Le rêve est le même. Mais la façon dont on l’écrit, les routes que l’on prend pour y arriver, peuvent être différentes et créer des gouffres. Mais la finalité, l’objectif ultime, a quelque chose qui rapproche certainement. Faire plier ceux qui ont été injustes, bénéficier d’une happy end (avec compensation et retour sur les îles pour ceux qui le souhaitent et dans les meilleures conditions possibles), écrire des pages plus heureuses pour l’histoire de son peuple : les aspirations se ressemblent, en substance.
Alors que l’histoire des Chagossiens résonnait à la Cour internationale de justice (CIJ), qui se trouve à La Haye, cette semaine (voir hors-texte), d’autres échos, d’autres points de vue, se sont fait entendre. Une musicalité différente des discours habituels qui ont laissé entrevoir les divergences d’opinions sur le move de l’État mauricien (pour réclamer sa souveraineté) au sein de la communauté chagossienne. Dans les mots utilisés, dans les discours prononcés, la douleur d’un peuple, bien sûr. Mais aussi, cette envie incandescente de pouvoir, enfin, être maître de son destin.
Marie Sabrina Jean est la représentante du Groupe Réfugiés Chagos (GRC) en Angleterre. Elle a fait le voyage jusqu’aux Pays-Bas pour assister aux plaidoiries. Une semaine riche en émotions. Elle tenait à être là. Elle tenait à accompagner Olivier Bancoult et sa délégation. Et elle n’a rien regretté : «J’ai écouté les représentants de l’Union africaine et leurs mots ont trouvé un écho en moi. Ils ont bien parlé de ce crime contre l’humanité, de la nécessité d’un droit de retour» En l’avenir, elle a confiance. Cette grande famille chagossienne réunie sur la terre de ses parents, c’est la plus belle image qui s’impose à elle. Au présent, elle conjugue avec ses doutes et y fait face, malgré les opinions différentes qui ont été exprimées ces derniers jours : «Chacun a droit à son opinion. Nous respectons chacune d’entre elles. Au GRC, nous nous sommes toujours battus pour le retour des Chagossiens sur leurs îles.» Sur les questions chaudes qui divisent la communauté, elle préfère laisser souffler un vent d’apaisement : «La bataille n’est pas encore finie. Quand le moment viendra, ce sera aux Chagossiens de décider.»
Elle s’exprime sur l’opinion d’Allen Vincatassin, cette semaine (il n’est pas le seul à s’être exprimé de cette façon sur la question). Ce dernier se trouve également en Angleterre : «Nous devons conserver notre droit à l’autodétermination. Comme nous sommes le peuple autochtone, nous n’accepterons pas d’être dirigés par Maurice : nous devons d’abord être consultés !» Lui qui a mis sur pied un «gouvernement provisoire» des Chagos dont il est le président, «établi il y a six ans par voie de référendum», estime donc que les îles Chagos doivent être dirigées par un gouvernement chagossien. Un point, c’est tout.
«Fiction des Britanniques»
Pour les négociations (compensation, droit de retour, entre autres), il avance que ce n’est pas avec l’île Maurice qu’il faut s’allier/discuter. Mais bien avec l’Angleterre : «Les Chagossiens ont toujours été britanniques. Et nous avons uniquement été introduits dans la nouvelle Constitution de Maurice parce que le gouvernement d’alors a accepté de nous recevoir à la suite de notre excision. Ça a aidé la fiction mise en place par les Britanniques ; qu’il n’y avait pas de population permanente sur les îles.» C’est au Royaume-Uni de faire ce qu’il faut et de réparer tous les torts : «Le Royaume-Uni est souverain et nous voulons qu’il répare le mal qui nous a été fait, à nous qui sommes des Overseas Territories Citizens of the UK.»
Dans ses mots (il a répondu à nos questions par mail), on suit le fil de ses émotions et de sa pensée... Du besoin de ne pas oublier qu’il n’y avait pas que les Anglais pour commettre l’injustice : «On ne devrait pas oublier que les décideurs mauriciens ne se souciaient pas du fait que les Chagossiens seraient excisés par les Britanniques. Ils n’étaient intéressés que par la question d’Indépendance et les deals qu’ils pouvaient obtenir du Royaume-Uni. Aujourd’hui, c’est la même chose. Et si Maurice obtient les Chagos, à l’avenir, ce sont les Chagossiens qui seront les perdants.»
Alors, le move du gouvernement mauricien soutenu par le GRC a provoqué en lui «une grande colère» : «Le gouvernement utilise les Chagossiens afin de faire avancer le dossier de leur souveraineté sur les îles Chagos. Nous, en tant que gouvernement provisoire, nous n’avons pas approuvé le choix de Maurice et du GRC d’aller devant la CIJ car ils ne nous représentent pas. L’île Maurice aurait dû aller toute seule.» Désormais, le temps est arrivé, estime-t-il. Il ne faut plus tergiverser : «Il est grand temps que nos droits fondamentaux en tant que population soient respectés dans le contexte des lois internationales et en conformité avec les relations que le Royaume-Uni a avec ses territoires d’outre-mer.» Les Chagossiens doivent rentrer chez eux : «La seule voie à suivre serait l’urgent décaissement des £ 40 millions du support package et la mise en chantier de notre réinstallation, comme le stipule le rapport de KPMG.»
