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Par Yvonne Stephen
16 août 2025 17:24
Le temps n’est pas au beau fixe pour l’équipe dirigeante ; les Mauriciens.nes broient du gris. Néanmoins, le gouvernement rappelle que ce ne sont pas quelques jours de pluie qui font la météo d’un mandat.
Nuages noirs et tempêtes orageuses (de critiques). La météo du gouvernement du Changement ne vit pas de beau climat et de temps clément, en ce moment. C’est la saison des rafales… sans imperméable. La pluie des nominations de proches a douché les espoirs de changement de certains Mauriciens.nes. Ils.elles ont clairement exprimé leur colère et leur déception sur les réseaux sociaux et ailleurs, ces derniers jours. Pas de séance de bronzette au programme ; l’ondée de la désillusion ne semble pas vouloir s’atténuer. Paul Bérenger et Navin Ramgoolam n’ont pas aidé à faire souffler un vent d’apaisement pour faire fuir la morosité ambiante (voir ci-contre). Pourquoi une pratique si usitée (la mise en poste de proches) provoque tant de polémiques. Olivier Précieux et Ashvin Gudday expliquent. Au niveau du Changement, on rappelle que l’action du gouvernement doit s’évaluer dans son ensemble et dans le temps. Par ailleurs, la fille d’Ehsan Juman, Nabiihah Juman, et le gendre de Paul Bérenger, Frédéric Curé, ont décliné les propositions après des jours de polémiques (voir hors-texte) permettant une brise salutaire…
Cette semaine, le leader du MMM a lancé qu’il n’avait rien à voir avec les nominations, notamment celle de son gendre Frédéric Curé à la tête d’Airport Holdings Ltd, et qu’il ne comprenait pas «l’hystérie». Et le Premier ministre, lui, a osé un : «Al chek bann nominasion MSM apre zot revinn get mwa»… Pour Olivier Précieux, enseignant en sociologie et observateur de la vie politique, ce mauvais temps présage l’arrivée d’un cyclone sur l’alliance gouvernementale : «Les nominations, l’avalanche de critiques, les conférences de presse de Paul Bérenger, le commentaire de Navin Ramgoolam laissent à penser que ça va mal dans le couple électoral. Vivons-nous les prémices d’une cassure ?», se demande-t-il. Le leader du MMM a, lui, précisé lors de son point de presse que tout allait bien entre lui et Navin Ramgoolam : des désaccords, oui, mais pas de nuages à l’horizon.
Rupture
Au-delà de l’avenir de ce gouvernement-Changement qui sera, de toute façon, subi et de la décision des proches du leader du MMM et du député travailliste, comment expliquer que les Mauriciens.nes aient exprimé, aussi fortement, leur indignation face aux nominations. Un mode de «recrutement» qui semble faire partie de la valse post-électorale. Cette-fois, estime Olivier Précieux, «la barre était très haute par rapport aux promesses». L’alliance électorale de Ramgoolam-Bérenger s’est construite sur l’idée d’un changement radical de la façon de procéder. Il était question de rupture, de modification du paradigme du pouvoir. Rezistans ek Alternativ se proposait d’être une conscience, un garde-fou. Et cette modification de la façon de faire de l’exécutif se fait attendre (ou ne se fait pas). Le Constitutional Appointments Committee (pour des nominations dans la transparence) promis en campagne électoral n’est pas encore on.
Paul Bérenger l’a évoqué et a réaffirmé l’engagement du gouvernement, lors de son point de presse. L’équipe dirigeante avance que si la volonté est là, bien sûr, c’est un processus (la mise en place d’une telle institution avec son cadre légal, les recrutements et les infrastructures, entre autres) qui prend du temps et qu’en attendant, les recrutements doivent se faire… Des explications qui ne suffisent pas selon Olivier Précieux : «Quand les gens ont compris qu’il n’y aurait pas de comité pour les nominations, que les choses ne changent pas, il ne reste que la colère pour s’exprimer.»
Ashvin Gudday, militant syndical et observateur politique, est bien de cet avis : «On a changé de gouvernement mais pas de mode de gouvernance. L’équipe dirigeante s’est piégée avec ses promesses de rupture.» Il ne retient qu’une image de ces derniers mois : une fulgurante descente après un tonitruant 60-0. «J’ai rarement vu un gouvernement connaître une telle dégringolade en l’espace de neuf mois.» Il évoque ces décisions qui ont fait que les premières gouttes de déception se transforment en torrent : «La réforme de la Basic Retirement Pension – une décision unilatérale sans vrai dialogue social –, les licenciements au niveau de la Local Government Service Commission, le conflit Navarre-Marie-Babooram, la hausse des allocations des ministres et des conseillers…»
Les nominations n’ont fait que rajouter au mauvais temps dans un ciel qui s’était déjà assombri : «Elles font que la population se sente révoltée, voire dégoûtée...» Et cela, même si c’est une pratique habituelle de placer des personnes proches du pouvoir à des postes-clés. Une façon de s’assurer que les institutions roulent, avance-t-on. Ce procédé est, également, vu comme un «mal nécessaire» par les pros Changement, ou ceux.celles qui croient que le vent peut encore tourner : «On ne voit pas où se situe le problème ; proche ou pas, si la personne est qualifiée, a les compétences requises, pourquoi ne peut-elle pas servir son pays ?», confie un membre de l’alliance. Néanmoins, le cœur du problème n’est pas, forcément l’affinité politique, mais la capacité des chosen ones de pouvoir rann lapel.
