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Les fils des condamnés : «La justice a volé notre enfance»

Wahzeer, Assad, Nassruddeen et Washil Sumodhee entrevoient une lueur d’espoir après 14 ans d’attente.

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Sheik Imran Sumodhee, alias Mounou, tenant dans ses bras son fils Assad avec, à ses côtés, son épouse.

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Khaleeloudeen, alias Bébé, son épouse Rosina et leurs fils Nassruddeen et Wahzeer lors du deuxième anniversaire de ce dernier.

Cela fait 14 ans que Nassruddeen, Wahzeer, Assad et Washil, les fils des frères Sumodhee, deux des quatre condamnés dans l’affaire l’Amicale, ont été séparés brutalement de leurs pères respectifs. Alors que le président de la République compte référer le dossier à la Commission de pourvoi en grâce, ils reviennent sur leur enfance douloureuse, précisant que leurs pères ont été «injustement» condamnés.

L’espoir après des années douloureuses. Des années de tristesse, d’attente. Les frères Nassruddeen et Wahzeer et leurs cousins Assad et Washil Sumodhee entrevoient finalement une lueur au fond d’un long et obscur tunnel. Depuis que Rama Valayden est venu de l’avant avec un rapport de 216 pages pour démontrer que leurs pères Khaleeloudeen Sumodhee, alias Bébé, et son frère Sheik Imran, alias Mounou, ainsi que Abdool Naseeb Keeramuth, alias Zulu, et Muhammad Shafiq Nawoor, alias Frico, ne sont pas responsables de ce terrible incendie qui a fait sept morts en 1999 (voir hors-texte). Les quatre hommes purgent une peine de prison de 45 ans depuis 2000.

Les quatre condamnés et leurs proches ont toujours clamé leur innocence dans cette affaire et aujourd’hui, le rapport de Valayden semble leur donner raison. Le président de la République a même promis à l’avocat, lors d’une rencontre le mercredi 10 juillet, qu’il allait référer le dossier à la Commission of the Prerogative of Mercy. Un développement qui donne beaucoup d’espoir aux Sumodhee. Surtout aux quatre cousins Nassruddeen, 21 ans, et Wahzeer, 19 ans, les fils de Khaleeloudeen, et Assad, 26 ans, et Washil Sumodhee, 24 ans, fils de Sheik Imran, qui ont passé presque toute leur enfance sans leurs pères. Des années extrêmement difficiles, disent-ils, où l’absence de ces derniers s’est fait sentir à chaque instant.

«La justice a volé notre enfance, lâche Wahzeer, amer, mais en même temps le cœur plus léger. Cela fait 14 ans que nous vivons une grande souffrance. Et aujourd’hui, le rapport de Valayden vient démontrer que nos pères et les deux autres sont innocents, comme nous l’avons toujours clamé. Il y a des preuves qu’ils sont innocents. C’est pourquoi nous allons militer pour l’ouverture d’une nouvelle enquête sur l’affaire l’Amicale.» Une affaire qui a marqué la vie des enfants Sumodhee à jamais.

À l’époque, ils étaient tout jeunes, mais ils connaissent l’histoire par cœur. Le 23 mai 1999, de graves incidents éclatent à l’issue du match de foot opposant la Fire Brigade au Scouts Club. Les fans du Scouts Club sont en colère à cause de la défaite de leur équipe et le font savoir. Plusieurs véhicules sont saccagés et le siège de la Mauritius Football Association, à Port-Louis, est pris d’assaut. Peu après, la maison de jeux l’Amicale est la proie d’un incendie criminel qui fera sept morts, dont la femme du propriétaire des lieux et ses deux enfants ainsi que leur nounou enceinte. Par la suite, plusieurs suspects sont arrêtés, mais seuls quatre d’entre eux seront poursuivis.

Depuis, la vie de leurs proches est devenue un véritable calvaire. Leurs enfants ont été les plus affectés par ce coup du sort, comme en témoigne Wahzeer d’une voix triste. «Je n’avais que 4 ans et demi à l’époque, mais toute cette affaire m’avait beaucoup affecté, car du jour au lendemain, mon père m’avait été enlevé. Je ne me rappelle même pas de lui me prenant dans ses bras pour me bercer, me consoler. Je me souviens juste d’un immense vide, d’une absence que rien ne pouvait combler. Nous avons, mon frère et moi, été privés de l’amour paternel, car notre papa était loin de nous. Pour justifier son absence, ma mère nous disait que mon père était à l’étranger. Lorsqu’on lui demandait quand il allait rentrer, elle répondait toujours que c’était pour bientôt. Mais cela fait 14 ans que nous attendons son retour.»

