Malgré son jeune âge, Donovan Armance était un pilier pour son entourage. Décrit comme un jeune «trankil, popiler, ki kontan badine ek ki pa ezite pou rann servis», l’adolescent de 15 ans faisait la joie de son entourage. Ayant abandonné ses études en Grade 9, cet habitant de Résidence EDC, à Pamplemousses, avait décroché un travail il y a tout juste deux semaines, voulant se faire un peu d’argent pour pouvoir célébrer Noël et le Nouvel an en famille.
Sa mère, Claudine, nous confie que depuis l’âge de 8 ans, «il était passionné par la mécanique. Il disait même qu’il espérait être mécanicien plus tard. Li ti kontan feray, limem ti pe aranz motosiklet so papa, ti pe demont motosiklet pou fer li vinn bisiklet. Il nous répétait qu’une fois qu’il aurait célébré son 16e anniversaire, il s’achèterait une moto». Hélas, c’est un rêve qui ne verra jamais le jour. Pour cause, il n’a pas survécu après un accident de moto dans la matinée du vendredi 20 décembre. Il avait emprunté le bolide de son père sans l’en informer pour déposer un ami à Terre-Rouge et c’est en chemin pour rentrer qu’il a trouvé la mort.
Ce matin-là, sa mère ne l'oubliera jamais : «Kan monn leve, monn trouv tou laport ouver. Motosiklet so papa pa ti la. Je m’étais dit qu’il l’avait sûrement empruntée pour aller s’acheter des gato pima ou pour se rendre au travail, pas loin de chez nous, puisque son père ne pouvait pas la conduire. Je me suis rendue au travail, mais j’étais incapable de me concentrer parce que j’avais un mauvais pressentiment. J’ai demandé une permission pour rentrer.» Lorsqu’elle a constaté que le deux-roues n’était toujours pas là, Claudine s’est rendue chez sa belle-sœur, chez laquelle logeait l’adolescent, puis a contacté le père. Tous deux étaient convaincus qu’il s’était rendu au travail. Cependant, lorsque notre interlocutrice s’est rendue chez son employeur pour en avoir le cœur net, celui-ci l’a informée que Donovan ne s’était pas encore présenté.
Peu de temps après, une proche du jeune homme a été contactée par des officiers de police, demandant aux membres de la famille de se présenter au poste parce que l’adolescent avait été victime d’un accident de la route. «Ce n’est que sur place que la mauvaise nouvelle nous a été annoncée», lâche Claudine, meurtrie. Les faits se sont produits vers 8h30 sur la Nationale, à Calebasses, près d’un pont. Lorsque les forces de l’ordre sont arrivées sur les lieux, ils ont trouvé Donovan avec de graves blessures à côté du deux-roues. Tout porte à croire qu’il aurait perdu le contrôle du véhicule et fait une sortie de route. Lorsque le SAMU est arrivé sur place, le médecin n’a pu que constater son décès. L’autopsie pratiquée par le Dr Chummun, médecin légiste de la police, a attribué sa mort au choc de ses multiples blessures.
Bouleversement
Cette terrible nouvelle a bouleversé l'existence de Claudine. Elle est rongée par le chagrin et les regrets : «Mo regrete ki mo pann trouv li enn dernie kout sa zour-la, avan li ale. Mo zanfan inn kit mwa. Mo ti telman anvi trouv li grandi, swiv so larout. Mo ti panse ki kan nou pou nepli la, se li ki ti pou kontign vey lor so gran ser.» Pour les fêtes de fin d’année, poursuit Claudine, «il devait venir m’aider à installer le sapin, comme nous le faisions chaque année. Li ti ousi fini dir mwa ki li anvi al sonn petar dan lakrwaze le 31. Get ki kado linn kit pou nou. Li pa fasil viv sa, sirtou dan sa peryod-la». Ce n’est pas faute de l'avoir prévenu : «Monn touzour dir li fer atansion parski lavi kourt. Monn rest dir li pa roul transpor tan ki li pena laz. Mo espere ki tou paran veye a seki zot zanfan ekoute, ki zot pa donn zot enn transpor brit. Mo pa swete ki enn lot pass par mem zafer ki mwa.» Les funérailles de Donavan ont eu lieu ce samedi 21 décembre.
À Pointe-aux-Sables, l’entourage de Kaisen Pillay Chelvanaigum, 19 ans, vit une tragédie similaire. En début de soirée du jeudi 19 décembre, le jeune homme a perdu le contrôle de la moto qu’il pilotait lorsqu’il a freiné pour éviter un nid-de-poule. Il est mort sur le coup. C’est avec beaucoup de difficulté que son père, Selven, revient sur cette journée fatidique ayant bouleversé sa vie à jamais. «Letan mo garson inn sorti travay, monn kone mo garson inn arive letan monn tann enn laklos. Monn trouv li met aryer, pran mo lakle ek kit seki pou li lor latab, lerla linn pran mo motosiklet, linn ale. Se samem dernie fwa ki monn trouv mo zanfan vivan.»
À ce moment-là, Kaisen se rendait au supermarché London, dans la localité, pour faire un retrait d’argent avant d’acheter les cadeaux de Noël, ignorant qu’il avait rendez-vous avec la mort. Son père, d’une voix émue, nous raconte : «Lapolis inn sonn mwa pou dir mwa vinn stasion. Mo ti fini koumans tranble. Ler monn arrive, monn trouv mo motosiklet kraz kraze. Monn fini konpran ki mo zanfan inn mor.» Il lance un appel aux parents : «Pa donn motosiklet zot zanfan. Zordi, personn pa konn bann vre danze lor larout. Zot rod bann sansasion for.»
