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Affaire «Missie Moustass» : d’un scandale à une crise sans précédent

Le pays, actuellement en pleine campagne électorale en vue des législatives du 11 novembre prochain, est ébranlé par un scandale sans précédent. Missie Moustass monopolise l'attention et défraie la chronique, semant sur son passage doutes, craintes et interrogations.

Qui est ce «Missie Moustass» ?

 

Tout le monde est scotché à son téléphone. Ça poste et ça partage à tout va. À chaque coin de rue, on ne parle que de ça. Missie Moustass est sur toutes les lèvres, défrayant la chronique depuis plus d’une semaine maintenant avec ses fameuses Missie Moustass Leaks. En quelques jours, cette mystérieuse personne, qui dit être un fonctionnaire incapable de rester plus longtemps les bras croisés devant de tels scandales, est devenue une vedette. Avec ses révélations sur les écoutes téléphoniques et la diffusion d’enregistrements compromettants qui ont choqué et bouleversé la population, Missie Moustass a électrisé la campagne électorale, qui a pris une nouvelle tournure, secouant tout le pays, ébahi par la gravité de cette affaire.

 

Le dernier épisode de cette saga, publié ce samedi matin, dévoile des conversations entre Zouberr Joomaye, Ken Arian et Sanjiv Ramdanee. Outre un échange intime et privé, on entend les hommes parler explicitement d'une tentative de ralentir le debit Internet pour tenter de maîtriser les voix qui s'élèvent sur les reseaux sociaux.

 

Téléphone sur écoute

 

Pour remettre en contexte, l’affaire éclate dans la soirée du vendredi 18 octobre. Une page Facebook voit subitement le jour et, sur celle-ci, les Mauriciens découvrent avec stupéfaction une série de bandes sonores où l'on peut entendre des conversations entre politiciens, journalistes, juges, avocats, membres de la police et même le commissaire de police. Les premiers épisodes révèlent des conversations entre Nawaz Noorbux et l'avocat Samad Golamaully, Al Khizr Ramdin et Jugdish Joypaul, Rajen Valayden et un inconnu, Murvin Beetun et Sam Lauthan, Axcel Cheney et Arvin Boolell, entre autres.

 

Au fil des jours, Missie Moustass dévoile plusieurs enregistrements, affirmant que des téléphones sont sur écoute, ce qui constitue une grave atteinte à la liberté et à la vie privée de chacun. Transparency Mauritius a rapidement réagi, déclarant que toute écoute téléphonique non autorisée, ainsi que la diffusion de ces enregistrements sans respect des procédures légales, constitue une infraction grave aux lois en vigueur. Reporters sans Frontières a également exprimé son inquiétude, réclamant une enquête indépendante. Parmi les autres enregistrements dévoilés, les voix sont attribuées à Gavin Glover, Senior Counsel, et au juge Medhi Manrakhan, ainsi qu'à plusieurs politiciens comme Paul Bérenger, Navin Ramgoolam, Kushal Lobine, Shakeel Mohamed, Xavier-Luc Duval et Bruneau Laurette.

 

Qui dit vrai, qui dit faux ?

 

Les bandes sonores impliquant plusieurs personnalités influentes contiennent de graves accusations d’ingérence, de favoritisme et de manœuvres douteuses dans les plus hautes instances du pays. Si plusieurs protagonistes ont confirmé l’authenticité de certaines de ces conversations, d’autres préfèrent rester silencieux, tandis que la police met en garde contre l’utilisation de l’intelligence artificielle pour répandre des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux. Pravind Jugnauth a également mis en garde contre la manipulation des audios via l’intelligence artificielle, même si les experts disent que l’IA ne parle pas le créole mauricien. De son côté, traqué par la police, Missie Moustass continue sa «vendetta» pour, dit-il, faire éclater la vérité, bien que ses pages soient bannies les unes après les autres.

 

Cependant, au milieu de tout cela, nombreux sont ceux qui appellent à garder la tête froide et à rester vigilants, particulièrement en période électorale. Même si la véracité de ces enregistrements semble difficilement contestable, beaucoup s'interrogent sur les intentions de Missie Moustass et sur le choix de ce moment pour ces révélations. Jusqu’où peut-on croire cet inconnu qui se présente comme un «lanceur d’alerte» ? Sommes-nous manipulés ? Est-il réellement ce «simple fonctionnaire» qui dit avoir travaillé dans une unité secrète ? Ces fuites téléphoniques sont-elles orchestrées ?

 

Outrés et révoltés, les citoyens engagés réclament des actions

 

La colère gronde et le malaise est ambiant face à un scandale sans précédent qui a le pouvoir de déclencher une vraie crise politique, institutionnelle et sociale. Jusqu’ici plusieurs organismes et instances ont pris position pour dire leur inquiétude face aux dangers que représentent de telles pratiques si elles s’avèrent. Au sein de la société civile, plusieurs citoyens engagés donnent aussi de la voix pour exprimer leur colère et leurs craintes, mais aussi pour réclamer des réponses et des actions face à ceux qui dépassent les limites de l‘acceptable.

