Nous descendons à Nouvelle-France où plusieurs habitants se sont plaints de la situation sur les réseaux sociaux. Dans un petit commerce de la route Royale, nous rencontrons Aneza Hauderkhan, qui semble soulagée. «Au début, l’air pollué du brasier de Mare-Chicose arrivait jusqu'ici. Mais depuis une semaine, ça va mieux. La région était recouverte d’une épaisse fumée, comme un brouillard. C’était épuisant, mais surtout très inquiétant.»
Alors que nous longeons la route Royale de Mare-Chicose, nous découvrons des maisons abandonnées, une boutique déserte et des arbres figés dans un passé révolu. À notre grande surprise, nous croisons un habitant de 77 ans, Hervé Michel. «Depuis ma naissance, je vis ici. Ma maison était faite de bois et de paille à l’époque. Cette région était entourée de champs de canne. Malgré l’installation du centre de déchets, je suis resté ici avec ma famille, faute de mieux. Il y a cinq mois, mon épouse nous a quittés. Depuis, aucune solution viable ne nous a été proposée. Les promesses affluent, surtout pendant les élections. Inn mem vinn pran mwa mo lakaz pou al vote ! Mais après, c’est toujours la même histoire. Mon fils, ma fille et moi vivons ici sans transport, sans commerces, ni dispensaire. Nous sommes condamnés à une précarité indigne en 2024. Nous avons adressé des demandes au Citizens Advice Bureau, mais c’était comme parler à un mur. Mo pa kapav kit isi pou al lwe lakaz ou aster al ranz lakaz lor sa terin zot pe donn nou Marie-Jeannie, Rose-Belle! Et avec ma retraite d'Hospital Servant, c’est encore plus compliqué. Lorsque le village s’est vidé, j’ai vendu mes vaches. Ce lieu est devenu un danger pour nous. Je n’ai jamais vu un incendie de cette ampleur ici. Les gaz semblent empirer les choses cette fois. Mo ti pou kontan gagn enn lakaz, sorti la, car l’âge avance et j’ai des problèmes cardiaques. J’espère que les députés et ministres viendront constater par eux-mêmes cette situation difficile. J’aimerais revoir Arvin Boolell, qui suivait ce dossier», souligne Hervé Michel.
À mesure que le vent souffle, malgré les efforts des pompiers pour maîtriser le feu, des villages entiers se retrouvent noyés sous une fumée inquiétante. À New-Grove, l’ambiance rappelle un confinement, comme au temps du Covid. «Au début de l’incendie, en novembre, nous n’avions rien ressenti. Mais après le passage du cyclone, surtout depuis jeudi, il est devenu difficile de garder les fenêtres ouvertes. Nous restons cloîtrés à l’intérieur car, dès que nous sortons, l’air toxique nous irrite la gorge et provoque la suffocation. C’est épuisant, surtout que nous avons l’habitude de profiter de nos terrasses. En 37 ans, je n’ai jamais vécu une telle situation», explique Kamla Soneea.
«Depuis le cyclone Bheki, avec le changement de vent, nous subissons constamment cette odeur de brûlé. L’estomac et le nez brûlent ! Beaucoup de villageois n’ont pas d’autre choix que de porter un masque. J’ai vu les trois députés de la région, ainsi que Joanna Bérenger, effectuer un état des lieux cette semaine. J’espère qu’une solution sera vite trouvée. Dan tanto, kan trouv brouyar lor montagn, ou kapav krwar lapli, me se lafime. Très tôt le matin, quand je prends la route à mobylette, il est difficile de rouler avec la visière du casque à cause de l’air irrespirable», confie Roshan Conahye, habitant de Bananes.
À Cluny, un vieil homme est assis sur la terrasse avec un masque respiratoire relié à une machine à oxygène. Nous rencontrons sa belle-fille, Hema Kishna, qui déplore cette situation qui dure depuis trois semaines. Sa voisine, Malanee Deojee, intervient : «Lanbilans pe ale vini isi !» Hema poursuit en décrivant ses inquiétudes : «Depuis le 6 novembre, nous sommes envahis par cette fumée. Ce n’est que lorsque les députés et Joanna Bérenger sont venus en visite que les autorités ont commencé à réagir. Sinon, nous étions livrés à nous-mêmes, confinés dans nos maisons avec les fenêtres fermées. C’est particulièrement difficile pour mon beau-père qui souffre d’asthme. En plus des douleurs à l’estomac, une autre voisine a eu une réaction allergique et les yeux gonflés. Nous devons laisser un ventilateur allumé en permanence pour ne pas être submergés par cet air toxique, qui laisse un goût amer et irrite la gorge dès le matin. J’espère rapidement retrouver la tranquillité de mon village. Et je ne comprends pas pourquoi les camions continuent d’emprunter ce chemin étroit à Cluny pour décharger les ordures. Quand les enfants partent à l’école tôt le matin, si deux camions se croisent, nepli ena plas pou mars lor trotwar ! Et je ne vous parle pas de l’odeur nauséabonde. Fami mem nepli anvi vinn kot nou ! Ils auraient dû trouver un autre emplacement temporaire jusqu’à ce que le feu soit éteint.»
