Véronique, son fils Azaria et sa fille Lumiah : «Nou pou kontinié manz nou toufe bred ek nou grin sec.» Photo publiée avec l’autorisation de la mère
Avec la compensation de Rs 4,5 millions, que l’État va lui accorder pour la mort de son époux en détention en février 1999,
Véronique Topize a des projets plein la tête. Mais elle n’arrêtera pas sa quête de la vérité...
Faire construire une tombe digne de ce nom «en granite» au cimetière de Roche-Bois pour son époux. C’est la priorité de Véronique Topize lorsque l’argent sera entre ses mains pour qu’elle en dispose comme bon lui semble. En Cour suprême jeudi, la veuve de Kaya, de son vrai nom Joseph Réginald Topize, a accepté Rs 4,5 millions que lui offre l’État. Cette somme représente des dommages et une réparation. Elle avait au préalable réclamé Rs 10 millions. L’accord sera ratifié le 9 octobre quand l’affaire sera appelée en cour.
«Je précise que j’ai accepté cette somme d’argent après avoir consulté mon avocat, Me Rex Stephen. Je suis d’avis que, si une personne, sous la responsabilité de la police, trouve la mort, l’État a sa part de responsabilité envers la personne décédée. La cour pouvait rejeter le procès que j’ai intenté à l’État si je n’avais pas accepté l’offre de Rs 4,5 millions. Il aura alors fallu intenter un autre procès qui risquait de prendre encore plus de temps», explique la veuve de Kaya.
Mais Véronique Topize est toujours en quête de justice. Sept ans déjà se sont écoulés et la veuve du seggaeman veut une réponse sur la mort de son mari dans une cellule de la prison d’Alcatraz, le 21 février 1999. Le chanteur avait été arrêté trois jours plus tôt après son aveu d’avoir fumé du gandia à un concert organisé par Rama Valayden, leader du Mouvement républicain, qui prônait, à l’époque, la dépénalisation de cette drogue. Kaya n’avait pu fournir une caution de Rs 10 000.
Épreuves, tristesse, larmes : elle a tout connu et les a surmontées pour ses enfants : «Je fais d’énormes sacrifices pour eux. Nous vivons avec le strict minimum. Les Rs 4,5 millions que je vais obtenir de l’État ne vont pas changer ma vie et celle de mes enfants car l’argent ne fait pas le bonheur quand on a perdu un être cher. Après la mort de mon époux, j’ai tout fait pour garder une certaine harmonie dans ma famille. Kaya vivait simplement. C’est pour cela que je compte placer l’argent que je vais obtenir en dépôt fixe à la banque en songeant à l’avenir de mes enfants. Je vais faire de mon mieux pour que cet argent ne vienne pas gâcher notre bonheur, notre joie de vivre et notre entente familiale. Nou pou kontinié manz nou toufe bred ek nou grin sek.»
Elle ne compte pas rester locataire
Véronique habite toujours la vieille maison en tôle et bois qu’elle loue à Rs 1500 à Beaux-Songes avec ses deux enfants, son fils Azaria, 16 ans, et sa fille Lumiah, 13 ans. C’est dans cette même maison que la police était venue arrêter Kaya, le 18 février 1999. Mais, avec l’argent qu’elle va obtenir de l’État, elle ne compte pas rester locataire pour le restant de ses jours : «Je suis locataire mais je compte bien avoir ma propre maison un jour ou l’autre.» Elle n’a pas encore décidé du lieu où elle ira habiter car la maison qu’elle va éventuellement faire construire n’est qu’au stade de projet.
Elle fait penser à Antigone, ce personnage de Jean Anouilh qui incarne la femme révoltée, marquée par le décès d’un être cher. Sept ans après le drame qu’elle a vécu un certain 21 février 1999, elle trouve dommage que la vérité n’ait pas encore été établie depuis qu’elle a vu les 32 blessures sur le cadavre de son époux. La veuve explique que «ce paiement n’est qu’une première étape dans ma quête de vérité. Je vais voir avec les membres de l’association Justice la marche à suivre car la vie d’une personne décédée dramatiquement ne se compense pas avec une certaine somme d’argent. La plaie dans mon cœur est toujours béante. Je souffre et je continue à souffrir de sa perte.»
