Ils étaient tous deux incarcérés au même endroit. Mais une confusion sur leur identité faite par des hauts gradés de l’établissement pénitentiaire a conduit à la libération d’un des frères à la place de l’autre. Par la suite, ceux qui avaient commis l’erreur ont interchangé les jumeaux en catimini avant de promettre à leur mère que celui qui retournerait en prison serait libéré avant la date officielle. Ce qui aurait été fait deux jours avant la fête Eil-Ul-Fitr.
Chose promise, chose due, dit le proverbe. Après une bourde de certains hauts gradés de la prison centrale, à Beau-Bassin, concernant la libération des jumeaux Boodhoo, condamnés pour divers délits de vols, un arrangement aurait été convenu entre la mère de ces derniers et des officiers de la prison. Et tout laisse croire que celui-ci a été respecté.
L’affaire remonte au mercredi 31 juillet. Ce jour-là, aux alentours de 7h45, l’officier en charge de la prison de Beau-Bassin autorise, par erreur, Najib Boodhoo à sortir de la prison, alors que c’est son frère Naedi qui aurait dû recouvrer la liberté ce jour-là. Najib Boodhoo signe alors sa décharge devant un ASP de la prison qui lui remet son certificat de remise en liberté, traverse la porte intermédiare, avant de franchir le portail principal. Jusqu’ici, personne ne découvre l’erreur administrative.
C’est bien des heures plus tard que les bruits concernant cette confusion parviennent aux oreilles des hauts gradés de la prison qui n’auraient pas tardé à mettre une stratégie en place pour corriger l’erreur.
Et dans l’après-midi, après qu’un haut gradé de la prison eut signifié son intention de dénoncer cette affaire à la police, la décision est prise de relâcher Naedi Boodhoo et de ramener son frère derrière les barreaux. C’est ainsi que des officiers auraient caché le jumeau de Najib Boodhoo dans un véhicule avant de le conduire chez lui à Rivière-des-Anguilles, en compagnie de cinq officiers de la prison et trois ASP. Ce n’est pas tout. Pour garantir le succès de la mission, le véhicule transportant Naedi Boodhoo aurait été escorté par un autre où avait pris place une délégation de la prison de Beau-Bassin. Et une fois arrivés à destination, les hauts gradés de la prison auraient procédé à l’échange des deux frères, non sans avoir fait un arrangement à l’amiable avec leur mère.
En famille
Ils auraient promis à cette dernière que Najib serait relâché avant le samedi 11 août, date officielle de sa libération. Chose qui aurait été faite, une source à la prison de Beau-Bassin nous affirmant que Najib Boodhoo a effectivement été libéré, le jeudi 9 août, pour lui permettre de fêter Eid-Ul-Fitr en famille, comme cela avait été convenu avec sa mère.
Nous n’avons pu avoir la version du principal concerné qui ne se trouvait pas à son domicile, à Rivière-des-Anguilles, quand nous y sommes allés, vendredi, mais une de ses tantes nous a confirmé qu’il avait bel et bien retrouvé la liberté, le jeudi 8 août. «Il est allé chez son frère Naedi à Pereybère pour la fête Eid. Ils sont en famille», nous a déclaré la tante en question qui a voulu garder l’anonymat. Toutefois, lorsque nous nous sommes rendus à l’adresse indiquée à Péreybère, il n’y avait personne non plus sur place. Des voisins nous ont assurés qu’ils n’avaient pas vu les Boodhoo le jour de la fête Eid.
En tout cas, dans le milieu pénitentiaire, cette affaire fait beaucoup de bruit, tant chez les officiers que chez les prisonniers. Selon une source proche de ce dossier, il semblerait que certains officiers aient décidé de rapporter cette affaire à la police. Il se pourrait même que des hauts gradés de la prison soient inquiétés par elle cette semaine.
Nous apprenons, par ailleurs, qu’une erreur semblable s’était déjà produite dans le passé concernant deux frères : Jean-Daniel et Jean-Clarel Mandarin. Suite à cette affaire, trois officiers de la prison avaient été suspendus de leurs fonctions avec effet immédiat. Alors que dans le cas présent, il semblerait qu’il y aurait bel et bien eu une tentative de cover-up.
Car selon une source à la prison, l’Occurrence Book de l’établissement aurait été confisqué par un haut gradé peu après que l’erreur a été découverte. Toute cette affaire pourrait bien mener à la suspension d’une bonne dizaine d’officiers affectés à la prison de Beau-Bassin qui seraient mêlés de près ou de loin à cette affaire.
Jackie Kamanah : «La POA réclame une enquête interne indépendante»
Le secrétaire de la Prisons Officers Association (POA) a souhaité réagir face à ce qui est en passe de se transformer en véritable scandale à la prison de Beau Bassin. «La POA réclame une enquête interne indépendante sur toute cette affaire», déclare Jacky Kamanah. Il explique que la Section 7 du Reform Institution Act donne le pouvoir d’arrestation à une instance pénitentiaire dans des cas précis.
«Dans le cas d’une évasion ou d’une libération illégale, nous avons le pouvoir de procéder à des arrestations. Dans de tels scénarios, les officiers, munis d’une Warrant Card peuvent procéder à l’arrestation de la personne concernée», explique Jackie Kamanah. Il avance toutefois que si le détenu n’obtempère, c’est la police qui agit en se lançant à sa poursuite. Mais dans ce cas précis, la procédure n’aurait pas été respectée.
Le secrétaire de la POA fait également ressortir qu’il y a certains cas précis où l’on peut faire sortir un prisonnier de l’enceinte de la prison : «Pour assister aux funérailles d’un proche, pour déclarer un enfant à l’état civil, pour une présentation en cour ou pour être admis à l’hôpital ou pour un traitement quelconque.»
Jean Bruno, commissaire des prisons : «Il n’y a eu aucun arrangement à l’amiable»
Contacté au téléphone, le commissaire des prisons, Jean Bruno, nous a affirmé qu’une enquête est en cours concernant l’erreur qui aurait conduit à la libération d’un frère à la place d’un autre et à l’échange qu’il y aurait eu par la suite. Par ailleurs, il nie catégoriquement qu’il y aurait eu un arrangement à l’amiable entre des officiers de la prison et la mère des frères Boodhoo. «Il n’y a eu aucun arrangement à l’amiable. Il y a une différence entre la vérité et les rumeurs.»
Le commissaire Bruno avance que la libération de Najib Boodhoo deux jours avant la date butoir n’a rien d’anormal car il est courant de libérer des prisonniers à la veille d’un jour férié : «C’est régi par les règlements. Donc, aucune faute n’a été commise.» Toutefois, selon une source à la prison, cette pratique s’applique lorsque la date de la libération d’un détenu coïncide avec un congé public. Mais dans le cas de Najib Boodhoo, sa date de libération était le samedi 10 août, soit au lendemain du jour férié. Ce qui provoque pas mal d’interrogations...