouvernement n’a pas échoué, mais ne s’en tire pas avec des distinctions non plus. Résultat ? Borderline. Un pass timide et fade, mais un pass quand même. Les mesures annoncées par le Premier ministre et ministre des Finances, Navin Ramgoolam, suscitent des réactions diverses et variées. Si personne ne saute de joie, beaucoup estiment que cela aurait pu être pire. Il faut dire que depuis sa prise de pouvoir, le gouvernement ne cesse de marteler le même discours sur l’état pitoyable de l’économie légué par l’ancien régime, qu’il accuse d’avoir dilapidé les caisses de l’État tout en alourdissant la dette publique, plongeant ainsi le pays dans un marasme économique sans précédent.
Évoquant régulièrement la nécessité d’une refonte institutionnelle et d’une relance économique, Navin Ramgoolam a soutenu que l’heure est aux sacrifices et que le modèle basé sur les allocations doit disparaître. D’ailleurs, sa récente annonce sur le vide béant des caisses de la Contribution sociale généralisée (CSG) a été interprétée comme un autre signe d’un Budget ser sintir. Ainsi, ces dernières semaines, les Mauriciens ont oscillé entre inquiétudes, craintes et doutes. Après une longue attente, le couperet est finalement tombé et la réaction du public est depuis mi-figue, mi-raisin. Certaines mesures ont été saluées, comme le fait que les allocations sociales soient toujours d’actualité (bien qu’elles aient été revues à la baisse et qu’elles vont progressivement disparaître), alors que d’autres, comme le relèvement progressif de l’âge de la retraite de 60 à 65 ans, restent incomprises.
Faizal Jeeroburkhan estime que, compte tenu du contexte économique difficile, le gouvernement est parvenu à se démarquer : «Tenant compte de la situation économique et sociale périlleuse héritée du précédent gouvernement, je pense que l’Alliance du Changement a quand même réussi sa première épreuve budgétaire. Cependant, le débat animé qu’il a suscité après le discours du Budget indique qu’il a ses forces, mais aussi ses faiblesses. Ce Budget se démarque du précédent, perçu comme un exercice électoraliste, avec de nombreuses allocations non productives destinées à séduire l’électorat, ainsi qu’un usage abusif de la dette publique et de la planche à billets de la Banque de Maurice pour créer l’illusion que les comptes étaient équilibrés.»
Parmi les points positifs, note l’observateur politique, plusieurs initiatives ambitieuses et incitatives favorisent la relance de l’économie : «Le Budget vise à préserver la plupart des acquis sociaux, à revoir le système fiscal et les allocations pour une distribution plus équitable de la richesse, à accélérer la recherche et l’innovation, à réduire les inégalités sociales et à aider les populations vulnérables. Il impose une taxe pour freiner l’importation de nouvelles voitures et la fuite des devises étrangères, parmi d’autres mesures. Il cherche à diversifier l’économie et à créer de nouveaux pôles de développement comme l’intelligence artificielle, l’agro-industrie, l’économie océanique et l’économie verte. Il est aussi question de réduire le ratio dette/PIB à 63 % d’ici juin 2025, de réformer et de moderniser les institutions publiques pour plus de rigueur, de transparence, de recevabilité et de productivité, de digitaliser et d’améliorer les services publics, de renforcer le pouvoir d’achat en réduisant les prix de certains aliments de base et de médicaments, et de consolider la formation technique et vocationnelle des jeunes pour répondre à la demande croissante de techniciens.»
Courageux mais brutal
Concernant l’âge de la retraite fixé à 65 ans, Faizal Jeeroburkhan estime que le gouvernement n’avait pas le choix : «Certaines mesures impopulaires, comme la pension de retraite à 65 ans, ont été inévitables, vu le vieillissement de la population et le coût insoutenable (26 % du Budget récurrent) dans le temps. L’abolition des allocations de la CSG (en faillite) et son remplacement par le National Pensions Fund étaient impératifs pour assurer un système de pension soutenable à tous les travailleurs.» Demeure toutefois la déception de la population, qui estime que rien de concret et d’immédiat n’a été fait pour améliorer son pouvoir d’achat et ses conditions de vie.
Pour Jocelyn Chan Low, les promesses électorales faites pendant la campagne se sont effritées au fil des mois : «Cela a été la stratégie du gouvernement depuis sa victoire électorale et il faut dire que leur communication a été assez efficace. Avec le document The State of the Economy, ils ont dressé un tableau noir de notre économie, une situation catastrophique et peu à peu, les gens ont compris que les promesses électorales, qui ont un gros impact financier, ne seront pas à l’ordre du jour – et c’est le cas aujourd’hui. Il est clair qu’il n’y aura pas d’internet gratuit ni de baisse du prix de l’essence. Les gens anticipaient que les aides acquises sous le régime de Jugnauth allaient disparaître, mais on apprend qu’elles seront éliminées de manière progressive, ce qui n’est un choc pour personne. Ils évitent ainsi la grogne générale.»