C’est dans sa modeste maison de Beaux-Songes que Véronique veut pour l’instant élever ses enfants malgré le joli pactole qu’elle va obtenir en attendant qu’elle ait un chez soi bien à elle. Dans une pièce jouxtant sa demeure, elle tenait un salon de coiffure depuis le décès de son époux. Elle est spécialiste en tresses africaines et tissage. Le 7 décembre dernier, elle a ouvert un salon à Camp-Levieux qu’elle loue à Rs 3 000. Elle y travaille cinq jours sur sept de 9h à 18h. Les temps ont changé. Son époux décédé, elle a dû affronter les difficultés que l’on sait, se relever ensuite, faire face aux épreuves et se mettre au travail pour assurer l’avenir de ses deux enfants : «C’était très difficile au début de cumuler les rôles de mère et de père, mais je m’y suis habituée.»
Véronique explique qu’elle vit toujours de son métier de coiffeuse. Elle touche aussi une pension de veuve et une allocation pour ses enfants. Chaque année en décembre, elle reçoit une somme d’argent provenant des droits d’auteur sur les chansons de Kaya dont elle se sert pour acheter le matériel scolaire de ses enfants.
Lumiah est en Form I dans un établissement secondaire privé de Beau-Bassin-Rose-Hill. Azaria a mis fin à son parcours scolaire. Il était en Form III au SSS de Bambous. Sa mère ne souhaite pas s’étendre sur les raisons qui ont poussé son fils à quitter l’école : «Il a arrêté le collège pour des raisons personnelles. Je vais toutefois l’inscrire au Conservatoire François Mitterrand car il joue de la guitare comme son père.»
Lorsqu’elle parle de Kaya, Véronique laisse éclater son amertume car elle croit fermement que la mort de son mari n’est pas naturelle. Le couple en était à neuf ans de vie commune à la mort du chanteur. Elle mènera le combat, si long soit-il, jusqu’au jour où elle trouvera «ene simé la limiere» comme chantait Kaya. Véronique est membre de Justice depuis trois ans, association qui milite contre la brutalité policière. Elle organise aussi des activités aux côtés du Muvman Liberasyon Fam.
Maintenant qu’elle aura des moyens financiers, elle sera plus en mesure d’aller jusqu’au bout de la vérité sur le décès tragique de son époux...
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Le seggaeman : l’immortel
Sept années se sont écoulées depuis la mort de Kaya mais ses chansons sont plus que jamais vivantes alors que sa musique reste éternelle. Ses compositions s’écoutent aujourd’hui comme des textes bibliques.
Une légende est née et le héros : Kaya, le seggaeman. Tout le monde rend désormais hommage à ce prophète de la paix, avocat des opprimés qui se battait avec la seule arme à sa disposition : sa musique. Ses chansons Mo Tizil et Lam Sakrifis de l’album Zistwar Révoltan témoignent de son côté patriote. Jeunes et moins jeunes adorent cette musique qui est le fruit d’une fusion réussie du reggae de Bob Marley et du séga mauricien. D’ailleurs, beaucoup de chanteurs ont repris le flambeau mais l’œuvre de Kaya reste unique en son genre, de par la richesse sans égale des paroles de ses chansons.
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Un certain 21 février1999
On n’est pas prêt à oublier ce fameux dimanche. Le 21 février 1999 restera à jamais gravé dans la mémoire de bon nombre de Mauriciens. Kaya meurt dans une cellule à Alcatraz, une mort qui provoquera des émeutes. Berger Agathe, autre seggaeman, meurt, tué par balle pendant les troubles.
Le pays est paralysé pendant plus de quatre jours alors que l’efficacité de la police est mise à rude épreuve. Les désordres paralysent plusieurs régions. La plus touchée demeure Port-Louis. À Roche-Bois, l’autoroute est obstruée. À Curepipe, le nouveau bâtiment de la Wastewater Authority est incendié de même que le siège de la Central Water Authority.