 

Si elle se dit consciente que l’écoute téléphonique par les autorités existe depuis longtemps de par le monde, Adi Teelock, qui rappelle la présence des caméras Safe City et de la pression pour le réenregistrement des cartes SIM avec les photos biométriques, s’inquiète de l’ampleur de la situation à Maurice et de ce que cela implique. «Ce ne sont pas uniquement les libertés individuelles qui sont menacées, mais les libertés civiles. Avec le système d’écoute et d’enregistrement tel que révélé, on apprend que n’importe qui pourrait être écouté et enregistré sans aucun ordre d’une cour de justice. La confiance dans les institutions était déjà mal en point. Là, celles au plus haut sommet de l’État, dont la police et la justice, sont en cause. C’est extrêmement grave, car la perte de confiance dans les institutions a été par le passé une des causes de la montée du fascisme dans certains pays.»

 

Pour elle, cette affaire relève ni plus ni moins d’une violation des droits du citoyen. «Quand il s’agit de groupes historiquement brimés, cette violation devient insupportable, et les expressions de colère justifiées. L’appel au calme lancé par de nombreuses personnalités est bienvenu, surtout en cette période électorale. Cependant, dans une société très inégalitaire, inéquitable, discriminatoire, sur quoi l’harmonie sociale invoquée repose-t-elle ?» Face aux dérapages, Adi Teelock espère que des actions seront prises. «(...) Le bureau du DPP a annoncé une enquête sur le décès de Jacquelin Juliette. C’est ce genre d’actions que j’attends d’institutions respectueuses de la Constitution et de la démocratie.»

 

Face à la gravité de la situation, Saffiyah Chady Edoo ne peut s’empêcher de s’interroger sur ce que ces révélations impliquent pour notre pays et ses citoyens. «Cette affaire révèle un côté de notre pays que nous ne voulons pas voir. Au-delà de la politique, les citoyens ont de quoi s’inquiéter en ce qui concerne leurs conversations privées. Il devient de plus en plus difficile de faire confiance aux autorités. À quel point sommes-nous dans une dictature déguisée ? Vers qui sommes-nous censés nous tourner si nous voulons redresser le pays ? Est-ce que les révélations présumées ont créé un précédent pour les gouvernements à venir ? Quelle garantie aurons-nous en cas de changement de régime, que nous ne serons plus sur écoute ? Il semble que nous ne jouissons plus de la liberté d’expression. Si nous, les citoyens, n’élevons pas la voix contre ce que nous pensons être à notre détriment, qu'adviendra-t-il de nous ?» Elle se dit très préoccupée pour son pays dont la réputation a été souillée à l'international.

 

Sidéré et préoccupé. C’est l’état d’esprit d’Alain Jeannot depuis les révélations de Missie Moustass qui représentent, dit-il, une grave dérive au droit à l’intimité d’une personne au sein d’une société. «C’est un droit fondamental qui garantit l’épanouissement et le développement d’une personne. (...) Cette affaire s’attaque à la confiance non seulement des locaux, mais aussi au niveau international. Il est crucial qu’un corps indépendant fasse la lumière sur cette affaire. Le contenu des échanges est aussi très tendancieux car il montre un visage démasqué qui révèle une laideur qui ne mérite même pas d’être décrite.»

 

Comme lui, Bhawna Atmaram ne cache pas sa révolte et ses craintes face à nos institutions. «Cette affaire m’inspire le dégoût et la révolte quant à la façon dont certains ont utilisé leur fonction constitutionnelle à des fins bassement politiques et communales pour effectuer des sales besognes et du fait qu’ils sont toujours en fonction comme si de rien n’était (...). En ce qu'il s'agit de nos libertés individuelles, nul n’est à l’abri, car notre droit à la vie privée est désormais menacée.» Les explications fournies jusqu’ici ne sont, dit-elle, nullement convaincantes. «On ose nous dire que c’est la faute à l’opposition ! Nos institutions, qui étaient déjà dévaluées, ont touché le fond. (...)Au vu de ce qu’on a entendu, il va sans dire que l’harmonie sociale a été fissurée et fragilisée, car une section de la population a maintenant la preuve irréfutable qu’elle a été laissée pour compte, au profit de certains protégés appartenant à la clique dirigeante.»

 

Pour Nalini Burn, les révélations de ces derniers jours glacent le sang et soulèvent de nombreuses interrogations. «Il y la violence verbale grossière et banalisée des forces de l’ordre. On entend comment les forces partisanes commandent, leurs violences physiques racialisées. Vivons-nous à la fois dans un narco-État, un État mafieux, un État ethnocratique, capturé par les politiciens au pouvoir à des fins rapaces, en toute opacité et impunité ? Et si tous ces pions du pouvoir, et pas que les opposants, sont écoutés, c’est l’extrême paranoïa du pouvoir qui choque et inquiète.»

 

Malgré tout, estime-t-elle, il est important de ne pas se laisser berner et de garder son discernement en toute circonstance. «(...) On voit déjà la tactique d’embrouiller en invoquant un deep fake utilisant l’IA. Je me fie à la résilience de mes concitoyen.ne.s teintée d’un humour décapant, insolente, vivifiante, et sur leur colère maîtrisée, pour se mobiliser avec vigilance.»

 

Le plus important à retenir, avance-t-elle, c’est le contexte dans lequel survient ce scandale. Et il ne faut pas, dit-elle, perdre de vue le pouvoir qui est entre nos mains. «Face à un régime autoritaire, clivant et revanchard qui pratique l’autocensure, beaucoup ont peur, mais on nous attend aux urnes ; c’est dans l’isoloir que nous pourrons nous exprimer.» C’est, pour Nalini Burn, notre arme la plus puissante.