«Ça gêne parce que la perception, c’est difficile de la changer ; ces nominations sont interprétées comme du favoritisme et du népotisme. Comment voulez-vous que les jeunes ne quittent pas le pays en voyant le manque de méritocratie et de chances égales que les quatre partis au pouvoir avaient promis encore et encore !», lance Ashvin Gudday. Mais il n’est pas envisageable d’empêcher quelqu’un.e, même si lui.elle est proche du pouvoir, de faire acte de candidature, n’est-ce pas ? «La République de Maurice garantit par notre Constitution une société sans discrimination dans laquelle chaque citoyen.ne a le droit d’aspirer à ses rêves et à ses ambitions, et peut, donc, postuler pour tout poste de responsabilité au niveau des institutions. Néanmoins, comment expliquerons-nous qu’avoir une affinité politique amplifie la possibilité de décrocher le job ?»
Ne pas être né.e dans la bonne famille ou ne pas être dans «les good books des politiciens» «ne devrait pas limiter les chances de chacun.e de servir son pays», poursuit notre interlocuteur. Alors, pour que la perception ne soit pas un brouillard sur les bonnes volontés, il faut des actions fortes, estime Ashvin Gudday. Des engagements réels : *«Les proches des politiciens ont les mêmes droits d’accessibilité à servir le pays mais cela devra se faire en toute transparence et pour cela, il nous faut un vrai mécanisme de méritocratie/compétence qui fera que personne ne se sente discriminée.» *
Et comment cela se met-il en place ? L’Appointments Committee promis par l’Alliance du changement serait un bon début : «Mettre en place un mécanisme bien huilé, well monitored à travers ce comité et rendre publiques les informations pour assurer une vraie transparence, c’est essentiel. Une Right to Information Act est plus qu’une priorité pour consolider cette vision de bonne gouvernance et d’accountability.» Des actions nécessaires, vitales même, pour imaginer une éclaircie : «On a pendant longtemps subi les caprices de certains nominés politiques qui ont fait du tort au pays sur plusieurs fronts. Tirons-en des leçons et ouvrons les portes à de vrais changements sans modération ; notre salut passera par ça.» Et celui de la météo du Changement, également.
Des postes, des polémiques, des désistements
Un des buzz-actu de la semaine, c’est bien la nomination de la fille d’Ehsan Juman, Nabiihah Juman, au poste de commissaire à la Competition Commission. Après quelques jours de damage control, la principale concernée a décidé de se retirer avec la «volonté d’agir avec éthique et transparence». La nomination de Fréderic Curé à la Airport Holdings Ltd a aussi fait beaucoup parler. Ce dernier a, dans la soirée du samedi 16 août, a fait part de son choix de ne pas accepter la nomination face à ce qu’il qualifie de «campagne malsaine et injuste» : «Mon intention était claire : mettre mon expérience et mon énergie au service de notre pays à travers cette institution stratégique. Cependant, face à une campagne malsaine et injuste, j’ai pris la décision, avec regret mais avec conviction, de décliner cette nomination», écrit-il. S’il remercie le Premier ministre, le cabinet et son leader et beau-père, Paul Bérenger, pour la confiance placée en lui, Frédéric Curé affirme que certaines valeurs ne peuvent être compromises. «Mon intégrité et l’honneur de ma famille passent avant toute fonction, aussi prestigieuse soit-elle», insiste-t-il. La décision du Cabinet, le vendredi 15 août, de nommer Meela Devi Ramlochun-Bunwaree part-time Chairperson de l’Agricultural Marketing Board (AMB) est aussi une des annonces de mises en poste qui a provoqué de nombreuses interrogations sur les liens familiaux entre les élus.es et les nominés.es, cette semaine.
Navin Ramgoolam et Paul Bérenger s’expriment… à leur façon
Les leaders du gouvernement Changement ont communiqué, cette semaine. Avec leur grain de sel. Navin Ramgoolam a esquivé les questions des journalistes sur les récentes nominations qui font polémique. Le Premier ministre a lancé «Al chek enn kout bann nominasion MSM ti fer, lerla ou revinn get mwa», avant de refuser d’aller plus loin. Il assistait, le mardi 12 août, aux célébrations des 50 ans du Mahatma Gandhi Institute Secondary School à Moka. Paul Bérenger, en conférence de presse le même jour, est revenu sur les nominations de ses proches. Le leader des Mauves a assuré : «Il n’y a eu aucun favoritisme ni de dynastie… Les trois personnes (NdlR : Joanna Bérenger, Dany Perrier et Frédéric Curé) ont été nommées sur la base de leur mérite. Je n’ai rien à voir avec les nominations.»
Ashvin Gudday commente :*«D’une part, il n’y a aucun moyen de savoir si les déclarations de Paul Bérenger sur sa non-ingérence dans les nominations sont vrais ! Cela ne suffit pas comme assurance. D’autre part, je dois avouer que les propos du Premier ministre m’ont choqué. On touche le fond en mode pa mwa li sa. Souvent, les années passent mais les comportements se ressemblent quand l’étau se resserre autour du pouvoir, quand il est questionné et que la population lui demande de rendre des comptes en matière de bonne gouvernance. Si j’ai un petit conseil à donner, en termes de communication, ce serait le suivant : messieurs, misez sur la transparence, évitez d’évoquer le régime d’avant. On ne veut pas savoir who is less evil… Le peuple vous a donné un 60-0 pour changer le système, c’est aussi simple que ça.»
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