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Deal Chagos Maurice-Angleterre

Négociations et appréhensions

19 janvier 2025

Une folle semaine pour ce dossier. À l’heure où nous mettions sous presse, les négociations se poursuivaient autour du nouvel accord entre Maurice, l’Angleterre et les États-Unis sur les Chagos, qui redeviendrait notre territoire sous certaines conditions, alors que l’Angleterre a finalement déclaré qu’il attendait que le nouveau président des USA, Donald Trump, prenne le pouvoir pour relancer la machinerie. Ce que beaucoup ne voient pas d’un bon œil. Justement, plusieurs prennent la parole pour analyser la situation actuelle.

Une situation plutôt épineuse. La semaine n’a pas été de tout repos pour l’État mauricien, en ce qui concerne le deal avec les Anglais et les Américains sur le dossier Chagos. Alors que le deal entre Maurice et le Royaume-Uni était pratiquement fait, voici que les Britanniques disent maintenant attendre que le nouveau président des USA Donald Trump accède au pouvoir – ce qui se fera demain 20 janvier – pour le faire statuer sur le dossier. Un rebondissement de taille, alors que l’ancienne administration de Biden était, elle, favorable au deal. L’Attorney General Gavin Glover, tout fraîchement revenu de Londres après des négociations sur le sujet le samedi 12 janvier, a dû reprendre l’avion pour de nouvelles négociations à l’issue d’une réunion du Conseil des ministres mercredi dernier.

Avec l’administration de Trump, nos interlocuteurs sont beaucoup plus sceptiques… De plus, le nouveau gouvernement en place a voulu revoir plusieurs aspects de ce deal – qui ferait reconnaître la souveraineté de Maurice sur les Chagos sous certaines conditions, notamment avec un bail relatif à Diego Garcia où se trouve la fameuse base militaire, avec des versements par an.

Le Premier ministre Navin Ramgoolam qui a déclaré, dans l’express du samedi 18 janvier 2025, que le gouvernement mauricien n'est pas pressé concernant les négociations, nous éclaire un peu plus sur les motivations à revoir l’accord : «Les négociations se poursuivent à Londres. Vous n’êtes pas sans savoir que ce sont les Britanniques qui faisaient pression sur nous pour qu’on signe l’accord le plus vite possible. Mais dès que je suis arrivé au pouvoir, j’ai fait comprendre aux interlocuteurs britanniques et américains que mon gouvernement n’allait pas soutenir l’accord signé par le précédent régime, qui n’était rien de plus qu’un sell out selon nous. D’où la raison pour laquelle nous avons poussé pour un much better deal.» Il a aussi souligné ce qui le gênait dans le deal entre le gouvernement Starmer et celui de Pravind Jugnauth : «C’est le bail que Pravind Jugnauth avait accepté : c’est d’une durée de 99 ans, que les Britanniques peuvent décider de renouveler. C’est pour cela que j’insistais pour que le locataire ne devienne pas propriétaire.»  

Outre la manifestation de Lalit et les appréhensions de plusieurs connaisseurs du dossier, comme Jean-Claude de l'Estrac et Lindsey Collen, le Premier ministre Navin Ramgoolam devra aussi faire avec les bouleversements attendus avec la venue au pouvoir de Donald Trump aux USA ce lundi 20 janvier.

Lindsey Collen et plusieurs membres de Lalit ont, eux manifesté devant l’Hôtel du Gouvernement mercredi dernier, pas du tout d’accord avec les décisions qui seraient prises par le gouvernement sur le dossier. Pour eux, comme ils l’ont exclamé sur leurs banderoles, il faut fermer la base de Diego pour plusieurs raisons. Lindsey Collen nous en dit plus : «Il y a plusieurs éléments que le public et plusieurs intervenants ne prennent pas en compte, alors qu’ils sont cruciaux et importants ! Tout d’abord, avec le deal, Maurice, en tant que pays souverain démocratique sera dans l’impossibilité de garder sa neutralité dans la région, avec une base militaire sur notre territoire à nous. Une base qui, de plus, est soumise à des décisions militaires venant d’un nouveau président des USA qui est imprévisible et peut prendre des décisions dangereuses. L’autre élément est que les yeux sont braqués sur le bail annuel, alors qu’il faut aussi penser aux arrérages que les Anglais nous doivent depuis 57 ans, car ils nous ont empêchés de développer la mer et la terre sur ce territoire, sans oublier non plus les réparations pour les Chagossiens. Et finalement, il y a l’aspect moral : je ne pense pas que les Mauriciens aimeraient qu’il y ait dans la région des armes nucléaires. Imaginez qu’une guerre se déclenche, vous croyez qu’on aimerait subir les effets de radiation et d’attaque/contre-attaque jusque chez nous ?»

«Trop tard»

Pour Olivier Précieux, jeune enseignant qui a déjà écrit sur le sujet (Selling of Chagos Archipelago : a void contract ? publié en 2018), «c’est un dossier des plus complexes avec tellement de tenants et d’aboutissants». «Mais je pense qu’il aurait pu être mieux géré, surtout actuellement. Avec la venue de Trump qui va énormément bousculer la donne dans les négociations, je pense qu’il faut les personnes les plus qualifiées sur le dossier, à commencer par, par exemple, Paul Bérenger et plusieurs autres qui auraient dû être à Londres en ce moment. On devrait mettre toutes nos chances de notre côté, d’autant qu’en plus de Trump, plusieurs autres éléments ne sont pas en notre faveur, comme la communauté chagossienne, qui est, elle-même, très divisée sur la question.»  

Jean Claude de l’Estrac est, pour sa part, intervenu longuement sur le sujet sur Radio Plus le vendredi 17 janvier. Il a confié ses appréhensions concernant l’imprévisibilité de Donald Trump sur le deal. L’homme qui connaît aussi très bien le dossier Chagos (souvenez-vous de son livre L’an prochain à Diego Garcia, publié en 2011) souligne : «J’ai la conviction que c’est trop tard pour le deal. Ce qui se passe avec les Britanniques qui disent attendre Donal Trump est certes inquiétant mais aussi prévisible (…). Trump n’est pas dans la même réflexion géostratégique que les démocrates (…). Donald Trump pense que Maurice est un satellite de la Chine, ce qui n’a jamais été démenti formellement à travers la diplomatie.» 

Le docteur en géopolitique Shafick Osman a aussi analysé la situation récemment, affichant des appréhensions : «En voulant revoir les aspects de l’accord (pour des raisons vraiment insignifiantes), l’État mauricien a non seulement raté l’opportunité de signer le traité sous l’administration Biden, mais avec le désir de changement absolu, la lenteur connue et la méfiance de toujours de Navin Ramgoolam, on est arrivés en janvier 2025, où le président Trump sera officiellement investi le 20 janvier prochain, avec une issue maintenant incertaine (…).» 

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