Vagues souvenirs

Son frère Nassruddeen a, quant à lui, de vagues souvenirs de leur père du temps où il vivait encore avec eux : «J’avais 7 ans et demi quand il a été arrêté. Mo pa ti enkor conn li byen. Mais après son départ, la vie n’a plus été la même. Nous avons vécu l’enfer. Les fêtes, les anniversaires, les moments importants de nos vies étaient et sont toujours entachés par la douloureuse absence de notre père. Nous n’avons pas envie de faire la fête, d’acheter de nouveaux vêtements pour Eid-Ul-Fitr. Le cœur n’y est vraiment pas.»

Leur enfance a été complètement bouleversée par cette tragédie que vit leur famille depuis 14 longues années. «Heureusement que notre mère était là, à nous soutenir, à nous consoler même si c’était très dur pour elle aussi. Elle a joué un rôle très important. Elle a dû aller travailler pour subvenir à nos besoins. Elle a commencé à nous emmener voir notre père bien des années plus tard, quand il lui a dit ki li pe koumans blye nou figir. Avant, notre père ne voulait pas qu’on le voie en prison. Il croyait qu’il allait vite sortir de là, car il a toujours clamé son innocence.»

Aujourd’hui encore, les visites à la prison sont toujours très dures pour les deux frères. «On n’arrive même pas à serrer la main de notre père, car il est assis derrière une vitre. Mais il nous remonte le moral à chaque fois et nous demande de ne pas baisser les bras. C’est grâce à ses bons conseils qu’on a su comment persévérer dans la vie», confie Nassruddeen qui travaille dans le secteur bancaire depuis un an.

Lui qui a connu des moments extrêmement durs, peut tout de même s’enorgueillir aujourd’hui de ne pas être tombé dans des travers, d’avoir une vie respectable, rangée, même s’il n’a pas pu réaliser un de ses rêves les plus chers : poursuivre des études de comptabilité à l’étranger. Après son HSC au collège St Andrews (auparavant il avait fréquenté le collège d’État Razack Mohammed), il s’est vu obligé de prendre un emploi comme clerk au British American Investment (BAI) avant d’être employé dans une banque. Il suit également des cours de comptabilité à temps partiel.

Son frère Wahzeer aussi s’en est bien sorti. Après avoir fait son School Certificate dans un collège d’État de Bell-Village, il travaille aujourd’hui dans un centre d’appels et s’efforce de ne pas laisser le regard des gens l’affecter. «Les gens ont toujours associé notre nom à l’affaire l’Amicale. Mais, heureusement, notre entourage nous a toujours soutenus. À l’école, nous avons bénéficié du soutien des autres élèves», dit-il.

Ses cousins Assad et Washil essaient eux aussi de s’en sortir comme ils le peuvent malgré les difficultés, d’autant qu’eux ont vécu un double drame. Leur mère est tombée malade trois mois après l’arrestation de leur père. Elle est morte en 2011, après un calvaire qui a duré 12 ans. «Elle avait eu une grosseur à un sein. Le médecin nous avait dit que c’était peut-être causé par le stress dû à l’arrestation de notre père et tout ce qui a suivi. Elle a subi une opération, mais la maladie s’est propagée, causant sa perte après 12 ans. Aujourd’hui, mon frère et moi sommes en quelque sorte orphelins. Notre vie a été une suite de malheurs, on nous a arraché notre enfance en même temps que notre père. Sans lui, plus rien n’avait de goût, plus rien ne nous rendait heureux, d’autant que maman était aussi très malade. Heureusement que nos grands-parents et les autres proches étaient là pour prendre soin de nous», souligne Washil d’une voix émue.

Séparation brutale

Quand l’affaire l’Amicale a éclaté, Washil n’avait que 9 ans, mais il se souvient très bien des derniers moments passés avec son père : «Ce dimanche-là, mon père était rentré à la maison après le match de foot. Ensuite, il m’a placé sur ses genoux pour que je prenne mon repas. On était devant la télé pour regarder l’émission de courses intitulée Ligne droite. Mon dada (Ndlr : grand-père) était également là. Ma mère me donnait à manger à la cuillère et en profitait aussi pour donner à manger à mon père.»

