À Ère lingerie, il y a dix jours, en ayant recours de nouveau à la violence, on s’est encore une fois tiré dans les pattes. Cela a sans doute fait mal à l’image de notre pays, à la démocratie, à la liberté d’entreprise, sans qu’on ne le ressente. Si cela doit continuer, il n’y a qu’à attendre.
D’un côté, près de 500 employés ont perdu un emploi et, en conséquence, autant de familles ont été privées de leur gagne-pain, même si le bon Samaritain qu’est François Woo s’est proposé pour les reprendre tous, sans même attendre pour choisir. De l’autre, une entreprise qui a fait faillite et un patron d’abord séquestré pour ensuite être obligé de s’enfuir dans un climat de frayeur et de menaces. Commence-t-on à perdre la tête dans ce pays, même s’il faut remarquer que la propension à se mettre hors-la-loi n’est limitée qu’à quelques têtes brûlées, même s’il faut aussi essayer de comprendre que la détresse peut bien faire perdre la tête aux démunis ?
Cependant, quand une usine ferme ses portes, la détresse n’est pas du tout l’exclusivité des licenciés. Elle est aussi celle, avant tout, du patron, des actionnaires et des créanciers qui, dans la plupart des cas, sont dépourvus de moyens d’action et n’ont aucun recours. Dans un certain nombre de cas, l’effet induit de la faillite d’une entreprise peut même entraîner des conséquences graves sur l’ensemble de l’économie. Imaginez le scénario du désastre si, d’aventure, les plus grosses entreprises du textile du pays, superbement endettées par ailleurs, acculées par le manque de réussite, se retrouvaient dans l’obligation de recourir à la fermeture.
Ère lingerie ne sera, certes, pas la dernière entreprise du textile à fermer ses portes. Elle est la toute dernière d’une longue série qui pourrait mener à l’hécatombe, malgré la bonne volonté de tous les gouvernements et leurs institutions à protéger et à sauver les entreprises d’un secteur qui, pourtant, a été à l’origine même du miracle économique et social du pays. Souvenons-nous : les Bonair, les Corotex, les Olympic, sans compter les nombreuses entreprises d’origine hongkongaise, aujourd’hui disparues on en voie de disparition, ont été les véritables porte-drapeaux du textile de l’Île Maurice. En s’en allant, elles ont, du coup, enclenché le cycle infernal de la faillite de la Zone Franche.
Comment en est-on arrivé là ? Bien malin celui qui peut vraiment diagnostiquer les vraies causes !
Cependant, quels que soient les avis, une chose est sûre : le textile mauricien - sauf dans quelques cas où les dirigeants ont démontré un vrai sens du combat pour la compétitivité - n’est plus compétitif par rapport à ses concurrents d’Asie et de l’Europe de l’Est. L’insuffisance de la productivité de l’employé mauricien, des cadres et même des dirigeants nous paraît évidente, compte tenu de la cherté de la production mauricienne. Pourtant, tous les pays évoluant dans le textile utilisent la même technologie, fabriquent les mêmes marchandises avec, aussi, les mêmes méthodes de gestion. Mais pourquoi donc l’ouvrier mauricien, lui, fabrique-t-il plus lentement que ses homologues de la Chine (ils sont 15 000 à Maurice) payés deux fois plus cher mais qui, en fin de compte, arrivent chaque jour à faire sortir de la machine à coudre trois fois plus de marchandises ?
La question est d’importance à la veille de l’inauguration de la cybercité sur laquelle repose tout l’espoir de Maurice pour retrouver son souffle dans une conjoncture de chômage grandissant. Mais la cybercité ne réussira que si certaines conditions exigées sont remplies. En effet, les entreprises étrangères ne s’installeront à Maurice que si les Mauriciens sont perçus comme des travailleurs productifs, efficaces dans l’exécution de leurs responsabilités de tous les jours devant leur position informatisée, et tout cela comparativement aux Indiens, aux Australiens et aux Sénégalais. Ces investisseurs s’attendront à ce que leurs investissements, en dollars ou en livres, soient rémunérés le plus vite possible. Sommes-nous prêts à les satisfaire ?
À Ère lingerie, Denis Rivet et ses actionnaires s’attendaient aussi à ce que leurs investissements fussent rémunérés. De même que les Bonair et les Corotex. Si le coût de l’échec, en dehors des aspects financier et psychologique, doit maintenant être flanqué de la violence aussi, c’est toute l’Île Maurice qu’il faudra questionner !
5plus@intnet.mu