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23 février 2025 11:52
La saisie de quatre valises avec Rs 114 millions a déclenché une vaste enquête depuis le samedi 15 février. Cette affaire de blanchiment d’argent allégué a ainsi été rythmée notamment par l’arrestation de l’ancien Premier ministre, Pravind Jugnauth, entre autres. Des professionnels de divers secteurs nous donnent leur avis sur ce sujet qui fait la une de l’actualité...
Ça a eu l'effet d'une bombe, tenant plus d’un en haleine. En effet, voilà une semaine que l’affaire de blanchiment d’argent allégué a éclaté – avec ses valises, ses billets de banque, ses devises, ses montres de valeur et ses enveloppes, entre autres... bref, avec ses millions et auquel le nom de l’ancien Premier ministre, Pravind Jugnauth, a été associé –, et occupe l’actualité. Le week-end dernier, de nombreux Mauriciens ont été scotchés aux médias pour suivre la perquisition chez le leader du Mouvement socialiste militant (MSM) de son interpellation (avec son épouse), son arrestation un peu plus tard dans la nuit jusqu’à sa libération sur parole le dimanche 16 février vers minuit, dans cette nouvelle saga qui durant la semaine écoulée a aussi connu d’autres développements.
Quel impact cette affaire peut-elle avoir sur l’image de Pravind Jugnauth et du MSM, surtout en cette année où auront lieu les élections municipales ? C’est la question que nous avons posée à des professionnels de différents milieux qui, en tant qu’observateurs, ont bien évidemment suivi cette affaire qui fait couler beaucoup d’encre. Pour l’homme de loi Parvèz Dookhy, le leader du MSM traverse en ce moment un tunnel. «Pravind Jugnauth se trouve engouffré dans une affaire qui, par définition, ternit son image. Toutefois, l’électorat mauricien a tendance à relativiser le délit dès lors qu’il est saturé (de l’affaire). Il y avait déjà l’affaire MedPoint contre Pravind Jugnauth. Il a pu revenir en force aux affaires. Idem de Navin Ramgoolam, toujours poursuivi devant la justice. C’est clair que Pravind Jugnauth traverse un tunnel, le désert. La meilleure stratégie pour lui, c’est le silence et de laisser le temps faire son travail. Il n’a pas de rivalité dans son parti pour le leadership. L’électeur mauricien n’est pas réellement un citoyen», nous confie Parvèz Dookhy tout en poursuivant son analyse de la situation. «C’est un sujet de dynasties politiques. En fait, par une formule, je peux dire que le crime profite à Joanna Bérenger. Je m’explique : Pravind Jugnauth est en situation difficile pour un temps. Dans deux-trois ans, les Navin Ramgoolam et Paul Bérenger auront atteint les 80 bougies. Les Duval ont des difficultés, trahison pour le père et affaire pénale pour le fils. Dans le paysage politique, c’est Joanna Bérenger qui se trouve en pole position : elle a un patronyme, le parti et une expérience suffisante. Ce que les filles de Pravind Jugnauth n’ont pas à ce jour. S’agissant des élections municipales à venir, ce n’est pas habituellement le fort du MSM. Il y aura, je pense, une forte abstention. Le peuple, en attendant l’usure du pouvoir, est encore sous le charme du nouveau régime.»
«Une gifle»
Jean-Luc Mootoosamy, directeur de Media Expertise et journaliste, parle lui d’une affaire nauséabonde. «La conséquence immédiate de l’affaire des valises est une immense gifle pour toute la direction du MSM. Voilà un parti qui a voulu affiner son image pendant les dix dernières années en insistant sur la probité et l’intégrité de ses dirigeants. Un parti qui n’a pas hésité à utiliser le contenu du coffre-fort de Navin Ramgoolam à la télévision et au Parlement pour dire qu’il représente le contraire, un parti qui a presque érigé son leader comme un homme parfait et qui se retrouve dans une affaire nauséabonde. Même s’il y avait des sympathisants du MSM devant la Bail and Remand Court dimanche, il n’y avait pas foule. Et les proches de Pravind Jugnauth, si prompts à s’exprimer et hurler sous l’ancien régime pour marteler leur point de vue, se sont faits petits, restant à l’écart des caméras. La roue continue à tourner mais de manière brutale pour eux», explique le journaliste. Pour lui, la balle est dans le camp du leader du MSM : «Tant que sa culpabilité n’est pas démontrée, M. Jugnauth bénéficie de la présomption d’innocence. Néanmoins, ce qui se passe est un embarras pour ceux qui croient en leur leader, ces hommes et ces femmes qui lui ont fait confiance, ont voté pour lui, ont cru que ce type de scénario ne pourrait pas avoir lieu. Et personne ne peut parler ici de victimisation car M. Jugnauth et son épouse ont été traités comme n’importe quel citoyen mauricien devrait être traité sous nos institutions. C’est vrai qu’il a dû affronter la présence des médias, les directs, les commentaires du public, mais on ne peut pas tout avoir non plus : high profile case, ça s’assume jusqu’au bout. Maintenant, la balle est dans le camp de Pravind Jugnauth.»
