On ne doit pas dépenser, dit-on, comme si demain n’existait pas. L’État, au nom de la population, a dépensé, en 2003, la bagatelle de Rs 31 milliards rien que pour payer les salaires de nos quelque 90 000 employés du secteur public et pour assurer à la population un certain bien-être dans son existence quotidienne.
Seule une bonne analyse nous permettra de savoir si la population aurait pu être mieux servie par sa police, ses médecins et ses enseignants avec ce même argent payé dans la douleur de l’imposition fiscale, directe et indirecte. Les biens et les services tels que l’enseignement et la santé sont, en effet, fournis à la fois par le secteur privé et le secteur public pour des raisons d’équité et d’intérêt public. Mais l’intérêt public, est-il bien servi aujourd’hui ? Le débat doit être ouvert.
Cependant, en dehors de son budget courant, l’État a aussi une obligation de prévoir et de planifier l’avenir. Un gouvernement ne fait pas son boulot si, d’un mandat à un autre, ses ministres ne peuvent pas améliorer le sort de la population selon les critères établis, qu’ils soient d’ordre social ou économique. Ainsi, s’il s’avère essentiel que les enseignants puissent transmettre de manière efficace la connaissance à leurs étudiants, il est tout aussi capital de construire des écoles et de bons laboratoires.
Ainsi, au cours de l’exercice 2003, Rs 7 milliards de l’argent public ont été dépensées pour, ainsi dire, assurer une meilleure qualité de service. Construction de nouvelles écoles et de nouveaux hôpitaux, extension du réseau routier, amélioration des infrastructures au port et à l’aéroport ont toujours eu la part belle du budget en capital de tous les gouvernements de l’après-indépendance. Cependant, ce n’est pas pour autant que l’on peut affirmer que la vie sociale a été rendue plus facile et la qualité de la vie plus agréable - même s’il faut bien reconnaître que sur le plan matériel, le Mauricien moyen a fait, depuis ces quelque vingt dernières années, un bond spectaculaire. Et alors, l’argent du budget, aussi bien courant que consacré à l’investissement, a-t-il été bien dépensé depuis l’indépendance ? Il y a de quoi alimenter les critiques.
Si l’avenir avait été bien géré et si le Mauricien moyen avait bien appris ses leçons, le taux de chômage aurait été sans doute bien au-dessous de ce qu’il est aujourd’hui. Si les gouvernements successifs avaient bien planifié le réseau routier et le mode de transport alternatif, l’énorme problème de la congestion routière - de mal en pis au fil des mois - n’aurait jamais dû exister. Le budget en capital du nouveau ministre des Finances contiendrait-il enfin quelque chose qui pourrait cicatriser cette grande plaie qu’est devenue le transport dans notre vie quotidienne ? Il doit, par ailleurs, dans son budget capital, définir sa vision de Maurice de demain.
Il y a dix semaines de cela, Gordon Brown qui, selon les politologues, remplacera un jour Tony Blair, prononçait son discours du budget à la Chambre des Communes. Axé sur trois thèmes principaux, à savoir l’éducation, les services et l’entreprise, ce discours donnait déjà une orientation très claire de l’économie britannique au cours des prochaines années. “Sans une politique d’éducation fondée sur les sciences, l’innovation et l’esprit d’entreprise, on sera une économie très faible, surtout par rapport à celle des pays européens”, disait le Chancelier de l’Échiquier aux députés de la Chambre. Il élaborait ainsi les principaux axes de ses dépenses budgétaires en investissement. “Je veux que la Grande-Bretagne devienne la meilleure destination pour tout ce qui relève de l’éducation dans le domaine des sciences”. Au fond, Gordon Brown faisait de la science une source par excellence de l’innovation au service de l’entreprise. Du coup, il prévoyait une dotation annuelle de 3 milliards de livres sterling aux sciences jusqu’à l’an 2006. Comparez ce discours à ceux de nos interlocuteurs du secteur éducatif qui sont encore à patauger dans la mare des 50% des places réservées et du débat sur les langues orientales.
Quoi qu’il en soit, même avec toute sa volonté, le ministre des Finances, Pravind Jugnauth, pourra difficilement se prévaloir d’une bonne marge de manoeuvre financière. Déjà pris dans l’étau de l’endettement croissant et du déficit budgétaire, de même que par tout ce qui touche à la surenchère politique et sectaire, de quelle dotation budgétaire pourra-t-il se prémunir pour laisser à nos enfants une bien meilleure société que celle que l’on connaît ?
* Le sixième d’une série de 8 articles dans le cadre du discours du budget du 11 juin.