À ce moment-là, son frère aîné Assad se trouvait à la boulangerie familiale avec son oncle Khaleeloudeen. «J’avais 12 ans à l’époque. Notre famille dirigeait une boulangerie à la rue Desforges. J’avais accompagné mon oncle sur place lorsqu’un de nos employés nous a dit que l’Amicale était en feu. Nous sommes alors montés sur le toit d’un bâtiment se trouvant à proximité pour voir ce qui se passait, avant de rentrer à la maison. L’arrestation de mon père et de mon oncle par la suite m’avait beaucoup bouleversé. Mon père m’avait déposé à l’arrêt d’autobus pour que je me rende à l’école et m’avait promis de venir me récupérer dans l’après-midi. Mais il n’est jamais venu. La séparation a été trop brutale», confie Assad, bouleversé par ce souvenir.

Mais bien que leur existence ait été chamboulée à jamais, son frère et lui, tout comme leurs cousins, se battent pour s’en sortir, pour réussir leur vie. Assad travaille aujourd’hui comme social worker pour le compte de SOS Poverty. Et ce n’est pas un hasard, dit-il, s’il a opté pour ce domaine : «Mon père nous a toujours dit de venir en aide à ceux qui sont dans le besoin, alors même que notre famille vit une tragédie depuis 14 ans. J’ai toujours suivi ses conseils. Il n’est peut-être pas là physiquement, mais nous avons toujours bénéficié de son soutien moral.» Son frère Washil a, lui, choisi la comptabilité et travaille dans une compagnie offshore. «Tou letan nou papa inn dir nou fer bon garson malgre bann problem e nou finn ekout li», dit-il. Aujourd’hui, comme ses autres proches, il veut croire à un heureux dénouement. «Nou papa inn touzour dir nou li inosan. Je lance un véritable appel : que la justice triomphe enfin par l’ordre du Créateur.»

Les cousins Sumodhee veulent y croire, ils veulent croire que leurs pères Khaleeloudeen et Sheik Imran seront bientôt à leurs côtés. Qu’ils pourront goûter à nouveau aux joies de l’amour paternel, qu’ils pourront rattraper ce précieux temps durant lequel ils ont été privés de leur père, qu’ils pourront à nouveaux rire et faire la fête ensemble. Aujourd’hui, l’espoir est là, mais les larmes sont toujours très présentes, d’autant qu’ils doivent faire face à d’autres épreuves : la mort de leur grand-père il y a trois ans ainsi que la maladie de leur grand-mère. «Elle a plusieurs complications. Elle est diabétique. Elle est également cardiaque et souffre de forte tension artérielle. Elle ne souhaite qu’une chose : revoir ses fils avant de mourir», souligne Assad.

Nassruddeen, Wahzeer, Assad et Washil Sumodhee souhaitent eux aussi plus que tout revoir leurs pères à la maison. Leur enfance a été «brisée à cause de la justice», mais ils estiment que celle-ci peut aujourd’hui rattraper «son erreur». Ils continueront à prier, disent-ils, «pour que la vérité triomphe enfin».

Rama Valayden : «Les condamnés ont été victimes d’un complot»

Il a déjà remporté une première bataille avec la promesse du président de la République, Kailash Purryag, de référer son rapport à la Commission of the Prerogative of Mercy. Il espère maintenant que celle-ci prendra une décision en faveur de Mounou, Bébé, Zulu et Frico qui, affirme Rama Valayden, ne sont pas les auteurs de l’incendie qui a ravagé l’Amicale. Il est d’avis que les quatre condamnés sont victimes d’un complot et que les vrais coupables sont les membres du défunt escadron de la mort.

L’homme de loi s’explique : «Le complot comprend plusieurs éléments. Il y a d’abord le rôle qu’ont joué certains policiers dans cette affaire. La police savait que quelque chose de grave allait se produire. Il y a trois rapports de la National Intelligence Unit à cet effet. C’est également pour cette raison qu’elle avait fait placer plusieurs caméras de surveillance au stade Anjalay le jour du drame. Les enquêteurs avaient également obtenu des images des caméras de surveillance des environs de l’Amicale, mais ne l’ont jamais rendues publiques.» Mais ce n’est pas tout, dit-il : «Ils n’ont pas non plus cherché des témoins comme il le faut et se sont uniquement contentés du témoignage d’une personne qui a changé de version en fonction du déroulement des événements à l’époque. Par exemple, des témoins avaient vu des boules de feu ; ce qui veut dire que les responsables de l’incendie ont utilisé des lance-flammes et non des cocktails Molotov. Kot sorti sa ? Je vous rappelle que la police avait retrouvé plusieurs armes, dont des explosifs au domicile d’un des membres de l’escadron de la mort.»

