Feu Sir Veerasamy Ringadoo, sans doute l’un des rares gentlemen du monde politique mauricien de l’après-indépendance, n’a pas l’air d’avoir pu léguer de manière efficace ses qualités distinguées de politique de grande tenue, à voir le niveau auquel est descendu le comportement de la génération actuelle de nos élus à l’Assemblée. Mais là n’est pas notre propos.
Sir Veerasamy Ringadoo - à chacun la philosophie de sa politique économique - s’était surtout fait remarquer en tant que grand défenseur de la “welfare society” fondée sur l’expansion des dépenses de l’État dans tous les domaines possibles : la santé, l’éducation, l’aide sociale, les subsides et tant d’autres encore. Comme si les ressources pour les financer pouvaient tomber du ciel, pour équilibrer ses budgets qu’il a maintes fois présentés à l’Assemblée, il semait la plupart du temps le désarroi parmi les contribuables du pays. Souvenons-nous. Il n’y avait que le sucre et quelques rares usines pour soutenir le développement du pays. Sir Veerasamy n’avait d’autre choix que hausser à chaque occasion l’impôt sur les revenus afin de financer les dépenses grandissantes encourues par l’éducation, les services de santé et l’aide sociale que lui dictait la philosophie politique d’alors. À un certain moment - nos aînés peuvent s’en souvenir - les revenus des employés et les profits des entreprises (quand il y en avait) étaient taxés à 60%, voire à 88% au cours des moments les plus difficiles des années 70. Comme tous les socialistes du monde, y compris le gouvernement d’alors de Harold Wilson, on voulait distribuer la richesse sans d’abord savoir comment la produire.
Cependant, la philosophie budgétaire a beaucoup évolué. Aujourd’hui, en Grande-Bretagne dans le même budget d’un gouvernement travailliste, on y trouvera beaucoup moins d’aide sociale que les incitations à l’effort au travail, à la production et à l’esprit d’entreprise. Même si le budget de l’État doit être déficitaire, le déficit doit être limité - les technocrates l’estiment à 3 ou 3,5% au maximum du produit national brut du pays. Et encore faut-il que le déficit soit le résultat des dépenses d’investissement plutôt que celui de l’octroi des subsides ou d’autres dépenses courantes. Ainsi, dans son budget cette année, Gordon Brown, le Chancelier de l’Échiquier, identifie trois axes de dépenses d’investissement afin que l’économie britannique puisse continuer à se développer : l’éducation de la masse, la promotion accélérée des sciences et les incitations destinées à fouetter l’esprit d’entreprise. Les sciences, principale source d’invention et d’innovation au service de l’entreprise, retrouvent donc leur place de choix, même dans un gouvernement jadis considéré de gauche !
Mais cette manière de préparer un budget ne relève pas du tout des temps modernes.
Il y a 2500 ans, Confucius, dont nombre de ses enseignements sont toujours d’actualité, conseillait déjà au prince de l’époque de ne pas trop distribuer du poisson aux pauvres. “Donnez du poisson aux plus démunis, ils mourront quand même de faim”, disait-il. “Par contre, donnez-leur une canne à pêche et montrez-leur comment pêcher, ils deviendront riches”. Confucius, pourtant, était loin d’être un réactionnaire.
Tous les ministres des Finances du monde sont tentés de se montrer généreux pour des besoins électoralistes. Cependant, chaque dépense de l’État doit être financée quelque part. Et cela a toujours un prix. Quand l’imposition fiscale est trop lourde, cela décourage l’effort au travail, contrairement aux idées reçues selon lesquelles ce sont les riches qui paieront. Quand le déficit budgétaire est conséquent, le prix à payer est fort : l’État, au nom de ses habitants, s’endette. Tôt ou tard, il faudrait quand même rembourser. Imaginez une famille dont les revenus mensuels du père et de la mère se révèlent insuffisants pour faire face aux dépenses courantes. Quelle est la solution la plus facile ? Comme pour tant d’autres familles, ce sera sans doute le recours à l’emprunt, même s’il faudra succomber à l’indécence d’un usurier malhonnête. Et pourtant, même si cela est difficile, le déficit ne peut être résorbé de manière durable que par l’effort. Mais quel est le ministre des Finances qui saura montrer du courage pour le dire ?
* Le deuxième d’une série de 8 articles dans le cadre du discours
du budget du 11 juin.