Il avait seulement 23 ans et toute la vie devant lui mais il a préféré se donner la mort. Nicolas Sevathian s’est suicidé la semaine dernière “pour fuir la misère” selon ses proches. Un de ses amis raconte, en page 15 de notre édition, que Nicolas disait qu’il ne pouvait plus supporter les conditions de vie dans lesquelles il vivait avec ses parents. “Il disait, il y a une semaine de cela, qu’il était à bout.”
Comme quoi on aura beau se vanter de rapports positifs sur l’éradication de la misère, on aura beau se dire que Maurice ne fait plus partie des pays pauvres, mais certains drames humains et combien réels nous rappelleront toujours que quelques Mauriciens luttent et s’essoufflent à contre-courant. Ceux-là, à l’exemple de Nicolas, n’ont même plus l’envie et le courage de sortir de la fatalité.
Le 4 juin, un autre homme, Clifford Labrosse, s’est pendu à la prison de Beau-Bassin pour à peu près les mêmes raisons. Clifford Labrosse avait été incarcéré trois jours plus tôt parce qu’il n’arrivait pas à rembourser le coût de quelques articles achetés dans un magasin.
L’île Maurice découvrait alors qu’on envoyait un de ses citoyens en prison pour une banale affaire d’articles impayés. Quelque temps plus tôt, Clifford Labrosse avait voulu faire plaisir à sa famille en achetant à crédit un réfrigérateur et deux bicyclettes pour ses enfants.
Pris ensuite dans l’engrenage de la dette, Clifford Labrosse ne pouvait plus continuer à payer. Il a été traduit en Cour. Et il s’est trouvé un magistrat dans la République de Maurice pour envoyer quelqu’un en prison à cause d’un endettement de moins de Rs15 000. Découvrant l’univers carcéral pour la première fois, Clifford Labrosse n’y a pas survécu. Son refuge a été la mort.
Raymond Hack, 68 ans, est charpentier et, comme la majorité des Mauriciens, rêvait d’une maison. En 94, il emprunte Rs500 000 pour en acquérir une. Raymond Hack, lui-même victime d’une escroquerie, n’a jamais pu rembourser ses dettes.
Sa maison évaluée à Rs 1 million a été vendue à la barre pour Rs225 000 le 4 juin dernier (voir texte en page 20). Comme Raymond Hack, ils sont des dizaines, ces Mauriciens qui vivent un bouleversant cauchemar chaque jeudi. Ce jour-là, impuissants, ils assistent à la vente de leur maison à la barre à la Cour suprême. Ils en ressortent régulièrement brisés, les larmes aux yeux, avec l’amer goût d’une injustice vécue.
Ce scandale du moment, connu comme le ‘sale by levy’, révèle l’ampleur de ce drame à l’échelle sociale qui affecte nombre de Mauriciens, étouffés par leurs dettes, pris dans le vertige du surendettement, qui se retrouvent dépossédés de leurs mobiliers ou de leurs maisons tant rêvés.
Trois hommes, trois destins, trois histoires déchirantes. Nicolas Sevathian, trop jeune pour supporter le poids de sa pauvreté, a trouvé dans la mort le dernier recours. Clifford Labrosse, impuissant face à son malheur, est allé jusqu’au bout de sa détresse. Raymond Hack, endetté jusqu’au cou, a tutoyé le désespoir. Trois Mauriciens qui ne rêvaient pourtant pas de châteaux en Espagne et qui ne nourrissaient même pas des ambitions démesurées. Ils voulaient juste s’offrir un petit morceau de rêve qu’ils croyaient à la hauteur de leur triste réalité. Deux se sont suicidés. Le troisième vit dans l’incompréhension. Trois récits, trois quotidiens, de ceux qu’on appelle les ti-dimounes...