Kaisen n’était pas particulièrement passionné par la moto, mais son père lui avait offert une 125cc cette année pour qu'il puisse se rendre au travail plus facilement. Il était storekeeper à temps plein dans une compagnie privée, à Plaine-des-Papayes, et travaillait en parallèle, à temps partiel, chez Odysseo. Détenteur d’un learner, il aurait déjà dû passer son permis, «mais avait dû repousser la date parce qu’il avait fait son premier voyage et s’était rendu à Rodrigues avec son ami il y a deux semaines». Amoureux de la mer – une passion que lui a inculquée son oncle, avocat et défenseur de la cause marine en Australie –, il envisageait de changer de métier pour décrocher un poste sur un catamaran.
Ce que déplore Selven, c’est le temps qu’ont mis les forces de l’ordre et l’ambulance pour arriver sur les lieux. «Un témoin m’a raconté que plusieurs personnes avaient voulu venir en aide à mon fils vu que les premiers secours mettaient trop de temps à venir, mais personne n’a été en mesure de le déplacer, craignant de le blesser davantage. Il est resté aux côtés de Kaisen jusqu’à la fin et m’a raconté que ses dernières paroles ont été : Sov mwa. Dir mo mama ek mo papa ki mo kontan zot.» Kaisen a rejoint sa dernière demeure le 20 décembre, laissant derrière lui des parents et une sœur aînée bouleversés.
Lenteur des autorités
La famille Chelvanaigum n’est pas la seule à se plaindre des premiers secours et des forces de l’ordre. Lorsque nous avons rencontré les proches d’Emmanuel Begue, 19 ans, ils ont tenu à dénoncer la lenteur des autorités à agir lors de telles urgences. L’accident du jeune homme remonte à la matinée du dimanche 8 décembre, à Résidence Barkly. Il pilotait une moto lorsqu’une voiture l’a renversé. «Ils ont mis 45 minutes pour arriver sur les lieux alors que mon fils avait subi de graves blessures», déplore sa mère, Corine. Conduit à l’hôpital Dr A. G. Jeetoo, il était admis au département Neuro ICU et y a passé huit jours sous respiration artificielle avant de rendre l’âme.
Le jour de son hospitalisation, relate sa mère, «il a subi une première intervention chirurgicale pour se faire enlever les caillots de sang qu’il avait à la tête. C’est après cette opération qu’il a perdu connaissance et s’est retrouvé dans le coma. Il avait aussi le poumon perforé, mais il n’a pu se faire opérer pour cela parce qu’il ne réagissait plus». Les proches du jeune homme se désolent : «Son médecin traitant ne s’est pas montré empathique à notre égard. Nous ne comprenons pas non plus pour quelle raison il ne s’est pas montré plus clair dans ses explications. Il nous a d’abord dit que son état de santé était critique, qu’il avait peu de chances de s’en sortir, mais lorsque nous lui avons fait remarquer que son cœur battait de plus en plus lentement, il a cherché à nous faire croire que ce n’était pas grave. Emmanuel nous a quittés peu de temps après. Nous aurions peut-être pu faire quelque chose pour le sauver s’il nous avait expliqué la situation. Nou pa swete ki enn lot dimounn pass par seki nou pe pase.»
Cadet d’une fratrie de six enfants, il était particulièrement proche de son frère Barthelemy et de sa sœur Christina. Ceux qui l’ont côtoyé le décrivent comme un jeune homme «jovial, tranquille, qui ne refusait jamais de rendre service. Zame li ti pe donn traka so mama». Véritable papa gâteau, il veillait toujours à ce que ses deux fils, âgés de 2 ans et 4 mois, ne manquent de rien. Ce qui attriste le plus sa mère, d’ailleurs, «c’est le fait qu’il ne sera pas là pour voir grandir ses enfants. Le perdre durant cette période est encore plus dur pour nous car nous penserons à lui à chaque célébration de fin d’année. Seki finn arive inn briz nou net». Emporté par sa passion pour la moto, Emmanuel a rejoint sa dernière demeure le mardi 17 décembre.
Encore des familles qui pleurent un proche disparu
Au cours de ces derniers jours, trois autres personnes sont décédées à la suite d’un accident de la route. L’une d’elles, Aly Rajah, est un ressortissant indien âgé de 25 ans. Son accident, qui remonte au dimanche 15 décembre, est survenu sur la route principale de Bel-Air-Rivière-Sèche. La police l’a retrouvé avec de graves blessures, notamment à la tête. Conduit à l’hôpital de Flacq par le SAMU, il a passé deux jours aux soins intensifs avant de rendre l’âme. La police continue d’enquêter sur ce qui semble être un délit de fuite. Lorenzo Laval, un habitant de Saint-Hilaire âgé de 31 ans, a, pour sa part, péri dans un accident à Riche-en-Eau, Mahébourg, le dimanche 14 décembre. Il pilotait une moto et se dirigeait vers Grand-Bel-Air lorsqu’il a fait une sortie de route et a terminé sa course contre un arbre. Il est mort sur le coup, succombant au choc de ses multiples blessures. De même, Marie Sujie Baya, 62 ans, a connu une fin tragique le samedi 14 décembre, lorsque la voiture dans laquelle elle se trouvait a percuté une barrière en béton sur la route principale de Mare-d’Albert. Le conducteur, légèrement blessé, fait l’objet d’une accusation provisoire d’homicide involontaire.
Elodie Dalloo et Stephanie Domingue