Bibi Codezia Looftun
À hier matin, seize personnes, dont huit femmes, deux soi-disant imams et des fonctionnaires ont été arrêtées dans un cas d’escroquerie de plus Rs 1 million basée sur un faux mariage religieux islamique, le ‘nikka’, qui n’est pas légal actuellement à Maurice sauf s’il est célébré en présence d’un officier de l’État civil.
Des femmes - contactées par Ismael Malleck, le présumé cerveau de l’affaire, agent de sécurité au bureau du Fonds national de pension à Plaine Magnien - prétendaient être veuves des hommes musulmans qui ne les ont jamais connues avec lequels elles affirment avoir contracté un ‘nikka’. Munies de faux certificats de mariage délivrés par des soi-disant imams, les soi-disant veuves réclamaient une pension de veuve avec la complicité des fonctionnaires.
Des hommes de loi nous ont dit que le mariage religieux islamique n’est pas reconnu à Maurice depuis que la ‘Muslim Personal Law’ a été abrogée en 1988. Selon le ministre de la Sécurité sociale, Sam Lauthan, la loi actuelle reconnaît le ‘nikka’ quand il est célébré en présence d’un officier du bureau de l’état civil. À la fin de la cérémonie, l’officier délivre un certificat attestant la validité du mariage. Dans le cas de la fraude qui fait l’objet actuellement d’une enquête policière et du ministère de la Sécurité sociale, des fonctionnaires touchaient des pots-de-vin et en échange ils délivraient aux soi-disant veuves de fausses copies de certificats de décès des faux époux. Puis, ils leur fournissaient de faux certificats de mariage délivrés par un imam. Ismael Malleck, le présumé cerveau de l’affaire, a avoué à la police avoir été mis sur la piste de cette affaire il y a environ trois ans de cela par un ancien officier de la sécurité sociale qui est décédé entre-temps. Il a expliqué que grâce à l’aide de cet officier de l’état civil, il a eu un relevé des noms des hommes musulmans mariés décédés. Ensuite, il contactait les soi-disant épouses. Elles se rendaient au bureau de la Sécurité sociale munies de leurs faux documents et réclamaient une pension sous prétexte qu’elles avaient contracté un ‘nikka’ avec les défunts.
Dans le cadre de cette affaire, seize personnes dont huit femmes ont été arrêtées par les sergents Lobine, Murugessen, Gopalsging, Suamtally, sous la supervision du chef inspecteur Jean-Claude Gungah. Parmi les quatre fonctionnaires arrêtés, figurent trois officiers de l’état civil, K. Rambarath, N. Jaunbaccus et A. Santally. Ce dernier aurait agi comme intermédiaire entre le cerveau de l’affaire et les autres fonctionnaires. Ismael Malleck a été libéré vendredi dernier après avoir fourni une caution de Rs 23 000. Sept charges provisoires pour des délits d’entente délictueuse, d’escroquerie, usage de faux documents, entre autres, ont été logées contre lui. Il aurait escroqué en juillet 2002 Rs 79 755, Rs 47 000, Rs 36 000, Rs 71 000 et Rs 79 000 au détriment du Fonds national de pension. Outre d’avoir comploté avec d’autres personnes en août 2002 pour fabriquer de faux documents pour l’obtention d’une pension, il aurait utilisé, le 10 septembre 2002, un nom fictif, Moussa Peeranjee, pour ce même délit. Les deux imams (parmi le frère d’Ismael Malleck), les fonctionnaires et les soi-disant veuves, des habitantes de Mare-d’Albert, New Grove, Plaine-Magnien, ont été libérés après avoir fourni chacun une caution de Rs 5 000.
Des arrestations à prévoir
Selon les enquêteurs, d’autres fonctionnaires sont dans leur collimateur. Une dizaine de fonctionnaires seraient complices de cette fraude de plus Rs 1 million et seront arrêtés cette semaine. Selon les enquêteurs, la pension des vraies veuves étaient divisées au profit de fausses veuves qui s’étaient fait passer pour les épouses des hommes décédés en utilisant des faux documents. Ismael Malleck touchait quant à lui les arrérages obtenus après les démarches.
Toute cette affaire est remontée à la surface grâce à une habitante de Plaine Magnien, Aisha Bassoo. Celle-ci, devenue veuve depuis trois ans et demi déjà, a constaté au mois de janvier dernier que sa pension de veuve avait diminué. Après enquête auprès du ministère de la Sécurité sociale, elle a appris que son époux avait prétenduement contracté un ‘nikka’ avec deux autres femmes. L’affaire a été portée à la police. À cette même époque, Marie Codezia Looftun, une tamoule baptisée reconvertie dans la foi musulmane, décide de consigner une déposition après s’être retrouvée dans la même situation. “Quand je suis devenue veuve le 24 septembre 2001, le ministère de la Sécurité sociale m’a avisée que je recevrai des prestations sociales de l’ordre de Rs 1 575 (veuve), Rs 550 (enfant encore scolarisé) et Rs 15 053 (‘contributory widow’s pension)”, explique-t-elle.
En janvier 2002, elle note que sa pension avait diminué. “Quand je me suis rendue au bureau de la Sécurité sociale, des officiers (sont-ils complices parce que la polygamie n’est pas reconnue par la République de Maurice et le ministère de la Sécurité sociale est une institution républicaine?) de ce bureau m’ont dit que mon époux avait fait deux précédents ‘nikka’ et qu’il fallait diviser la pension. J’ai protesté car je n’ai pas cru un mot de ces deux mariages religieux. Finalement, les officiers m’ont dit qu’ils allaient rétablir les faits et cela a pris beaucoup de temps avant que je puisse à nouveau avoir la totalité de ma pension. Les officiers du ministère m’ont fait drôlement valser avant que la situation ne soit rétablie”, s’indigne-t-elle.
Par ailleurs, dans une déclaration à 5-Plus dimanche hier matin, le ministre de la Sécurité sociale, Sam Lauthan, explique que “des sanctions seront prises contre les complices dans cette affaire si la police arrive à prouver la culpabilité de certains de mes officiers”. Le ministre ajoute qu’il a lui-même référé le cas à la police et qu’il a initié une enquête interne au sein de son ministère pour faire la lumière sur toute cette affaire : “Lorsque j’ai pris connaissance de ce cas d’escroquerie, j’ai alerté la police et j’ai initié une enquête interne. La police doit enquêter pour savoir comment le cerveau de cette affaire a pu obtenir et faire usage de faux documents pour détourner de l’argent”.
Nadine Bernard /Jean-Marie Gangaram