Kelly Wayne, aujourd’hui artiste peintre qui a un certain succès
Il est de sexe masculin, mais se dit femme à part entière. Dans sa tête, dans sa peau, dans sa voix, il est femme. Sa longue chevelure, sa poitrine, sa démarche... elle surprend. Une anatomie d’homme, un sexe d’homme, un raffinement des gestes et des accoutrements féminins. C’est Kelly Wayne, un travesti, une femme dans le corps d’un homme. Longtemps affligée par sa sexualité, elle, l’artiste peintre, s’affirme.
Son réconfort, c’est son frère jumeau, Nick, à la fois un ami, un confident et un complice. Très proches, ils se confient l’un à l’autre, partagent leurs secrets. “Kelly m’a toujours dit qu’elle se sentait femme et qu’elle désirait être une femme. Pour moi, c’est une soeur; je la soutiens, je la comprends. On a partagé beaucoup de choses et on se comprend. Comme elle, je suis aussi homosexuel. On est pareils mais Kelly a voulu se faire femme”, nous dit Nick qui se dit aussi fier de la réussite de sa “soeur” dans le milieu de la peinture. Son frère jumeau, son semblable, reste pour lui une source de réconfort dans des moments difficiles. Et il y a aussi l’art, le dessin et la peinture qui lui permettent d’avoir un but dans la vie.
Kelly Wayne, le travesti, a su imposer sa différence. En trois ans, c’est sa troisième exposition de peinture. En octobre prochain, elle présentera, sur invitation, une nouvelle collection de tableaux à l’île de La Réunion. Après les coups durs de la vie, les préjugés par rapport à sa sexualité et à sa personnalité, elle s’épanouit à travers cette personnalité de femme qui lui colle à la peau. Il lui a fallu du courage pour s’accepter et pour se faire accepter. “Je n’aime pas me souvenir de moi homme. Je n’aime pas mon prénom d’homme”, dit-elle. Ce prénom d’homme, Kelly Wayne le gardera jalousement et ne le révèlera pas.
Beaucoup de déceptions, d’épreuves et de pleurs. Des périodes de doute, de dépression et de remise en question. Tout pour Kelly se conjugue désormais au féminin. Un vernis rouge vif sur les ongles,une fine couche de rouge sur les lèvres, du maquillage sur les paupières, un décolleté plongeant, un balancement des hanches: c’est la femme qui a pris le dessus. Ses jambes lisses ne laissent rien paraître. pas un poil qui ne dépasse. Il faut cerner le personnage, observer ses moindres gestes, ses expressions, ses manies, et plus pour comprendre. C’est sa personnalité. Elle ne joue pas. Cette féminité est en elle. Ainsi accoutrée, elle brise les barrières de la conformité car, sous tout ce qui fait son costume féminin, se cache une anatomie masculine. “J’ai eu recours à la chirurgie esthétique pour avoir des seins . J’envisage aussi dans un futur proche de me faire opérer pour me sentir plus femme. Mais l’opération coûte très cher et ne peut être pratiquée à Maurice mais coûte que coûte, je la subirai. C’est mon rêve”, dit-elle. Parmi ses autres rêves: “Avoir un enfant. Je sais très bien que je ne pourrai jamais avoir d’enfant, mais je pourrai avoir recours à d’autres moyens. J’aime bien les enfants”, dit-elle. “Rencontrer l’homme de ma vie est aussi un autre de mes grands rêves. Il doit être très grand et, avant tout, me comprendre car je suis une personne très difficile”, ajoute Kelly.
Il découvrre l’amour
Très coquette, une jambe sur l’autre, ses mains délicatement posées sur les bras d’un fauteuil, ses cheveux légèrement relevés sur sa nuque, elle nous raconte. “C’est l’histoire de ma vie”, dit-elle. “C’est à l’aube de mes 18 ans, en 1998, que j’ai décidé d’affirmer mon homosexualité”. Une sexualité qui lui pèse, qui lui fait peur et qui l’empêche d’être heureux en tant qu’homme. C’est en 1998 qu’il le crie haut et fort : “Je suis homosexuel. Je suis une femme. Je veux être une femme, je vais être une femme”. Il décide de se libérer des limites de la réalité, de cette réalité d’être né homme, de sa réalité biologique. “Je ne me sentais pas bien dans ma peau et cette gêne, je l’ai ressentie durant une bonne partie de mon enfance jusqu’à mes seize ans”. Seize ans. C’est à cet âge qu’il découvre l’amour dans les bras d’un homme: “Je l’aimais, il m’aimait. J’ai découvert l’amour et depuis ce jour, j’ai su ce que je voulais”.
