Joignons-nous aux débats puisqu’il s’agit de l’avenir de nos enfants et celui de notre pays.
L’éducation telle qu’elle est dispensée dans les écoles et par les professeurs est aujourd’hui un bien de consommation essentiel au même titre que la nourriture et l’habitat. Réservée à l’élite pendant des siècles en Europe, elle est devenue aujourd’hui bien plus qu’un droit. L’enfant a une obligation d’aller à l’école et, dans la société moderne, la responsabilité morale de s’assurer que les enfants sont pourvus d’une éducation adéquate incombe non seulement aux parents, mais aussi à l’État.
Que sera l’individu de demain dans la société et quel sera son développement sans une éducation de qualité ? On peut dès lors comprendre que l’école doit être d’un certain niveau, que les enseignants doivent être dotés des qualités nécessaires pour bien dispenser l’enseignement et veiller au bon fonctionnement des écoles. Il faut, avant tout, que l’école soit démocratique. Tout enfant doit pouvoir revendiquer le principe de l’égalité des chances dans sa quête de réussite dans son parcours scolaire.
Mais alors pourquoi veut-on introduire la langue créole à l’école ? (N’est-elle pas déjà utilisée dans une plus ou moins large mesure dans certaines classes ?) C’est parce que l’on croit que l’école n’est pas aussi efficace face à l’exigence de la qualité et de l’efficacité de l’enseignement et face au principe de l’égalité des chances, compte tenu du taux d’échec plus élevé dans certaines régions les plus défavorisées du pays. Et c’est parce qu’on croit aussi que l’utilisation plus formelle du créole va remédier à toutes ces faiblesses !
Une fois le créole introduit, même s’il est limité à servir de médium, réussira-t-il vraiment à rendre l’école plus efficace ? Le débat est permis.
La langue créole est sans doute séduisante sous plusieurs rapports et joue un rôle essentiel dans la cohésion sociale du pays. Elle permet à notre société multi-ethnique et pluriculturelle de bien fonctionner au jour le jour. Tous les habitants de notre pays ne sont unis que par l’utilisation orale du créole. Imaginez ce que sera le fonctionnement de notre pays sans l’usage du créole. Son extension éventuelle à l’école doit être vue comme un projet exaltant à bien des égards. Cependant, la langue créole souffre de grandes faiblesses.
Pour acquérir une certaine valeur pédagogique, une langue doit sans doute être structurée, développée; elle doit aussi avoir une orthographe. Dans les pays asiatiques, en Chine et en Inde, les dialectes ont rarement pu acquérir le statut de langue officielle et pédagogique, étant peu structurés, même s’ils sont utilisés dans la vie quotidienne par des centaines de millions d’habitants.
Singapour, pays pluriculturel comme Maurice, était confronté, il y a 40 ans de cela, aux mêmes contentieux face aux grands défis d’ordre social et économique du pays. Malgré la grande dominance ethnique chinoise, le gouvernement, très judicieux, a laissé aux habitants le choix entre deux langues : l’anglais et le mandarin pourtant très développé. La très grande majorité continue à opter pour l’école anglaise alors que le gouvernement continue, dans le même souffle, à tout mettre en oeuvre afin de prévenir d’une trop grande “déculturation” de la population. Pourquoi cette grande préférence pour la langue anglaise ? Parce qu’elle est de plus en plus perçue comme une langue moderne, la langue du progrès, par tous les pays du monde. L’utilisation de l’anglais, en effet, se propage de plus en plus dans le monde poussé par la technologie et par le développement industriel et commercial. À Singapour, comme dans bien d’autres pays, la langue anglaise est celle de la réussite économique et sociale. Elle est aussi celle qui unit les différentes composantes ethniques du pays.
Si le créole joue aussi ce même rôle unificateur à Maurice, peut-on en dire autant de sa valeur pédagogique, de modernisme et économique ? C’est beaucoup moins sûr. Le débat doit continuer.
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