Marie Sabrina Jean aimerait, elle, rappeler une chose : «Par le passé, nous avons approché le gouvernement anglais, il n’a pas voulu nous entendre.» Alors cette occasion «de faire entendre la voix des Chagossiens», il fallait la saisir : «Le gouvernement mauricien se bat pour sa souveraineté, pour son droit. Nous avons besoin d’un État pour aller à la CIJ. C’était l’occasion de le faire.» Une occasion ? Peut-être, estime Isabelle Charlot. Ce qu’elle retient des plaidoiries à La Haye, c’est une mise en lumière d’une souffrance tue pendant longtemps, une histoire «toufe par bann angle ek bann amerikin». «Les gens commencent à comprendre la quantité de sacrifices que les Chagossiens ont fait pour que Maurice obtienne son Indépendance : déportation, morts, être des sans-abri, maltraitance, dimounn kras lor nou…»
Malgré cela, malgré le fait d’alerter, de dire l’indicible, les histoires racontées de génération en génération, les souffrances partagées, les désillusions accumulées n’ont jamais été oubliées. Elles s’inscrivent dans l’ADN des enfants et petits-enfants des natifs : «Nous revivons cette injustice, nous ne pouvons pas oublier comment les Mauriciens et les Anglais ont traité nos grands-parents. Ramgoolam inn vann mo bann fami pou lindepandans.» Alors, il n’est pas facile de croire en des mots de politiciens. De faire confiance encore une fois. C’est pour cela qu’il reste à la présidente du Chagos Islanders Movement, le sentiment que les Chagossiens ne sont pas, aujourd’hui encore, la priorité. La suspicion s’accroche à une histoire tourmentée, parsemée d’espoirs et de promesses. Alors, le droit de retour dans les meilleures conditions, il faudra que ça arrive pour qu’elle y croie. Même si Pravind Jugnauth s’est engagé à en faire une priorité si Maurice obtient la souveraineté des Chagos. «Nous allons mettre en place un programme qui facilitera le retour des Chagossiens qui souhaiteraient retourner chez eux», a confié le Premier ministre à La Haye, cette semaine.
Isabelle espère que les mots ne restent pas lettre morte. Que son rêve devienne un jour réalité.
De La Haye…
Lundi 3 septembre.Le jour où ont débuté les plaidoiries devant la Cour internationale de justice. Elles ont duré quatre jours. L’État mauricien y a défendu sa souveraineté sur l’archipel des Chagos. Le verdict ? Anytime dans les prochains six mois. Même s’il ne s’agit que d’un avis consultatif, il peut influencer les relations politico-diplomatiques. C’est sir Anerood Jugnauth qui a dirigé la délégation mauricienne.
Sir Anerood Jugnauth a parlé de non-choix.Il était à la conférence constitutionnelle de la Lancaster House, tenue en 1965 (et qui décidera de l’avenir de Maurice et des Chagos). Et a rappelé que l’excision des Chagos n’avait pas l’air d’une proposition, d’une condition sur laquelle on pouvait discuter. Il a parlé de pression immense. Le ministre mentor a également estimé que le Royaume-Uni devait rendre les Chagos à Maurice avec effet immédiat.
La Grande-Bretagne a, elle, fait savoir que Maurice était partie prenante de cette décision d’excisionet que la CIJ n’est pas habilitée à résoudre un conflit bilatéral (il ne concerne pas uniquement Maurice et le Royaume-Uni mais aussi les États-Unis).
L’Afrique s’exprime d’une même voix à travers l’Union africaine. Et a dit son soutien en faveur de Maurice : «C’est la voix d’un continent qui a souffert de la colonisation qui demande la libération de l’archipel des Chagos (…) La lutte pour que les Chagos soient de nouveau rattachés au territoire mauricien fait partie de l’agenda de l’Union africaine.» L’Afrique du Sud s’est aussi exprimée et a affirmé que le Royaume-Uni se doit de restituer l’archipel à Maurice, afin que le pays puisse être totalement libre.
L’Inde se range du côté de Maurice. Pour son représentant, la souveraineté de l’archipel des Chagos a toujours appartenu à Maurice. Néanmoins, la décolonisation de notre île reste incomplète par le fait des Britanniques qui ne veulent pas l’accepter.
Ils sont contre. Les États-Unis, Israël, l’Allemagne l’Australie ont demandé que la CIJ ne donne pas d’avis consultatif.
Liseby Elysé, un témoignage touchant.Des larmes et des mots. Son histoire a touché et a donné de la réalité au drame humain. Le message enregistré a été diffusé. Liseby Elysé est née à Peros Banhos, le 24 juillet 1953. Et dans la vidéo, elle a expliqué le jour de la déportation, entre autres : «Je dois retourner sur mon île. Je veux y mourir. Ils nous ont expulsés dans le noir, par la force. Nous ne savions même pas pourquoi. Nous n’avions pris que nos vêtements», a-t-elle expliqué.