“Coming out”
Lorsqu’il fait son “coming out” en 1998 - autrement dit lorsqu’il révèle au grand jour son homosexualité - il abandonne son nom d’homme et son patronyme et devient Kelly Wayne; un nom qu’il s’est lui-même choisi à cause de sa résonnance très américaine. Il se transforme et devient ‘elle’. Sa mère ne le comprend pas. Ne lui parle pas. Kelly Wayne se retrouve seule face à son destin. Des moments pénibles pour elle. À la maison familiale, les relations entre ses parents se détériorent. L’année de ses 17 ans, son père quitte la maison. Les conditions de vie sont difficiles. Kelly ne peut suivre une scolarité normale. Elle quitte la maison où elle dit qu’on ne la comprend pas. Lorsque Kelly révèle son homosexualité et fait part à sa mère de son désir de se faire travesti, c’est le choc. Dur à encaisser; les rumeurs qui circulent, c’est trop pour Brigitte, la mère de Kelly. “J’ai quatre fils, dont deux jumeaux. Que mes jumeaux soient homosexuels était quelque chose de très difficile à concevoir”, nous dit Brigitte. Les relations se brouillent entre Kelly et sa mère. “Pendant longtemps, je n’ai pas parlé à mon fils et je le regrette maintenant. C’est mon fils et je dois l’accepter comme il est. J’ai eu du mal à me faire une raison concernant sa personnalité mais maintenant, j’accepte mieux la chose. Mes deux fils sont homosexuels, c’est leur vie”, dit-elle. Brigitte a de très bons souvenirs de Kelly lorsqu’il était un petit garçon: “C’était un petit garçon timide qui s’évadait grâce à ses dessins. Je ne suis pas étonnée de son succès dans le domaine de la peinture car dessiner était son centre d’intérêt. Je suis fière de mon fils. Bien qu’il se fasse maintenant appeler Kelly, pour moi, il est toujours mon fils, mon enfant. C’était dur pour moi d’accepter sa métamorphose du jour au lendemain, mais il reste mon enfant”.
Kelly dit avoir beacoup souffert de sa différence. Pendant dix-huit ans, elle a subi sa complexité et les on-dit. À la maison, à l’école, dans son quartier à Vacoas, ce furent les mêmes réactions, les mêmes réflexions à son égard, les mêmes murmures sur son passage. Le désespoir et l’incompréhension face aux réactions à son égard la rongeaient. Maintenant, elle revendique le droit de se faire appeler femme. “C’était des moments difficiles”, nous dit-elle. “C’est pénible de se sentir constamment critiqué, de sentir le regard interrogateur des autres sur soi. C’est horrible”, dit-elle.
Une “femme” épanouie
Cinq ans après, elle s’est épanouie. Kelly Wayne a aujourd’hui 23 ans, s’habille tout le temps en femme, parle comme une femme, marche comme une femme: “Pour moi, il n’y a pas de doute; bien que j’aie un sexe d’homme, je suis une femme”. Sur sa carte d’identité, elle a aussi changé de nom: elle est Kelly Wayne. Aujourd’hui encore, malgré sa rage de vivre, elle doit encore braver des préjugés qu’elle décrit comme “dépassés”. Dans certains lieux où elle se rend, on la regarde d’un mauvais oeil. “Dans certains endroits, les gens sont gênés et ne savent pas s’ils doivent m’appeler monsieur ou mademoiselle”,dit-elle. Dans son appartement à Flic-en Flac, ses tableaux occupent une bonne partie de l’espace. Toutes ces toiles qui lui permettent de vivre et de payer son loyer ont une histoire, un secret et une interprétation dont elle seule a le secret. Célibataire, “pas de petit copain”, dit-elle, Kelly Wayne vit seule. Elle vit des relations très brèves. “C’est très difficile de trouver la bonne personne”,conclut-elle.