Par contre, estime-t-il, il y a des incohérences : «En ce qui concerne la pension à 65 ans, ce gouvernement a eu le courage de le faire, mais c’est peut-être un peu brutal. Ils auraient pu l’étaler sur dix ans pour que les gens s’y habituent. L’autre mesure qui reste floue, ce sont les millions destinés au lancement d’un programme d’intelligence artificielle dans le secteur public. Quelle est la feuille de route ? On ne sait pas. Il y a pas mal de mesures vagues.» Aujourd’hui, le pari, selon lui, c’est de redémarrer l’économie en misant sur la relance de la production.
Parvèz Dookhy, lui, est moins optimiste. Le premier Budget du gouvernement comporte de nombreux manquements et reste décevant au vu des nombreuses promesses électorales faites précédemment : «Entre le récit de campagne et le verdict budgétaire, le fossé est béant. Navin Ramgoolam avait promis, dans le manifeste de l’Alliance du Changement, de redonner du souffle à la classe moyenne : exemption d’impôt pour tous les revenus inférieurs à Rs 77 000 par mois, gratuité des transports publics, fiscalité verte incitative et démantèlement du système national d’écoute téléphonique. Sept mois plus tard, le Budget 2025-2026 tourne le dos à cet agenda et se présente comme un plan de consolidation draconien centré sur la collecte de recettes plutôt que sur la relance. C’est un boomerang pour la classe moyenne fatiguée.»
Un pari sur le futur
L’Alliance du Changement, selon lui, n’a pas respecté un engagement électoral fondamental : «La promesse centrale de supprimer l’impôt sur le revenu pour les salaires modestes n’apparaît nulle part. Le barème reste inchangé et aucune mesure compensatoire ne vient alléger la TVA ou les droits d’accise. Les ménages gagnant bien moins que Rs 77 000 verront donc leur facture augmenter, contredisant frontalement l’engagement électoral. Dans un pays où l’inflation importée grignote déjà 6 % de pouvoir d’achat, le Budget frappe au portefeuille à trois endroits : notamment avec la réintroduction des droits d’accise sur les véhicules hybrides/électriques, une majoration jusqu’à 100 % sur les voitures thermiques et une Road Tax qui bondit de Rs 200 à Rs 4 000. Au nom de la décongestion, on renchérit la mobilité sans offrir d’alternative crédible, la gratuité des bus promise ayant disparu. Il y a un doublement de la taxe sucre, étendue aux chocolats et glaces. Louable sur le plan sanitaire, mais incohérente avec l’absence de subventions sur les produits frais, ce qui pousse le consommateur vers des gâteaux industriels exemptés.»
Le report de l’âge de la pension universelle de 60 à 65 ans est, souligne-t-il, une mesure qui ne devait pas figurer dans le Budget, mais mériterait une loi à part entière : «La réforme des retraites arrive brutalement, sans phase pilote ni dispositif de retraite anticipée pour les métiers pénibles. Rien non plus sur la revalorisation graduelle du salaire minimum, qui aurait permis d’absorber la transition. Là encore, la rhétorique de protection de la classe moyenne laisse la place à une logique purement comptable. Le gouvernement brandit une connexion Internet gratuite pour les familles inscrites au Social Register of Mauritius (SRM) et Rs 67,5 millions pour des logements sociaux. Sauf que le SRM ne concerne qu’environ 28 000 ménages – soit moins de 6 % de la population. Le coût de la mesure (0,01 % du Budget) illustre son caractère symbolique.»
D’un point de vue politique, Jocelyn Chan Low estime que l’Alliance du Changement a intérêt à assurer : «Le retour électoral sera bien dur s’il y a des faux pas. Les gens ne croient plus aux promesses. Les conditions de vie des Mauriciens doivent s’améliorer d’ici cinq ans. Il faut réduire les dépenses, favoriser la relance, sinon, le mécontentement va s’amplifier – et pour eux, ce sera la catastrophe électorale. Aujourd’hui, ils font un pari sur le futur et sur le court terme.» Pour Parvèz Dookhy, c’est définitivement un «on peut mieux faire» : «Le pari d’une consolidation budgétaire sans récession paraît optimiste. On peut résumer l’exercice à une occasion manquée. Le Budget 2025-2026 répond à une urgence de crédibilité internationale, mais le prix politique est lourd. Le Budget ne prévoit rien qui pourrait booster l’économie mauricienne. Il n’y a aucune vision en termes de développement économique.»
Faizal Jeeroburkhan estime, lui, que le Budget n’est pas une fin en soi et que tout ce qui a été annoncé est appelé à évoluer : «Le Budget n’est qu’une panoplie d’intentions souvent très louables du gouvernement. Il faut un mécanisme bien rodé pour assurer son suivi, pour évaluer son efficacité et sa pertinence sur le terrain à des intervalles réguliers, et pour apporter les ajustements appropriés tout au long du mandat.» La valeur du Budget, dit-il, réside dans son implémentation pendant les années à venir.
Publicité
Publicité
Publicité