Cela fait sans doute partie des règles du jeu et des rapports de force que l’Opposition et les syndicats ne trouvent rien de bon dans un budget présenté par le gouvernement. Mais il est aussi vrai que les années et les discours budgétaires se suivent et se ressemblent.
Celui de Pravind Jugnauth, ministre des Finances, a le mérite de ressembler, à quelques exceptions près, aux autres, à savoir qu’il déborde de bonnes intentions et de bonne volonté. Cependant, si beaucoup d’entre nous ont de quoi se mettre sous la dent, compte tenu de ces retombées financières plus ou moins immédiates, si peu soient-elles, pour plusieurs centaines de milliers de Mauriciens, il est aussi vrai que les budgets sont rarement dotés de cette grande créativité - dont on a de plus en plus besoin - destinée à fouetter l’imagination du Mauricien moyen en ce qui concerne la résorption de l’indélébile problème du chômage et l’accélération du processus du développement économique de la nation. S’est-on réveillé, au lendemain du budget de Pravind Jugnauth, enhardi par une vigueur retrouvée jusqu’à retrousser ses manches ?
Pourtant, le premier discours du budget du nouveau ministre des Finances a bien commencé. Plutôt que de s’adonner à des préoccupations électoralistes, il a consacré une bonne heure à exhorter et à encourager les Mauriciens à l’esprit d’entreprise. Cependant, si le ministre a visé juste en insistant pendant longtemps sur l’idée maîtresse d’encourager le peuple à plus d’effort au travail et à la production, il ne nous a cependant pas dit comment on peut aller conquérir de nouvelles parts du marché à l’extérieur de Maurice, là où on est susceptible de trouver la solution au chômage grandissant. La contradiction est même devenue apparente quand, d’une part, on veut encourager la production et l’investissement et que, de l’autre, on taxe maintenant les clients de cette stratégie tournée vers l’exportation. Les touristes, qui constituent le fondement même du processus de la création d’emplois dans le secteur des services, seront désormais frappés d’une taxe de Rs 700. Il faudra bientôt évaluer la portée de cette mesure - un contresens économique - sur l’arrivée des touristes, surtout ceux en provenance des pays d’à-côté. Par ailleurs, comment le ministre peut-il aussi concilier sa vision de faire de Maurice une nation d’entrepreneurs avec l’introduction d’une nouvelle taxe sur les profits et les dividendes ?
Quoi qu’il en soit, le thème de la démocratisation de l’économie, désormais appelé à s’amplifier au fil des années a occupé, à juste titre d’ailleurs, une place de choix dans son discours, la première dans la hiérarchie de ses priorités. Ce faisant, il a sans doute voulu couper l’herbe sous les pieds de l’Opposition, surtout en démontrant, preuves à l’appui, qu’ils sont aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers de citoyens à bénéficier d’un lopin de terre à exploiter. Cependant, la démocratisation de l’économie, c’est aussi le démantèlement des grands monopoles d’État : celui détenu par Mauritius Telecom et l’autre par Air Mauritius en ce qu’il s’agit de l’accès aérien. On oublie trop facilement que le démantèlement du pouvoir de monopole dans le domaine des télécommunications a eu pour conséquence immédiate la réduction fort significative des prix à l’accès. La question du démantèlement des monopoles et l’encouragement à l’esprit d’entreprise, à cet effet, ne figurent pas dans un des chapitres du budget.
Si la congestion routière dans la capitale, elle, a eu droit à un chapitre, les mesures sont loin d’être spectaculaires eu égard à l’extrême gravité du problème. Le ministre concède que les mesures qu’il propose ne résoudront le problème que dans la proportion de 15%. Pourtant, ils sont 275 000 véhicules (150 000 si on fait abstraction des motocyclettes) à accentuer, un peu plus chaque jour, la congestion routière, devenue, à l’évidence même, la principale cause de la perte de la compétitivité de l’économie mauricienne. Faites le calcul : chaque année, plus d’un milliard de roupies de gaspillées en essence brûlée inutilement, des millions d’heures de travail jetées à la poubelle de la congestion routière, sans compter le fort prix à payer sur le plan social et la santé psychologique des voyageurs. Tout ce que nous proposent Pravind Jugnauth et ses conseillers, c’est un déplacement de la congestion d’un endroit à un autre, avec comme appât une dotation de Rs 20 millions pour entamer, pour la énième fois, une étude sur la faisabilité d’un mode de transport alternatif. Dans d’autres pays et dans d’autres circonstances, le système de transport de masse serait déjà une réalité. Parce que cela relève non seulement d’une nécessité d’ordre social mais, avant tout, de l’urgence pour les besoins économiques du pays. Réfléchissons un instant : admettons que la vision de Pravind Jugnauth de faire de Maurice une nation d’entrepreneurs devienne réalité dans disons 5 ans. Cette nouvelle classe d’entrepreneurs, ne court-elle pas le risque grandissant de voir sa compétitivité, si nécessaire à sa survie, prise dans une monstrueuse congestion routière au Pont Colville ?
Le dernier d’une série de 8 articles dans le cadre du discours du budget du 11 juin.*