Des années de lutte. Dans le chagrin et l’incompréhension pour des familles en deuil. Pour qu’enfin soient connues les circonstances dans lesquelles 12 patients dialysés de la New Souillac Hospital sont morts pendant la pandémie de la Covid-19. Et pour évoquer les duretés vécues par les autres patients concernés, également. Des personnes déjà vulnérables et fragilisées par la maladie. Au cœur du lockdown, leur histoire avait bouleversé tout le pays. C’est le ministre de la Santé, Anil Bachoo, qui a soumis les conclusions du Fact Finding Committee (FFC) à l’Assemblée nationale, ce vendredi 20 décembre. Le comité, sous la présidence de l’ex-juge Deviyanee Beesoondoyal, s’était penché sur la prise en charge des patients et les conjonctures entourant le décès de certains d’entre eux. L’ancien gouvernement avait refusé de rendre public le rapport découlant de l’enquête, arguant que les recommandations du comité avaient déjà été mises en pratique.
Aujourd’hui, les conclusions sont difficiles à lire pour les familles. Voir officiellement les terribles derniers jours de leurs proches, qu’ils n’avaient pu qu’imaginer, écrits noir sur blanc, remuent des blessures intimes et de la colère. Une colère vive, intensifiée par le nombre des années sans réelle explication et cet impitoyable règne du silence. Avec eux, les patients dialysés et leurs familles, qui avaient aussi été mis en quarantaine et ont vécu des moments douloureux : «Nous avions en tête le martyr des 80 patients que les autorités avaient isolés. Alors, nous pensions que ce n’était pas possible que le rapport n’en fasse pas état. Car Kailesh Jagutpal, alors ministre de la Santé, avait banalisé le contenu de ce document. Il disait qu’il n’y avait rien dedans, que des suggestions», confie Bose Soonarane, président de la Renal Patients’ Disease Association, qui s’exprime au nom des familles.
Pourtant, depuis vendredi, il se retrouve face à un «rapport accablant», dit-il : «Nous saisissons le pourquoi de la décision du ministre de ne pas publier le rapport du FFC. Il y a tellement de critiques qu’il n’aurait pas pu rester à son poste.» Désormais, il est question de se tourner vers l’avenir, de chercher justice et réparation. Si le délai de deux ans pour l’ouverture d’une enquête judiciaire est passé, Bose Soonarane veut garder espoir : «Le ministère a gagné du temps pour nous empêcher de poursuivre. Nous en avions l’intention mais nous n’avions pas de preuves. Nous ne pouvions pas faire une affaire sur des on-dit. Mais, maintenant, nous avons en notre possession ce document.» Bose Soonarane réclame la publication des conclusions du Medical Negligence Standing Committee et du Medical Council sur cette affaire pour la création d’un dossier solide.
Il espère que le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) accèdera à la demande des familles (une première requête avait été rejetée car le dossier n’était pas assez solide, avance-t-il) d’initier une enquête : «Le rapport dit qu’il y a eu négligence criminelle. Le bureau du DPP doit initier une enquête afin que toutes les personnes responsables répondent de leurs actes. Car si ces personnes sous dialyse étaient restées chez elles, elles auraient eu le soutien de leurs familles et elles ne seraient pas mortes dans des circonstances troublantes.» Il évoque deux patients retrouvés morts au matin : «Que s’est-il passé ? N’ont-ils pas eu d’assistance ?» Le rapport du FFC en parle : «Deux patients sont morts en quarantaine à l’hôtel Tamassa. Les deux ont été retrouvés morts dans leur chambre durant les visites du matin par le personnel soignant. Les proches souhaitent savoir s’il y avait des medical rounds la nuit…»
Bose Soonarane parle également de ceux qui, à l’hôpital, n’ont pu poursuivre leur dialyse faute de matériel disponible, du manque d’oxygène, du manque de considération, de l’absence de professionnalisme et d’empathie. Et il le conçoit : la lutte est encore longue pour la justice. Mais, assure-t-il, elle sera menée…
Ce que dit le rapport du FCC
Les explications, les descriptions et les observations de l’équipe du comité sont multiples. En voici l’essentiel :
La première source d’angoisse et de fatigue date du 26 mars 2021. Jour où le personnel de l’hôpital de Souillac a informé les patients dialysés et leurs familles qu’ils seraient transférés à l’hôtel Tamassa (centre de quarantaine). Le rapport évoque le stress et la panique des patients quand ils ont compris qu’ils seraient seuls dans une chambre.
Le départ est, finalement, retardé de plusieurs heures. Le transfert a lieu dans l’après-midi. Autre source de stress. La situation ne s’améliore guère : les vannettes utilisées ne permettent pas la distanciation sociale. Et elles mènent qu’à des points de ralliement : Tyack, Surinam, Britannia, Chemin-Grenier. Là, des autobus prennent le relais : les fenêtres sont fermées ; il n’y a pas de distanciation sociale car les véhicules sont remplis, précise le rapport. «Many patients were exhausted by then with no medicine and food», peut-on lire.
L’arrivée à l’hôtel aux alentours de 22h30. Il est question de formalités qui prennent des heures. Ce n’est qu’à 1h30 que les patients ont accès à leur chambre. Du briani est servi (un plat qui ne convient pas au régime alimentaire d’une personne sous dialyse), mais pas à tous.
Sur les jours de quarantaine et la prise en charge, les observations sont multiples : pas de nourriture adéquate avant les protestations, des visites médicales d’abord sporadiques, avant d’avoir lieu deux fois par jour, des patients qui ont besoin d’assistance médicale (cécité, amputations…) se retrouvent seuls – c’est uniquement suite aux protestations des familles que ces dernières ont pu venir les aider –, des séances de dialyse écourtées sans explication, des confusions quant à l’admission des patients dialysés positifs à la Covid-19 à l’ENT Hospital (là où il n’y avait pas de possibilité de dialyse !) et une «poor coordination among all parties involved in the treatment of these patients», entre autres.