À Candos, les émeutiers saccagent et incendient un complexe commercial. Au cours des incidents de Candos, le sergent de police Deven Sunnassee meurt au champ d’honneur. En voulant protéger ses troupes et en assumant ses responsabilités de gardien de la loi, il succombe à une crise cardiaque.
Dans le Nord, des maisons sont incendiées à Goodlands et à Triolet. Un autre drame se déroule à Bambous. Deux jeunes, Michel Laurent, 21 ans, et Nirmal Ghoostia, 19 ans, meurent sous des balles perdues alors que la dépouille de Kaya passe sur la route Royale.
La jeune femme ne comprend toujours pas comment le magistrat qui a présidé l’enquête judiciaire sur le décès de Kaya à l’époque, a pu conclure à un «no foul play». Elle estime qu’il y a «suffisamment de preuves» pour poursuivre ceux qui seraient responsables de la mort de son mari. Elle affirme que Kaya n’est pas mort de mort naturelle. Elle explique qu’il ne faut pas oublier que ce dernier «portait 32 blessures sur le corps» lorsque sa dépouille lui a été remise pour les funérailles après une première autopsie pratiquée par le Dr Surnam de la police. Le Dr Ramstein, médecin français basé à la Réunion, avait été sollicité pour une contre-autopsie. Son rapport a été rendu public le 10 mars 1999. Le Français avait expliqué que Kaya était décédé suite à deux types de lésion intracrânienne dont l’effet est traumatique : par projection de la victime au sol et par secouement de la tête. Le Français note également que le cadavre portait plusieurs traces de violence, dont deux ecchymoses scapulaires sous-cutanées au niveau du thorax pouvant correspondre à une empoignade de la victime par les épaules permettant un violent secouement.
Il est également possible, selon lui, que la victime ait été tirée par les volumineuses tresses qu’elle portait et secouée. Le Dr Ramstein a aussi relevé des lésions cutanées (griffures) et sous-cutanées ainsi que des lésions crâno-cervicales causées par des mouvements brutaux de la tête en rotation forcée et des mouvements d’hypertension forcés du cou. Le Dr Ramstein précise que les lésions n’ont pu être causées par la victime elle-même.
Par Jean Marie Gangaram
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Rama Valayden : «Elle aurait pu avoir Rs 10 millions»
Q : Qui a pris la décision de dédommager la veuve de Kaya ?
R : Il y avait d’abord un procès en Cour suprême. Il y a ensuite eu des pourparlers entre l’homme de loi de Véronique Topize, Rex Stephen, et mon bureau. On s’est finalement mis d’accord sur la somme de Rs 4,5 millions.
Q : Pourquoi Rs 4,5 millions ?
R : Pour un artiste de sa trempe, on a pris en compte le nombre de CD, DVD et de ses concerts à Maurice comme à l’étranger. Si vous prenez Rs 10 pour 500 000 CD qu’il aurait sortis pendant les dix dernières années, cela dépasse la somme de Rs 5 millions. On a donc trouvé un chiffre avoisinant.
Q : Pourquoi ne pas avoir laissé aux juges le soin de se prononcer dans cette affaire ?
R : C’est une affaire civile. Trouver un arrangement avec la plaignante est toujours une solution. Elle avait demandé Rs 10 millions et la Cour suprême aurait bien pu lui accorder cette somme. Nous avons ainsi conclu un accord pour qu’elle accepte les Rs 4,5 millions. Il faut aussi voir l’affaire sous cet angle.
Q : Si l’Etat dédommage, est-il en train d’accepter ses torts ?
R : On a conclu un arrangement et il n’a jamais été question d’accepter nos torts ou non.
Q : Comment réagissez-vous face à la demande de la veuve de Rajesh Ramlogun, qui réclame Rs 45 millions ?
R : Nous allons considérer chaque demande. S’il y a eu faute, il doit y avoir réparation. Nous sommes dans une démocratie. N’importe qui peut venir avec un procès en cour.
Par Rudy Veeramundar