Au petit bazar de Rose-Belle, nous rencontrons Yash Sewah, qui est à son étal de légumes depuis 7h30. «Heureusement, nous ne sentons plus beaucoup la fumée ces derniers jours. Mais c’est un peu le sujet de conversation quand les clients viennent. Zot dir sa lafime-la fatig zot. Voir cet incendie sur les réseaux est impressionnant et fait peur, surtout que nous ne sommes pas si loin. J’ai un ami pompier qui m’a expliqué que ce feu est traître : lorsqu’ils l’éteignent à un endroit, une autre zone s’enflamme ailleurs. J’espère que les autorités trouveront une solution concrète et durable pour qu’un tel incident ne se reproduise plus.»
Distribution de masques par les députés du n° 11
Le jeudi 21 novembre, alors que nous étions sur le terrain, des habitants de Cluny nous ont informés d’une distribution de masques au Village Hall. Les trois députés de la circonscription no 11 (Vieux-Grand-Port–Rose-Belle) ont remis des sachets contenant 20 masques respiratoires à chaque famille. Près d’une trentaine de personnes se sont déplacées pour récupérer ces masques. À nos questions, le député Manoj Seeburn a indiqué : «Nous avons visité le site de l’incendie et rencontré une équipe de Sotravic. Tous les moyens sont mobilisés pour éteindre cet incendie qui affecte les habitants. Nous avons aussi rendu visite à deux familles soignées à l’hôpital de Rose-Belle, qui a mis en place une voie rapide pour accueillir les cas liés à la fumée. Deux solutions sont utilisées pour gérer les flammes de Mare-Chicose : le refroidissement et l’étouffement. Pas moins de six machines travaillent à raison de 2 000 m² par jour.»
Un appel national pour éteindre la bombe écologique
Rajesh Bhagwan, ministre de l’Environnement, Joanna Bérenger, Junior Minister, et des députés de la circonscription no 11 ont effectué une visite du site de Mare-Chicose ce samedi 23 novembre. La situation reste préoccupante : 31 550 m² de feu doivent encore être maîtrisés des 42 300 m². Selon les estimations, il faudra 20 jours pour circonscrire complètement l’incendie. Actuellement, 35 pompiers, soutenus par plusieurs excavateurs, camions-citernes et pelleteuses, travaillent sans relâche pour limiter la propagation des flammes. Face à l’urgence écologique, le ministre a lancé un appel national à l’aide pour récolter 25 000 tonnes de terre, ainsi que davantage de camions et de pelleteuses pour accélérer les travaux. «Nous avons hérité d’une bombe écologique, mais nous allons agir rapidement», a déclaré Rajesh Bhagwan avec fermeté. Il avait aussi évoqué un «véritable catastrophe écologique» la veille. Joanna Bérenger a, elle, souligné le fait que rien que cette année, Mare-Chicose a été le théâtre de trois incendies majeurs. «Je remercie les Mauriciens pour l’intérêt qu’ils portent à cette cause essentielle. Grâce à la mobilisation de la société civile et des ONG, nous avons réduit le délai initial de deux mois à 20 jours. Nous voulons faire encore mieux, mais pour cela, nous avons besoin de l’aide de tous. C’est une crise nationale. Nou pou trap sa dosie Mare-Chicose-la solidman ek met lord kot pou bizin mete!» Elle a également détaillé les mesures en cours pour maîtriser l’incendie : «Les feux, localisés à une profondeur d’un mètre, nécessitent l’utilisation de pelleteuses pour creuser des tranchées. Cela permet d’introduire de l’eau en profondeur et de recouvrir de terre les zones brûlées pour bloquer la pénétration de l’oxygène. Nous cherchons également un additif à ajouter à l’eau afin de rendre son effet plus durable et efficace.» Malgré les lacunes de la précédente gestion environnementale, le ministre et son Junior Minister s’engagent à mettre tous les moyens en œuvre pour éteindre cet incendie et éviter qu’une telle situation ne se reproduise.