Selon le journaliste, l’avenir politique du leader du MSM tient à sa capacité de dire la vérité : «Il ne sait pas à qui appartient cet argent. Des enveloppes portent son nom et celle de son épouse, et il ne sait toujours pas. Soit les propriétaires des enveloppes et des montres sont trop riches pour avoir noté leur disparition ou bien les propriétaires s’accrochent en espérant que toutes les ficelles mises en place pour les protéger tiendront. Voyons si les numéros de série mentent aussi car certaines montres ne s’achètent pas sur les trottoirs de la rue Desforges... Cette situation ouvre une pente descendante pour Pravind Jugnauth. Les cartes politiques remaniées avec le 60-0 intègrent maintenant un ingrédient judiciaire. Et le MSM ne peut même plus compter sur un report des municipales !»
L’observateur politique Olivier Précieux estime que cette affaire n’aura aucun effet concernant le leadership de Pravind Jugnauth au sein du parti soleil. «Je vais en premier aborder le sujet par rapport au parti politique de Pravind Jugnauth. Le MSM est un parti familial. Son papa était là avant lui. Si on fait référence à certaines actualités du passé, on sait qu’il y a déjà eu des affaires le concernant en cour mais ça n’a pas agi sur son leadership du parti. Le MSM est un parti familial, de père en fils, et peut-être à l’avenir, de père en filles. De par ce fait, pour moi, je dirais que cette affaire n’aura aucun effet par rapport à son leadership au sein du parti. Un autre aspect concerne l’impact de cette affaire sur la probable candidature de Pravind Jugnauth à de prochaines élections dans le futur. L’affaire qui le concerne en ce moment, si case il y a, pourrait au minimum, judiciairement parlant, durer cinq ans. E si zame trouve li koupab, pou ena rekour a Privy Council e ena donk o mwin 10 zan ladan. Donc, comme Navin Ramgoolam qui a eu à faire face à des affaires en cour, il sera encore éligible pour être candidat à une prochaine élection», nous dit Olivier Précieux en abordant la tenue prochaine des élections municipales. «Le troisième point que je voudrais donc aborder concerne les élections municipales prévues pour bientôt. Selon moi, cette affaire pourrait avoir un impact sur le MSM concernant les municipales. Il y a ainsi deux choses à considérer. Premièrement, le parti vient de perdre une élection générale. 60-0, ce n’est pas rien ! En deuxième lieu, ils se préparaient pour ces municipales et pour moi, cette l’affaire de blanchiment d’argent pourrait être un sujet de campagne. Et ça pourrait jouer contre le MSM, de façon négative», souligne-t-il en attendant la suite des événements par rapport à cette affaire qui fait beaucoup parler d’elle.
L’image que renvoie cette affaire n’est pas très positive. C’est ce que nous explique le Dr Michaël Atchia. «Sur un aspect plus large, cette affaire joue sur l’image de Maurice. En Angleterre, par exemple, notamment concernant les négociations autour de l’archipel des Chagos. Ça a eu un effet à l'échelle mondiale. Les chaînes d'information comme BBC ou encore LCI ont couvert cet événement. C'est négatif pour le pays. D'un autre côté, l'autre signal que cette affaire peut envoyer, c’est que si une personne a fauté, peu importe qu’elle ait été un ex-Premier ministre ou pas, elle peut être arrêtée. C’est le rule of law...» Sollicité pour savoir quel est le mood au sein du MSM avec cette sombre histoire qui fait la une des médias, l’ancien ministre de la Santé, le Dr Kailesh Jagutpal, n’a pas voulu commenter l’affaire. «Je ne vais faire aucun commentaire. On est solidaires avec notre leader», nous a-t-il déclaré.
Également sollicité, Me Raouf Gulbul, qui représente l’ancien Premier ministre, nous a fait la déclaration suivante : «Pravind Jugnauth a donné sa version à la Financial Crimes Commission. Il nie les allégations et reste à la disposition des enquêteurs. Il va faire face à la situation. Il est fort. Il est solide, C’est un combattant. Il y a des investigations qui sont en cours. Allons laisser le soin aux enquêteurs de poursuivre leur enquête et puis, on va décider de ce qu’on va faire. C’est trop tôt pour dire que quelqu’un est coupable ou a fauté. Nous sommes au stade de l’enquête et il faut laisser tous les enquêteurs travailler en toute sérénité au lieu de se hâter de faire des conclusions qui ne sont pas appropriées.»
Mais pendant ce temps, ces allégations qui ont eu l’effet d’une bombe continuent à tenir plus d’un en haleine...
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