Rama Valayden est catégorique : «Khadafi Oozeer peut dire ce qu’il veut. Ki escadron de la mort ti pu fer ek sa bann explosif ek lans flamme ti gagne kot li la ?» Néanmoins, l’homme de loi accueille favorablement le Criminal Appeal Amendement Bill, concernant les preuves, qui sera débattu en trois lectures ce mardi 16 juillet à l’Assemblée nationale.

Une affaire bouleversante

L’incendie ayant ravagé l’Amicale en 1999 restera dans les annales. Sept personnes avaient trouvé la mort ce jour-là, dont la femme du propriétaire de la maison de jeux et leurs deux enfants âgés de 6 et 2 ans. Leur baby-sitter, enceinte au moment du drame, avait aussi perdu la vie. Plusieurs suspects ont été arrêtés par la suite, mais seuls Sheik Imran Sumodhee, Khaleeloudeen Sumodhee, Abdool Naseeb Keeramuth et Muhammad Shafiq Nawoor ont été poursuivis aux assises et condamnés à 45 ans de prison le 20 novembre 2000 à l’issue du procès présidé par le juge Paul Lam Shang Leen.

Ils avaient fait appel du jugement et demandé la réouverture d’une nouvelle enquête, mais la cour suprême a jugé leur demande irrecevable, arguant que les révélations du témoin-vedette de la police, Azad Thupsee, était suffisamment damning pour eux. Celui-ci avait notamment affirmé avoir vu les suspects lançant des cocktails Molotov sur l’Amicale.

Un des frères Sumodhee avait voulu produire une conversation téléphonique du témoin-vedette en cour où ce dernier aurait révélé qu’ils sont innocents. Toutefois, le Full Bench de la cour suprême, composé du chef juge Ariranga Pillay, des juges Keshoe Parsad Matadeen et Asraf Caunhye, avait jugé la bande d’enregistrement irrecevable en précisant qu’ils ne pouvaient déterminer si son contenu était vrai ou avait été monté de toutes pièces. Ils avaient aussi décrété que cette conversation téléphonique était inadmissible.

Khadafi Oozeer : «L’escadron de la mort n’a rien à voir avec l’Amicale»

Pour Rama Valayden, c’est la bande à Bahim Coco qui serait derrière l’incendie criminel de la maison de jeux. Mais Khadafi Oozeer, membre du défunt escadron de la mort, que nous avons sollicité pour une déclaration, balaie ces accusations d’un revers de main : «Je tiens d’abord à préciser qu’il n’y a jamais eu d’escadron de la mort. Je récuse ce terme qui a été inventé. Et j’affirme que ce qu’on appelle escadron de la mort n’a rien à voir avec l’Amicale. Valayden kapav dir se ki li envi. La vérité finira par éclater.»

Selon Khadafi Oozeer, l’homme de loi «pe fer tam tam politik ek sa zafer la» : «Il a été ministre de la Justice pendant cinq ans et avait les pleins pouvoirs pour faire bouger les choses. Pourquoi n’a-t-il rien fait ? Zordi li en deor gouvernma, mo pa kroir li plis kapav fer kitsoz. S’il a vraiment des preuves, pourquoi n’est-il pas allé directement à la police ? Ceux qui sont morts ne pourront jamais se défendre. Pe sali zot repitasyon enkor.»

L’arrestation de Khadafi Oozeer en novembre 2000 avait eu un véritable effet boule de neige. La police avait saisi un véritable arsenal militaire chez lui : armes à feu, grenades et explosifs en tout genre. C’est alors que le pays a appris l’existence d’un escadron de la mort. D’autres membres de cette milice ont été arrêtés peu après, alors que d’autres ont préféré se donner la mort pour échapper à la justice. Khadafi Oozeer a déjà purgé sa peine et veut se faire oublier : «Dimounn ti fini blie mwa ala mo nom pe recite enkor. J’ai une famille et des enfants. Peut-on nous laisser vivre en paix ?»

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